Un Pierre Pachet : P U N° 172

Autobiographie de mon père est la Pièce Unique N° 172. Ce texte est paru en 1987 et a été réédité chez Autrement en 2021, avec une postface de J.B. Pontalis : extraits :  » Une lettre à un père ou une lettre à un fils ? » (…) « Ce livre aurait-il deux auteurs ou, ce que je crois plutôt, est-il un livre sans auteur ?  » ( et citant Pierre Pachet : ) « La parole de mon père mort demandait à parler par moi comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. ».
Ce livre conte la vie du père, sa formation, l’exil, la judéité, la guerre, le (non) lien à la famille puis la maladie : p 195 : « Je suis pleinement présent à moi-même, mais chacune de ces présences tend à s’isoler radicalement de la précédente ; et la suivante l’effacera. Pourquoi faut-il que je ne connaisse personne qui tolère la discontinuité que j’habite ? » L’homme n’est pas aimable, porteur des préjugés de son temps et de son sexe : autorité du mari et du père, dépréciation de la femme et incommunicabilité avec les siens, bien avant d’être atteint par cette pathologie.
Pierre Pachet écrit ce défaut d’amour, répare cette non-communication après la mort du père.

De ce livre, sont sortis des « Poèmes Express » : exemples :
Privé de la fiction un univers était évidemment hostile.
– Ce double : je l’avais fui et ne désirais pas retrouver le moi.
– Attendre d’avoir, avoir peu, avoir eu.
– Renversées, elles avaient perdu la main. Je ne sais si j’ai déjà mentionné la main.
– Entre des terrasses de café, un bain d’odeurs.
– Puisqu’il faut passer d’un système à un autre, on se fait double.
– N’avancer qu’en sourdine, par la bouche, par des phrases.
– La violence de la charcuterie sort de ma bouche, dégorge, tiède.
– J’ai peur, il est tard, on a juste la possibilité 
d’apercevoir des indifférents.

Autobiographie de mon père, « complété » par ces « Poèmes Express » et des informations quotidiennes ricocheuses  est offert à Alain Amirault qui, dans les années 2010, membre  de l’association Détournements, a co-créé le festival Poésie dans la rue à Rouen.

Un Karen Blixen : P U N° 171

Une lecture au long cours : La ferme africaine de la baronne Karen Blixen, 497 pages en Folio, a été lue du 3 juin 2022 au 22 février 2023, à raison d’une double page par jour.

Le livre paru au Danemark en 1937 et en France en 1942 chez Gallimard, dans une traduction de Yvonne Manceron, conte les 17 ans (1914-1931) de vie de l’auteure (1885-1962) en Afrique. Continent qu’elle a adoré et a dû quitter, sa plantation de café au Kenya n’ayant jamais été rentable. L’histoire est connue – et « romantisée » – par le film de Sydney Pollack, Out of Africa, sorti en salle en 1985. Le texte, un presque journal, dit son existence auprès des « nègres », Kikuyus et Masaïs, des Somalis, de ses chiens, de ses chevaux, évoque ses parties de chasse, sa vie mondaine, la manière dont le colon traite les populations, venant par exemple jusqu’à la ferme pour interdire leurs danses lors de son départ.

Quelques uns des « Poèmes Express » qui en sont sortis :
Un sourd insistait pour trouver un écho.
– Les choses s’offrent une valeur historique.
– J’avais obtenu un mot que rien ne pouvait dépasser : « ardeur ».
– J’imagine un archevêque en safari quand la bête l’observe.
– Presque vierge, sans chagrin, vierge vieille, on pénètre, on n’enlace pas.
– Dieu n°3, reviens.
– Bête à recevoir le nom d’une bête, il sera aperçu un jour, au zoo.
– Un mot se remet entre les mains de son récit.
– Nous avons un personnel-poupées russes. On les installait en plein air. C’était magnifique.
– Les femmes douces et gaies étaient le soir des noces sans protection.
– Crachat, pantoufles, canne et mort.
– Il était mort en sortant de son auto, de l’histoire ensuite.
– Quelques minutes ne tardèrent pas à atteindre le bout d’un moment.
– Un jour j’ai dit 500 fois « boeuf » et « boeufs ».
– Des marins ont leur double au fond de la mer et de temps en temps habitent au fond de nos yeux.

Cette Pièce Unique est offerte à Claire D., maintenant photographe et voyageuse.

Un Lovecraft : P. U . N° 170

Epouvante et surnaturel en littérature de H. P Lovecraft (1890-1937) est un essai, écrit entre 1925 et 1927, paru pour la première fois dans une revue qui n’eut qu’un numéro, The Recluse.
De son vivant, Lovecraft n’a publié ses nouvelles que dans un « Pulp »: Weird Tales. Et ce n’est que deux ans après sa mort qu’est créée la maison d’édition Arkham House, pour faire reconnaître son oeuvre.
Cet essai est une histoire du « conte fantastique » « aussi vieux que la pensée humaine ». Le panthéon personnel de Lovecraft est constitué de Lord Dunsany, Arthur Machen, Montague Rhodes James, plus intéressants encore selon lui que les justement reconnus Ambrose Bierce, Nathaniel Hawthorne et, évidemment, Edgar Allan Poe.

Quelques « Poèmes Express » tirés de ce texte :
– Renforcer une frayeur grâce à des images de fin de paysages.
– La mode captiva les plus sophistiqués des squelettes.
– Les allusions allusives ne présentent rien au lecteur inattentif.
– Eclate un rire immense surgi d’un très ancien cimetière.
– Peupler le pays avec une multitude de petits Dracula semble original.

Cette Pièce Unique, 3 livres en 1, est offerte à Emma Doude, en master de création littéraire à l’ESADHarR, master sous la direction de Frederic Forte.

Un Emilienne Malfatto : P U N° 168

– Accoudé dans un troquet pendant de longues semaines pour tenter de comprendre.
– On croit aux trésors enfouis, aux fruits gonflés.
Les hélicoptères ayant remplacé les gallinacés, « ça » s’est produit sans adultes.
– Un village vacances est terrible pendant les années de guerre.
– Elle s’était faite belle ; il doit y avoir quelque chose de terriblement rassurant dans cela.
– Les autorités se contentent de dire la loi, n’ont qu’une vague idée du chemin.
– Maison bleu ciel, bizarrerie géante, derrière le manguier.

Voilà quelques « Poèmes Express » issus de Les serpents viendront pour toi, d’Emilienne Malfatto, paru aux éditions Les Arènes, 2021 puis en poche en J’ai Lu. Ce livre a reçu le prix Albert Londres.
« Notre métier n’est pas de faire plaisir non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » disait Albert Londres (1884-1932). Emilienne Malfatto, née en 1989, est photo-journaliste. Elle prend la suite des Séverine (1855-1929), Andrée Viollis (1870-1950), Nellie Bly (1864-1922) et autres femmes reporters quelques fois appelées « Muckrakers » (= « fouille-merde »). Dans ce livre, elle parle de Maritza, tuée en Colombie, des années après son mari : « Maritza Quiroz Leiva, 61 ans, mère de 6 enfants, assassinée le 5 janvier 2019. Le cinquième assassinat de leader social de l’année, le cinquième en moins d’une semaine. » (p. 17).
Maritza n’est qu’une parmi beaucoup d’autres « dommages collatéraux ».
Si la guerilla des FARC est censée être finie, les « seigneurs de la drogue » sont toujours là, toujours plus riches, et s’en sortent très bien, bien mieux que leurs victimes :
(P. 64 : )« … Maritza et sa famille quittèrent la Sierra Nevada et vinrent grossir les rangs de ceux qu’on appelle pudiquement « déplacés internes », ceux qui ont tout perdu, à qui l’Etat a failli, qui fuient et terminent généralement dans les bas-fonds des grandes villes, dans une misère crasse et une violence endémique, les déplacés donc, qui, en 2004, représentaient officiellement plus de trois millions de Colombiens – plus de 7% de la population de l’époque. »

La Pièce Unique n° 168 est offerte à Veronica P. qui a choisi de vivre en France et y enseigne avec enthousiasme. Elle vient juste de rentrer de Bogota où elle n’était pas retournée depuis longtemps.

Un Delerm : P U N° 169

Un peu de désordre : le n°168 sera envoyé plus tard, la récipiendaire étant partie quelques semaines dans son pays d’origine, le pays dont parle la Pièce Unique N° 168.
Je ne suis pas claire… ? Pas grave ! « Sauts et gambades », les Pièces Uniques…

Je ne pensais pas un jour en produire une à partir de Philippe Delerm. La couverture du livre chez Folio a eu raison de moi : un détail de tableau de Tiepolo, le fils.
Le livre est fin (118 p.), écrit assez gros, avec au moins quatre sujets différents : ce peintre, les restes de la guerre en Italie, les livres qui marchent et surtout, Venise. C’est beaucoup…
Et moi qui en rajoute avec mes « poèmes express » … :
– Ne rien lire. Faire : le trottoir, la tête, du voilier.
– Un peu enfoncé dans la peinture, un rond noir,, brun à la rigueur. Tout rond.
– Jardin sombre, paysages saisis, route bleue.
– La vie, territoire d’aversion, se diluait en mots.
Un rouge écaillé, un bleu presque mauve dans un voyage.

La Pièce Unique N°169 est offerte à Robert de Laroche, éditeur rencontré au Salon du Livre de Paris avec sa collection de textes sur le cinéma, La Tour Verte. Robert vit maintenant à Venise et son dernier livre en tant qu’auteur vient de sortir en Folio policier.

Un Maja Thrane : P U N° 167

Petit traité de taxidermie : une histoire de maison, de gens qui vivent dans cette maison et de ceux qui y ont vécu auparavant, plus ou moins fantômes. Rien de fantastique, une évocation comme normale. Un des habitants a été « l’intendant » , ce qui en Suède est le nom donné à un conservateur de musée. August Wilhelm Malm (1821-1882) a réellement existé. Ce sont des photos d’un de ses travaux qui ont amené ce texte que Maja Thrane dit avoir mis dix ans à écrire. Ces photos, on en trouve deux dans le volume des éditions Agullo et, oui, elles sont étonnantes, voire impossibles croit-on. Pourtant, non, ce ne sont pas des montages, pas des « fake » : on a bien une baleine qui sort de la façade partiellement démontée d’une maison, une baleine tirée de là par un cheval. Malm a effectivement taxidermisé l’animal. La baleine est toujours visible, dans un musée du sud de la Suède.
Petit traité de taxidermie, ce sont de courts chapitres qui nous mènent dans l’histoire de ces gens, Vera et Björn, de leur vie au cours des saisons, de leurs sensations et activités.

Voilà quelques Poèmes Express venus de ce texte :
Sur la neige, dans le noir, un gant rouge.
La corneille a le bourdon, la pie pense à sa vie.
Des heures à tripoter Lena, lourdement. Quelqu’un les observe.
Une grotte et, s’introduisant de plus en plus profond, l’imagination.
Envahi par les boules, le canal.

La P U N° 167 est envoyée à S. Bernet en souvenir  d’Etienne Bernet (1939-2022), architecte dans une première vie puis historien de marine, qui a écrit sur la pêche à Terre-Neuve mais aussi sur la chasse à la baleine. Il était un des responsables de la revue Les annales du patrimoine de Fécamp. Le dernier numéro   vient de sortir et lui rend hommage.

Retour sur la P U N° 155 : youhou !

Mis en avant

tardivement, très, car déplacements multiples et l’objet-livre caché facétieusement glissé entre et entre, mais retrouvé

donc lu maintenant,
picoré
avec appétit
et déjà merci pour la pensée de l’envoi
de ce 155ème
objet multiple en effet
et mystérieux
(sachant que j’ignore qui est robert wyatt)
(et que donc l’étrangeté est absolue, d’un livre sur qui je ne connais pas)
(comme une biographie inventée)
(quelque chose de totalement fictionnel)

(et s’arrêtant sur un album que je ne connais pas non plus)
(mais qu’écoutant ce matin je reconnais bien sûr) (alors c’est donc lui)
(mais pourquoi lui alors, en dehors de la maquette qui vous plaît)
une sorte de folie borgesiennne
qui immédiatement
et ludiquement
m’a rappelé ces découpages qu’enfant on faisait
de silhouettes à habiller
de différentes tenues qu’on clipait, qu’on changeait
(je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans…)
mais aussi les mille milliards de poèmes
ces lectures en tout sens
pulvérisant l’ordre narratif, le recomposant
drôlement aussi
entre art brut et poésie minimale
entre humour et absurde (le verso découpé de certains collages est aussi signifiant dans ses manques)
aussi merci catherine
oui
amicalement
ea&fd = Emmanuel Adely et Frédéric Dumond !!!!!

Un James Cain : P U N° 166

Le facteur sonne toujours deux fois, Pièce Unique N°166, paru en 1934, a été porté deux fois à l’écran et, quand on entend ce titre, on pense peut-être plus au film de 1946 avec Lana Turner et John Garfield qu’au livre.
Mais, pour François Guérif, ce roman est « d’une rare concision stylistique et rythmique. (C’est) une œuvre révolutionnaire qui porte le crime chez les gens « ordinaires » en dévoilant les motivations essentielles des protagonistes : le sexe et l’argent. Pas de jugement moral mais l’œil entomologique d’un écrivain qui a transformé les crime stories en histoire d’amour »(…) « un chef d’oeuvre qui n’a jamais été dépassé. »
Un livre du tout début de la carrière de James Cain (1892-1977). 

Quelques Poèmes Express issus de Le facteur sonne toujours deux fois :
– Une voix à la radio, une voix que je pouvais garder.
– J’ai pensé, beaucoup pensé. Je parle, ça fait les muscles.
– Une jolie couleur l’a tué raide et s’est détendue.
– Il avait dessiné une buse tenant dans son bec un pharmacien.
– ça a l’air d’une blague : j’ai un mal fou à retenir le sourire l’hiver.
– Quelqu’un m’a offert du bizarre. Je dois reconnaître que ça ne m’emballait pas.

Cette Pièce Unique est offerte à Fabrice Feuilloley, qui crée les livres des éditions du Petit Flou depuis 2013. Poésie et artisanat : de la fabrication du papier au façonnage en passant par l’impression.

Un Brigitte Giraud : P U N° 165

Commencé le 11 juillet, bien avant que Brigitte Giraud n’obtienne le Goncourt avec son dernier opus –  Vivre vite qu’elle avait présenté en avant-première à Ecrivains en bord de mer -,  Un loup pour l’homme sorti en 2017 chez Flammarion, est la Pièce Unique N° 165. Ce livre parle d’un couple, d’une naissance (celle, écrite, de Brigitte Giraud, à Sidi-Bel-Abbès) mais surtout de la guerre d’Algérie vue de ce moment-là, de cette place-là, quand les gens ne savent rien, n’ont pas les moyens de savoir, quand on n’appelle pas ça une guerre. Un jeune homme veut soigner plutôt que tuer. Sa femme veut accoucher en Algérie, auprès de lui. Une histoire personnelle qui est plus que cela.

Quelques Poèmes Express nés de Un loup pour l’homme :
– Route à parcourir, décision à prendre, temps à avaler.
– Une zone de peau tremble sur la cuisse si les femmes se tendent.
– L’eau va faire boue tiède.
– Il a acquis les mains qui miment. Quand le mot revient, il n’a rien de bon.
– Il fait en sorte que les chairs oublient, que la peau se pose.
– Un discours rend visible ce qui ne l’est pas : l’armée et le marchand.
– Va voir un match. Invite-la à se déshabiller. Détache sa pudeur.

Un loup pour l’homme « retravaillé », « augmenté », trois livres en un, a été offert à V. L. qui a dû se défaire d’une partie de sa bibliothèque, qui ne sait pas trop en ce moment où trouver ses livres dans leur nouvel écrin mais qui fait toujours de nouvelles provisions…
« Tsundoku un jour, tsundoku tpujours »

Retour sur la P U N° 161

« Merci pour ce cadeau aussi inattendu que surprenant.

Je te livre tout de go ce qui me touche.

Avec ce choix des lettres de Mademoiselle de l’Espinasse à son amant, tu as reconnu en peu de temps mon intérêt pour la littérature, l’actuelle tout comme la « grande », celle qui a résisté au temps qui passe. Et de cela merci.

Recevoir une pièce unique PU, quelle chance ! J’aime beaucoup cette idée géniale de création : choisir un livre, en lire deux pages chaque jour qui passe, extraire qq mots d’une des pages, ici celle de droite; ces mots deviennent une phrase que tu associes à un événement de la journée.

Mon premier réflexe fut de découvrir cette succession de phrases poèmes. Je les ai lus d’une traite, avec gourmandise. Très vite l’émotion m’a envahie, bien au-delà du sujet, d’une femme qui se meurt en écrivant à son amant. Se dessine une réflexion, la parole d’une femme, dans son intimité comme dans son regard sur notre monde en bouleversements.

Autre temps: la découverte de la couverture (je sais maintenant qu’elle compte beaucoup pour toi): le livre est enveloppé d’une photo, un fragment de corps de femme. Quelle belle idée! Il devient ainsi un objet énigmatique et raffiné.

La lecture des lettres s’est faite plus tard. Oui, les temps ont changé, les femmes ne sont plus tout à fait les mêmes… mais l’amour passion peut toujours être là, il me semble. Tout comme la difficulté de s’en extraire!

PU n° 161, je suis médusée quand j’imagine ce que ça représente de détermination, de régularité, de persévérance, déjà pour un seul livre, mais 161, ouah !!! Une volonté sans faille. 

Voilà, un peu en vrac, ce que j’avais envie de dire. » 

Merci du merci M-A !