Un Emmanuel Venet : P U N° 145

Marcher droit, tourner en rond d’Emmanuel Venet, paru en 2016 chez Verdier est maintenant dans la collection de poche de cette grande maison d’édition, grande par ses choix.
Emmanuel Venet est psychiatre. Il a pu écrire des textes théoriques. ici, il s’agit de fiction. Le long monologue intérieur d’un homme d’une quarantaine d’années, atteint du syndrome d’Asperger et voyant donc le monde de manière spécifique. Il rumine, au moment de l’enterrement de sa grand-mère, sur elle, sur sa famille, leurs notions de respectabilité et d’amour. Il voit leur insincérité, leurs côtés étriqués. Il évoque sa fidélité à une femme qu’il n’a pas vue depuis plus de vingt ans. Il détaille ses centres d’intérêt, le scrabble, les accidents d’avions civils sur lesquels il sait tout.
C’est drôle et basé sur la connaissance de cette forme d’autisme.

Voilà quelques Poèmes Express venus de ce livre :
Plus personne n’aime grossir. La graisse a peur.
– Tronçonner le symbolique, couper dans le rôle.
– Elle s’était fait envoyer des catalogues de cousines. Le budget permettait d’espérer   une belle qualité.
– Très vieille elle continuait de remuer succinctement, maigrir et cracher.
– Céder à une dame entre la tour de contrôle et l’avion.

La Pièce Unique N° 145 est offerte à Céline L. à l’occasion d’un travail en commun qui se passe pour le moment de façon plutôt rigolote, mais qu’elle accomplit très sérieusement. Je l’en remercie.

Memoria, le film (2021)

Memoriale dernier film d’ Apichatpong Weerasethakul, est différent des précédents en ce qu’il tourne pour la première fois avec des acteurs professionnels internationalement reconnus. Mais ces acteurs, il les filme comme des inconnus : de loin, sans insister. On pourrait presque ne pas reconnaître Jeanne Balibar, Même Tilda Swinton, le personnage central, Jessica, est prise le plus souvent à une certaine distance.
Première fois également qu’il tourne à l’étranger : en Colombie : Bogota, des rues, une galerie d’art, un auditorium, un restaurant puis dans la montagne, dans un village, dans un tunnel, près d’une rivière. Des lieux où on accompagne Jessica sans savoir pourquoi, sans qu’il y ait une raison explicite. Et ce n’est pas gênant, on est bien avec elle.

Memoria, c’est aussi – ou surtout – une bande-son. Le film commence avec un bruit fort, comme un coup, qui réveille Jessica. Ce son reviendra plusieurs fois, quand elle est seule ou quand elle est avec des personnes qui, elles, ne l’entendent pas. Nous, spectateurs, devenons super-attentifs, écoutons plus, en alerte, entendons de ce fait mieux l’orage, l’eau de la pluie, de la rivière.

Memoria, c’est une lenteur, une longueur des séquences mais qui ne pèse pas. C’est du calme. On ne s’attend à rien, on n’attend rien, on est dedans.

 

Chat Bleu : janvier 2022 -2)

Ensuite, ce jeudi, on  a surtout pointé des livres français, voire régionaux  avec :
– Philippe Besson : Paris-Briançon, Julliard 2022 : l’intrigue se passe, comme chez Hiro Arikawa, dans un train. Mais un train de nuit. Besson se sert du huis-clos pour créer le mystère : on ne maîtrise pas son destin.
– Un homme d’Ouessant d’Henri Queffelec (1910-1992) : un livre de 1953, « magistral, puissant » sur une Bretagne dure, miséreuse.
– Armen de Jean-Pierre Abraham (1936-2003) : « un très beau livre » dans lequel Abraham raconte sa vie de gardien de phare
Après la Bretagne, la Normandie :  Une enfance havraise, chronique des années 50  de Vincent Colin, aux éditions L’Harmattan, 2021. La carte, la crème et les hannetons  de Christophe Wargny, aussi sur les années d’après-guerre, le quotidien. Ma grand-mère paysanne, ccontes normands, parus en 1954, de Jehan Le Povremoyne (1903-1970).

On a visité les « grands », mais autrement, avec :
– Balzac et moi de Titiou Lecoq, journaliste, féministe, au Livre de poche en 2021 : le Balzac bourreau de travail  parce que toujours sans argent. Dandy comme Baudelaire.
Crénom, Baudelaire ! de Jean Teulé, en J’ai lu, 2021. Dandy détestable. Sa fascination pour le néant.

Et aussi :
– La carte postale d’Anne Berest, 2021, Grasset. Une histoire familiale, la recherche de ce qui s’est passé.
– Le cerf-volant de Laetitia Colombani , 2021, Grasset : une femme va enseigner en Inde auprès d’enfants très défavorisés.
– Le service des manuscrits d’Antoine Laurain, Flammarion 2020, maintenant en J’ai Lu : une éditrice reçoit un manuscrit. Elle ne sait pas de qui. Des meurtres ont lieu et tout se passe comme dans le livre.

On est enfin repartis vers l’international :
– Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse, 2019, éditions Noir sur Blanc : sur Vivian Maier (1926-2009), cette femme américaine qui a photographié pendant des années sans jamais montrer, et dont le travail a été découvert après sa mort.
– La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey (Paris) et Jimsaan (Dakar). Prix Goncourt 2021  : sur l’écriture, un face à face entre Afrique et Occident.
– La force des femmes de Denis Mukwege, 2021, éditions Gallimard : ce gynécologue et chirurgien témoigne de ce que vivent les femmes en R D C où le viol est utilisé comme arme de guerre.
–  Clara et le soleil de Kazuo Ishiguro, traduction de Anne Rabinovitch, 2021, Gallimard : des amies artificielles à vendre, la « vie » de l’une d’elles.

Un Chat Bleu ? Le 24 février, vous venez ?

Expo : Eric Enjalbert

Bon, ça, c’était le vernissage mais vous pouvez, non, vous devez aller voir ces « petites planètes » : c’est jusqu’au 27.
C’est beau, c’est coloré, c’est stimulant. C’est voyeur un peu aussi, enfin, tout est relatif. Vous pénétrez chez des artistes, bd-istes, marionnettistes, comédiens ou simplement personnes qui travaillent chez elles et pour qui l’intérieur a de l’importance.
C’est format carré, 110 X 110, Cela pourrait être 350 x 350 sans aucune déformation ni perte.
Eric Enjalbert est, rappelons-le, la cheville ouvrière de Rue du Départ : concepteur de ce site-blog, maquettiste de tous nos livres. Un ultra perfectionniste qui fait un super boulot .

Chat Bleu : janvier 2022 – 1)

Un Chat Bleu sous le signe de l’ailleurs :
par ses vins : Nsenga avait choisi un rouge, grenache espagnol, dans le fruit, pas si charpenté. Un mono-cépage, à 30% vieilli en tonneau de chêne : La Maldita.
Le blanc, bio, Magda, du domaine Besombes, était de la côte catalane française. Plutôt sec, un peu minéral.
Ils accompagnaient un super cake au reblochon et petites graines, torréfiées dans le four solaire de l’entreprise Néo Loco.

par les livres : deux Américains et un Japonais.
Le visage de pierre de William Gardner Smith (1927-1974), éditions Christian Bourgois, 2021, paru aux USA en 1963. Traduction de Brice Matthieussent. Le personnage, Afro-américain, vient vivre en France au début des années 50. Il y trouve une vie agréable : sa couleur ne le pénalise pas. Il s’aperçoit par contre que les Français se montrent aussi racistes vis-à-vis des Algériens que les Blancs américains vis-à-vis de lui. Il rend compte entre autres de la manifestation du 17 octobre 1961 ( ce qui explique, sans doute, le tardif de la publication française… ).
Il s’agit d’un roman mais clairement documenté par le vécu de l’auteur qui a rencontré, à Paris, Baldwin et Wright.
Le titre renvoie au visage du Blanc, raciste, haineux.

Tu ne désireras pas de Jonathan Miles, éditions Monsieur Toussaint Louverture, traduit par J.Ch. Khalifa, 2021. Ce roman, trois histoires mêlées, a été édité en 2013 aux USA. Nous sommes côte Est, dans trois ambiances différentes : avec un universitaire presque obèse séparé de sa femme, un jeune couple qui squatte à New-York, une veuve du 11 septembre remariée à un homme d’affaires un peu « beauf » et véreux. On rit assez souvent, par exemple du jeune voisin dont hérite le prof de fac, On comprend son père, érudit, atteint d’Alzheimer, dans sa maison de retraite. On reconnaît la façon dont certains jeunes parlent à leurs aînés avec la belle-fille du business-man. On frémit pour elle à un autre moment.
Tu ne désireras pas est un bon roman qui place le lecteur face à des milieux aux idéaux opposés, dans une société qui jette et ne sait quoi faire de ses déchets, nucléaires ou quotidiens. Remarquez le choix esthétique de l’éditeur : le livre est broché, recouvert de tissu imprimé.
– Au prochain arrêt de Hiro Arikawa, traduit par Sophie Refle, chez Actes Sud, 2021 : un trajet de train nous permet d’entrer dans la société japonaise d’aujourd’hui, de comprendre la relation amoureuse, la place de la personne âgée, et ce qui est gênant socialement. Très facile à lire et intéressant.

Prochain Chat Bleu prévu le 24 février.