Un Pierre Ducrozet : P U N° 131

Partir léger, un an de chroniques dans Libération, paru chez Actes sud en 2020 est la Pièce Unique N° 131. Pas un roman, donc mais de courts textes en lien avec le voyage. Interviewé sur France Inter, Pierre Ducrozet disait : « Voyager, c’est apprendre que l’on n’est rien du tout. » Il doit avoir besoin de le ré-apprendre assez souvent puisque il en est à plusieurs « tours du monde ». Dans celui-ci, il dit la vie du corps sur l’ Anapurna comme dans Kao San Road à Bangkok, nous fait côtoyer Henri Michaud et Nicolas Bouvier, dit son admiration de Patrick Deville. Il parle aussi d’écologie, de politique et un peu de la pandémie puisqu’elle a arrêté son périple au Japon.

Quelques « Poèmes Express » issus de Partir léger :
– Lu l’histoire d’une boîte à outils, un programme de vie.
– S’apercevoir que le 
je en a plein le cul du toi. Tes mains, épaules, couettes. T’écarter.
– Un regard suisse imaginait les tropiques.
– Des milliers se tordent, giclent et s’emportent.
– Son odeur avait une épaisseur. On vient de prendre une bière.
– Le sidérant se noue, l’impardonnable s’efface, il y a crise.

Partir léger, en P. U. 3 en 1, est envoyée à Martine S., rencontrée à écrivains en bord de mer, pas vraiment par hasard.

Anouk Langaney et la P U N° 124

Catherine, entre deux publications voyageuses aux éditions Rue du départ, concocte des pièces uniques : des livres augmentés de collages et d’annotations, conçus comme autant de cadeaux. Elle m’a offert sa pièce unique n°124. La matière première en est « La lenteur », de Milan Kundera. Du 20 février au 18 mai 2021, comme l’attestent les dates qui figurent en bas de page, Catherine a fréquenté, humé, goûté et soupçonné ce livre. Dans sa pièce unique, elle m’offre le roman, mais aussi le précipité de sa propre lecture : associations d’idées et d’images, reconstruction d’une pensée personnelle dans les mots de l’autre, sous forme de poèmes ou d’aphorismes. Et maintenant, débrouille-toi. C’est une expérience réjouissante, qui a quelque chose d’intimidant : comme Kundera lui-même dans le roman, je passe la nuit dans le château d’une autre.
L’affaire est d’autant plus vertigineuse que la question du regard et du secret est au cœur de ce roman déroutant, libre et drôle. Pour quoi, par qui sommes-nous pressés ? Une nuit d’amour vaut-elle une réputation ? Une bonne histoire vaut-elle une nuit d’amour ? Peut-on être héroïque à force de lâcheté ? La présence d’esprit est-elle soluble dans le chlore ? La sodomie est-elle l’affaire des entomologistes ?
J’ai joué le jeu de mon mieux : je l’ai lu très lentement. Décortiqué et savouré, comme une espèce rare d’écrevisse. Je ne me sens pas sortie du piège, loin de là (si je l’étais, ce n’est pas ici que je le dirais). Mais il me semble que je le vois mieux.

Merci encore, Catherine, de m’avoir ralentie (Tu m’as demandé si je trouvais le roman sexiste : pas vraiment. Dans la farce contemporaine du congrès, il n’y a personne à sauver. Hommes et femmes grouillent et vrombissent, tous cherchent à épingler les autres sur leurs tableaux de chasse respectifs par une conquête ou une bonne vanne – bref, une saillie. Pendant ce temps, dans les allées du Parc, Madame de T. et son amant passent entre les mailles du filet. Dans cette strate du récit, la seule où il soit question de plaisir véritable, la répartition des rôles, des désirs et des volontés me semble plutôt équilibrée.

Un Sholem Aleikhem : P U N° 130

Le traîne-savates et autres contes ferroviaires, publié par Liana Levi, est la Pièce Unique N° 130. Ma première lecture de Sholem Aleikhem (1859-1916). Cet auteur né en Ukraine est mort à New York. Malgré sa judéité et le numerus clausus, il a pu étudier. Riche par son mariage puis ruiné, il a dû vivre de sa plume et a énormément écrit, toujours en yiddish.
Cet ensemble de nouvelles est composé de textes datant de 1902 à 1911. Il consiste en histoires racontées et conversations entre Juifs dans des gares ou en train, en troisième classe. C’est plein d’humour mais décrit très bien leurs conditions de dépendance et de danger. Sholem Aleikhem se moque aussi subtilement de ses coreligionnaires.

Voilà quelques « Poèmes Express » venus de ces textes :

Doux, l’homme bourré de Dieu.
– Pour sortir de l’oeil, deux pieds se bousculent.
– Que je prenne femme et c’est l’agitation du rêve.
– Pendant l’histoire est arrivé le temps.
– Incendies, une centaine de sinistrés un matin où il m’offrit du feu.
– J’ai donc pris un avocat pour l’entendre penser.
– J’ai perdu par tous les trous la vie. J’ai une certaine tendance à la mort.

Ce livre – 3 en 1 – est envoyé à un libraire (libraire, un jour, libraire toujours) qui aide quelques fois Charlotte de La vie devant soi pendant Le festival écrivains en bord de mer. Jean-Pierre Suaudeau, très gentiment enthousiaste, lui a montré sa Pièce Unique et Alain Girard-Daudon a accepté d’en recevoir une.