CINEMA – au Studio, avec les Ancres Noires – un Maigret

Vendredi 28 mars, à 20h30,
La tête d’un homme de Julien Duvivier (1933) avec Harry Baur
est projeté
au Studio
– super cinéma d’art et essai patrimonial du Havre –
en partenariat avec les Ancres noires.
La séance sera présentée par Emmanuel Burdeau,
ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, qui collabore avec la revue littéraire en ligne En attendant Nadeau.

En avant-première, ici, la présentation de  Patrick Grée :

D’un certain classicisme et des cinéphiles.

D’abord : Duvivier, l’autre ! Face à Renoir. La cinéphilie (plus que la critique, et c’est tant mieux… pour la critique) marche comme ça, par grosses alternatives, binaires forcément ! Le cinéphile est binaire, acceptons-le une fois pour toutes. Donc Duvivier, le Poulidor du cinéma français classique. Pour beaucoup et non des moindres : le préféré en fait, le discret, le modeste, le soi-disant simple artisan mais (forcément) le meilleur. La cinéphilie procède aussi par inversions assez systématiques et violentes : c’est toujours “le moins”, celui de l’ombre, qui en fait vaut le plus, mérite les feux du cinéphile éclairé. Ne renaudons pas trop, cela nous a valu de belles (re)découvertes, voire de véritables révélations. Le bât blesse un peu certes quand l’Université s’en mêle et vire encore plus récupératrice de nanars que le cinéphile ébloui de quartier, ceci avec force gloses… universitaires.

Malgré tout en tant que cinéphile je préfère Duvivier, sa noirceur légendaire mais surtout ses “flash”, ses éclairs d’hystérie dans le naturalisme poétique des années trente : la course sur les toits de M. Hire campé par un Michel Simon particulièrement inspiré, la danse tragique d’Aimos, à nouveau sur un toit, dans La Belle Equipe, et toujours dans La Belle Equipe les copains allongés sur le toit (décidément) en plein orage pour protéger leur guinguette. Il faut dire que ces situations perchées permettaient à Duvivier les cadrages de traviole (il les qualifiait lui-même ainsi) qu’il affectionnait particulièrement. Mais c’est aussi le lyrisme réellement adolescent de Marianne de ma jeunesse (revoir d’urgence ce grand Meaulnes bavarois) ou le chien de Gérard Blain qui bouffe littéralement la garce géniale, Danièle Delorme (Viviane Romance n’était pas mal non plus dansPanique) dans Voici le temps des assassins, son meilleur opus années cinquante.

Et puis Harry Baur ! Un des fameux monstres sacrés de cette époque, tout habités qu’ils étaient du complexe de Cyrano :  » l’ai-je bien éructé ? « . Il peut en faire des tonnes le Baur même dans la retenue : ça s’appelle la sobriété m’as-tu vu ! Mais là quand même, chapeau ! La méthode Simenon-Maigret de l’imprégnation n’a jamais été aussi bien montrée : les cercles concentriques dans l’approche du suspect, de son milieu. Saluons au passage les seconds rôles prégnants, ici encore plus qu’ailleurs… et pourtant : relisons les notices du Barrot-Chirat* pour nous convaincre que Rignault et Inkijinoff n’étaient en rien des cas isolés. Même si Baur n’est sans doute pas le Maigret le plus fidèle à l’original, nécessairement plus neutre, plus “ fonctionnaire” comme le rêvait Simenon lui-même. Et là, attention ! : n’accordons pas un crédit définitif aux déclarations du grand romancier, fin stratège, excellent comédien lui-même, interprète émérite de sa propre personne (un peu à la Renoir tiens !), trop habile à se forger une légende, fabuleux vendeur de son œuvre et de ses prolongements, jamais à une contradiction près pour vanter les mérites du film qui fait l’actualité. Un coup le meilleur Maigret c’est Gabin (il en a tout de même tourné trois) et puis une autre fois c’est Pierre Renoir (le frangin). Fidèle ou pas l’interprétation de Baur est la plus marquante ! Baur au destin tragique et mystérieux. Mais là… je vous laisse enquêter.

Patrick Grée, le 21 mars 2025

PS (Patrick scriptum)

*Barrot-Chirat : Le très riche et remarquablement rédigé recueil de portraits d’acteurs français des années 30-40 d’Olivier Barrot et Raymond Chirat )… De préférence dans une de ses dernières mises à jour (Noir et blanc, 250 acteurs du cinéma français 1930-1960, Flammarion 2010).

Un Kéthévane Davrichewy : P. U. N° 223

Mis en avant

Mon premier Kéthévane Davrichewy.
Un super nom, hyper exotique, hyper attirant.
Quatre murs est, dans un sens, peu exotique puisque c’est une histoire de famille.
OK, on se retrouve en Grèce à la fin du livre,
mais le sujet est la famille, son intérieur, ses tripes même, son intimité, ses non-dits, son importance, presque excessive, limite anormale.
Il y a eu des morts. Un accident qui change tout. Des relations (trop) fortes. Des secrets.
On assiste aux retrouvailles de quatre frères et soeurs adultes. On suit leurs chemins pour y parvenir… ou non…
Le livre est de 2014, aussi trouvable en 10-18.

Quelques Poèmes Express issus de Quatre murs :
– Il est allé loin. Toujours plus, l’attrait du vide. De longues heures.
– Mon corps cherche l’immensité de la solitude, son terme.
– Ne pas regarder, ne pas admirer. Allumer les flammes.
– Je sais. Rien à dire. Pas les mots, pas maintenant.
– Il s’était précipité dans la mer, tenté de, au fond, dormir.
– Qu’on lui foute la paix était le besoin, toutes ces années.

La Pièce Unique N° 223 est offerte à Philippe Georjon qui nous a si bien accueillies, Julia Deck et moi, en novembre à la médiathèque Tarentaize de Saint Etienne.

Un vin, des livres – mars 2025 – 1)

Mis en avant

  • Mascarade de Robert Coover (1932-2024), traduit par Stéphane Vanderhaeghe, éditions Quidam, 2025 :
    un roof-top luxueux, une party monstre, un ascenseur qui monte mais ne descend pas, des tas de gens.
    Ce que je préfère : la fin, extraordinaire !
    Déjà, en 1988, paraissait Gerald reçoit de Robert Coover, aux éditions du Seuil  : comme Mascarade, le roman entier était le récit d’une soirée avec beuverie, sexe, chahut. Unité de lieu et de temps.
    Mascarade a un côté surréaliste : la bonne soeur, les corps, la mort.
    L’intérêt du texte est dans sa construction : sans paragraphes, sans ponctuation, sans crier gare, un flot de paroles et des changements de locuteur fréquents mais presque invisibles à un lecteur distrait.
  • Le créateur de poupées de Nina Allan, traduction de Bernard Sigaud, 2021 chez Tristram, comme les autres romans traduits en français de cette auteure : La course, La fracture, Conquest.
    Dans tous les livres de Nina Allan, on est dans la vie « normale », et tout à coup, un peu, pas beaucoup, on glisse dans le fantastique.
    Ici, le narrateur, personnage principal, est un nain, collectionneur puis créateur de poupées. Il a une relation épistolaire avec une jeune femme, elle aussi collectionneuse et veut la rejoindre. Voyage dans une Angleterre rurale.
    Entre les moments où il raconte sa vie et son périple, sont reproduits dans leur intégralité les textes d’une écrivaine, Ewa Chaplin.
    S’il s’agit d’une écrivaine fictive, on a pourtant des éléments de réel : sa biographie, ses nouvelles.
  • Neiges intérieures d’Anne-Sophie Subilia, éditions Zoé, 2022 : comme dans L’épouse, on est dans un lieu assez clos, un bateau de petite taille sur lequel cohabitent pour un travail de recherche dont on ne saura pas grand-chose six personnes – deux femmes, quatre hommes – qui ne se connaissaient pas auparavant. Ils descendent quelques fois à terre, dans une zone arctique.
    Nous lisons le journal d’une des passagères qui a ses failles, et qui conte la promiscuité, les alliances, les idées préconçues, les relations homme/femme.

Le prochain Un vin, des livres, est prévue le jeudI 3 avril à L’ART HOTEL

Et, avant, bientôt… les autres livres dont il a été question

Solène Langlais au Tetris – Le Havre

Samedi 1er mars,
après un atelier d’écriture et de mise en voix avec l’écrivaine Shane Haddad ( 2 livres parus chez P O L ), et organisé par deux jeunes femmes en service civique au Tetris,
avait lieu une performance de Solène Langlais.
C’était le vernissage et beaucoup d’anciens élèves de l’ESADHaR et du master de création littéraire étaient là.
Solène Langlais est graphiste ; elle a dessiné le logo de Ouest-Track Radio.
Elle a passé son diplôme en 2019 avec un travail sur la famille parfaite, « le mode de vie hétéro-normal ». La pièce Family relaxing on sofa se présentait ainsi : 2000 pages sur un socle et proposait « d’épuiser cette image normale de manière collective. Chaque visiteur.euse est invité.e à se saisir d’une feuille, faisant ainsi diminuer le stock et décomposant la famille jusqu’à sa disparition. »

Ringside seat, visible au Tetris au Havre jusqu’au 29 mars 2025, est la première exposition personnelle de Solène Langlais. Le sujet, servi par deux vidéos – un cut-up à partir de treize films parlant de boxe et une sorte de chorégraphie qui « reprend les codes du shadow boxing »-, des objets, et des textes, est la boxe que la jeune femme pratique en amateure.

La performance consistait en la présentation et l’installation dans l’espace de textes brefs par Solène Langlais marchant posément, voire lentement, en talons hauts argentés, court short rouge et petit haut blanc. Ces textes sur « dix panneaux recto-verso reprenant des répliques de films de boxe. Initialement adressées aux boxeurs, elles prennent un double sens sorties de l’écran. A travers cette oeuvre, elle interroge le Male Gaze. »
Cette performance : pour moi,
un moment d’audace par le temps long recherché, le rythme lent voulu, dans un monde où si cela ne va pas vite, c’est mort, vu notre faible capacité de concentration et/ou notre envie de toujours plus vite passer à autre chose.
Mais ce n’est pas que ça :c’est aussi la place des corps, de la femme et de l’homme dans ce sport.
Un moment de courage puisque, même si le public ici était un public de vernissage, constitué presque uniquement de créateurs ou assimilés, de copains, ils et elles ont vite parlé, bu un pot, mangé un morceau pendant ce temps…

Une belle pièce, pleine de sens. A ne pas survoler, à voir, à lire vraiment. Dans chacun de ses éléments.

Un vin, des livres – février 2025- 3)

Déjà, un oubli dans les textes étrangers :
Les romans historiques de l’Américaine Marie Benedict qui redonnent leur place aux femmes:
Madame Einstein,
La femme qui en savait trop 
sur Hedy Lamarr
L’affaire Mitford

Romans français – presque que de femmes ! – :
– Anatole Bernolu a disparu de Pauline Toulet, éditions Le Dilettante. Un premier livre : un jeune fait un travail d’anthropologie sur les marabouts à Paris, écrit sur Levi-Strauss, possible assassin de ses collègues. Par ailleurs, « Perecien », il ne prend et ne descend que dans les stations de métro sans E…
On l’a compris : loufoque et sympathique.
– Madelaine avant l’aube de Sandrine Collette, 2024, chez J.C. Lattès. Prix Goncourt des Lycéens 2024. « très bien écrit ». dans un petit village paumé, dans un temps indéfini mais qui pourrait être le Moyen-Age, une sorte de conte. Une fille rebelle fait bouger les lignes.
– Frapper l’épopée d’Alice Zeniter, Flammarion 2024. Cela se passe en Nouvelle-Calédonie. Une enseignante revient sur cette île et travaille dans une classe avec des jumeaux kanaks.
– Pietra viva de Leonor de Recondo, 2013 chez Sabine Wespieser, trouvable en Folio. 1500 : Michel Ange quitte Rome pour trouver à Carrare le marbre pour le tombeau du pape Jules II. « Superbe ; j’adore tout ce qu’elle écrit » 
– Il n’y aura pas de sang versé de Maryline Desbiolles, 2023 Sabine Wespieser, trouvable en Livre de poche : la première grève de femmes. A Lyon, deux ans avant la Commune. L’histoire de 4 femmes « ovalistes », une Italienne et trois Françaises d’origine très modestes. « très humain et féministe »
– Les roses fauves de Carole Martinez, Gallimard 2020, et en Folio. Ecrit comme un conte, faisant écho à son premier roman, Le coeur cousu. Trois histoires se mêlent, celle de l’auteure écrivant ce roman, d’une postière en Bretagne, de ce qui s’est passé en Andalousie.
Quand même … deux textes d’hommes :
– La barque de Masao, dernier livre sorti d’Antoine Choplin, éd. La fosse aux ours. Mais TOUT Choplin est de la même délicatesse et donc à lire.
– Les guerriers de l’hiver d’Olivier Norek, éditions Michel Lafon. Son premier non-polar. Sur la guerre en 1939, entre la toute petite Finlande et la très grande URSS, avec Simo, un petit paysan, transformé en sniper, surnommé « la mort blanche » et devenu une légende. Evident parallèle avec l’actualité.

Le Jeudi 6 mars, 18h, prochain Un vin, des livres.