Keun, Dagognet et Gran :

Les éditions du Typhon ont, en 2021, sorti Une vie étincelante, et, en 2023, à l’occasion de la création de leur jolie collection de poche « Soleils noirs », ressorti ce texte d’Irmgard Keun. Cette autrice allemande (1905-1982), avant l’arrivée des nazis au pouvoir, avait connu un grand succès pour ce livre. Féministe dans un temps qui l’était peu, elle parle là d’une jeune femme libre, vivant son corps un peu à la manière des hommes. Les nazis ont censuré ce livre. Elle s’est exilée, a publié en 1937, grâce à des éditions allemandes installées aux Pays-Bas, puis en 1939 en France Après minuit, un livre éminemment politique qui dit énormément sur le nazisme au moment même où il sévit.
Il est super de retrouver des auteur(e)s qui ont marqué leur temps et peuvent nous le faire comprendre. Il est super de retrouver des auteur(es) oublié(e)s.

Fraternité de Luc Dagognet est un premier roman paru aux éditions Do en 2023. Il m’a, au départ, fait penser à Luc Chomarat quand il est bon. Le personnage principal travaille dans la pub. Le point de départ est le bruit qui le gêne et fait monter entre un voisin et lui, pourtant pas très courageux, une « guerre ». Plus loin on est à la limite du fantastique, dans les catacombes et des jeux vidéo. Dagognet a des formules humoristiques qui vont bien avec l’humour de son éditeur. Exemple : une définition des stimuli : « notre coup de marteau sur le tendon rotulien de votre opinion »

Voyage clandestin avec deux femmes bavardes de Iegor Gran, éditions P O L, paru en 2023, traite de l' »opération spéciale » en Ukraine à travers les comptes Twitter – normalement interdits – de deux femmes russes. Des femmes qui existent. On est dans une sorte de document. Grâce à ces réseaux sociaux, on peut avoir une idée des différences à l’intérieur de l’opinion publique en Russie. L’une est totalement pro-Poutine, » le réunificateur des terres russes », l’autre pas et doit faire attention à ce qu’elle dit dans son quotidien et à ce qu’elle poste.
Iegor Gran, fils du dissident Andreï Siniavski, et auteur du merveilleusement drôle Les services compétents a, dès le début de cette guerre, pris position avec Z comme Zombie contre son horreur.

Chat Bleu d’octobre 2023 – 1)

Une vie étincelante d’ Irmgard Keun,

Fraternité de Luc Dagognet


 

 

 

 


Voyage clandestin
avec deux femmes bavardes de Iegor Gran sont les trois livres présentés cette fois.

 

 

 

Je reviens !

Hugues Pagan au Havre

Hugues Pagan reçoit aujourd’hui deux prix : celui des Ancres Noires 2023 et  le prix des Robes Noires, décerné par avocat(e)s, greffier(e)s et juges du Havre, Une première ( grâce à maîtres Haussetete et à Nelly Dassonville ), et nous l’espérons, pas la dernière collaboration avec le festival du Polar à la plage.

Hugues Pagan a écrit 13 romans, recueils de nouvelles et des scénarios.
Dans  Le carré des indigents, aux éditions Rivages, on retrouve son personnage : Schneider, « un policier intègre« .

« Je parle pour ceux qui ne peuvent pas parler » dit Pagan. Et aussi :
« J’ai un style rugueux parce que je raconte rugueusement des choses rugueuses. Et puis c’est mon style, voilà tout. Quelqu’un m’a dit un jour que j’écrivais comme un écrivain du XIXème siècle. Je trouve que c’est un super compliment ! » (…)
« Gide disait que la forme, c’est le fond qui remonte. Je suis d’accord avec ça. »

Hugues Pagan est effectivement un des auteurs français pour lesquels la distinction littéraire entre la noire et la blanche ne fonctionne pas. Il écrit sur une société rarement belle et juste mais c’est beau.

Emission de G. Erner :

Ici, normalement, je ne me montre que positive
MAIS …
dans l’émission de Guillaume Erner de ce jour, en lien avec la mort de Dominique Bernard :
Camille Taillefer, 20 ans d’enseignement, se montre pleine de passion.
Elle est entourée d’un inspecteur d’académie honoraire et d’un professeur de collège, secrétaire général de l’APHG, tous deux bien plus ternes et donneurs de leçons.
Le collègue se permet de dire qu’elle a été longue dans son intervention. Le manspreading ne lui pose pas de problème, le womanspreading, si, apparemment.
Il a cette façon insupportable de parler en faisant entendre en même temps la salive ravalée. Je m’imagine élève, en cours avec lui…
Les deux hommes faisaient, pour moi, très « voix de son maître ». La norme, la loi, une forme de pompe, pas vraiment l’investissement dans son travail…

Mais c’est moi, sans doute…

Hubert Reeves : Le P. F. H.

Hubert Reeves, l’astrophysicien, vient de mourir à 91 ans.
Il avait créé le concept de P F H.

P F H = « Putain de Facteur Humain »
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Un Alexandre Friederich : P U N° 186

Trois divagations sur le mont Alto, ces textes sont écrits en 1999 après des balades en solitaire, en vélo et en montagne.
Description de paysages, relation à l’effort, au voyage en toute conscience.
De jolies images : P. 28 :  » dans l’herbe, les pêcheurs habillés de caoutchouc forment de petites taches molles. »
P. 68 : «  La caravane ressemble à une gélule lunaire. »  P. 69 : « Il y a des vaches; Organisées en archipel. Elles se remplissent. Elles paissent une herbe encore sombre. Elles se vident. Elles flottent. »
Ces
récits poétiques et un peu misanthropes sont édités en 2006 chez Harpo et Héros Limite.
Harpo est maintenant dans le Vaucluse et Héros Limite toujours à Genève.

Alexandre Friederich est né en Suisse en 1965 mais vit dans le monde entier depuis toujours. Une de ses dernières  publications est en 2021, Naypyidaw aux éditions B2, sur l’étonnante nouvelle capitale birmane.

quelques Poèmes express
nés de Trois divagations sur le mont Arto :
– La vie, prenez-la et reniflez-la. Regardez son au-delà.
– L’écrivain habite le désordre, le tisse. Et repart.
– J’ai regardé les touristes dénués d’éternité : cosmétiques, mémoire vidangée.
– Dans des chalets, l’histoire reclouée par les gestes qu’on fait le soir.
– Chambre 60 parmi les habits, les cendriers. Mes narines brûlent.
– Les deux pans de la vallée mâchent leur paysage, entassent l’histoire.
– La pluie croise peu d’habitants : traverse la rue, tape contre la montagne.

La P. U. N°186 est offerte à S. qui vient d’ouvrir, au Havre, Les vivants, un espace où trouver vins natures et livres de bonnes maisons d’éditions indépendantes, comme DO ou LE TYPHON (ou non indépendantes, comme CAMBOURAKIS, P O L…), des romans et des essais autour du vin, de l’écologie et du féminisme.

Carole Fives – Le jour et l’heure

Carole Fives était hier à la Galerne pour Le jour et l’heure , paru chez J.CL.Lattès en septembre 2023.
Un voyage à Bâle… pendant le carnaval
Un voyage en voiture
Un voyage en famille
mais pas n’importe quel voyage :
pour Edith, la mère,
le dernier, voulu, souhaité du fait d’une maladie dégénérative.

On n’a jamais le point de vue d’Edith,
On a celui des 4 enfants adultes et du mari.
Presque tous sont médecins
Presque tous ont du mal à comprendre et accepter cette décision.

Carole Fives a commencé ce livre en 2017 quand une amie a vécu ce voyage vers l’association suisse Pegasos qui pratique la « mort volontaire assistée ». Elle s’est résolue à le publier au moment de la convention citoyenne, de l’éventualité du projet de loi sur l’aide active à mourir.
Elle a admiré cette femme et souhaitait montrer combien la mort est tue en France.

Chat Bleu – septembre 2023 – 3)

Enfin, voilà les auteurs français ou francophones, romans et essais :
– Triste tigre de Neige Sinno, P O L 2023 : « un texte qui pose beaucoup de questions, dont celle du plaisir » dans des circonstances épouvantables.
– L’allègement des vernis de Paul St Brice, éditions Philippe Rey, 2023 : « Pas un grand roman mais jouissif. Des personnages secondaires très attachants, très léchés. Ainsi, Omero, l’homme de ménage qui danse avec son auto-laveuse dans le Louvre. »
– Coeur de Sahel de Djaïli Amadou Amal, J’ai Lu 2023 : au Cameroun, la vie d’une enfant et, plus largement, des domestiques.
– Ceci n’est pas un fait divers de Philippe Besson, Julliard 2023 : un féminicide. La place des enfants, leur sentiment de culpabilité. « Poignant mais dit sans pathos »
– Le petit foulard de Marguerite, de Colette Fellous, Gallimard 2022 : le livre d’une amie.
– La vie matérielle : Marguerite Duras revisite, avec Jérôme Beaujour, son enfance, les villes, les personnes, sa réussite. P O L 1987, trouvable en Folio.
– La mer écrite : texte de Marguerite Duras et photos de Hélène Bamberger, éditions Marval, 1999. Elles se sont rencontrées à Trouville un été des années 80 et se sont promenées.
– V13 d’Emmanuel Carrère, P O L  2023 : l’observation pendant les neuf mois de procès (2021-2022) de l’attentat du 13 novembre 2015 . Trois parties pour en rendre compte : les victimes, les accusés et le jugement. « C’est très fort ! »
– Les exportés
de Sonia Devillers, en J’ai Lu. Le premier livre de cette journaliste à France Inter. Histoire roumaine et histoire de sa famille : quand, au temps du communisme, des Juifs sont échangés contre des cochons.
– Les lettres hébraïques d’iris Slomka Saguy : entre psychologie et spiritualité. A lire par petits paragraphes.
Correspondance Flaubert-Tourguéniev, éditions Le Passeur : ils ont la cinquantaine, parlent de leur quotidien, de leurs méthodes de travail, s’écrivent de Croisset, Paris, Moscou ou Bougival,
– La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck (1862-1949) Prix Nobel 1911- en Archipoche, 2020 : « Une langue magnifique » dit G
Notre guerre civile de Judith Pérignon, Actes sud : ses chroniques sur Louise Michel. « Un portrait et une belle réflexion sur la force de l’utopie. »
– Croire – sur les pouvoirs de la littérature – 
de Justine Augier, Actes Sud : quand « la littérature fait tenir ensemble ». D’elle également et chez le même éditeur : De l’ardeur, sur Razan Zaitouneh, avocate syrienne disparue.
De Pierre Bourdieu : Esquisse pour une auto-analyse. 2004, éditions des raisons d’agir. Texte écrit peu de temps avant sa mort. Transfuge de classe, il parle de filiations, réelle et intellectuelle.
– Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, de Didier Eribon, Flammarion 2023. Sur sa mère. « Moins fort que Retour à Reims ».

Le prochain est prévu, jeudi 19 octobre, à 18h30.

Terres de paroles 2023 – jour 1 – suite

Michelle Perrot et Eduardo Castillo étaient là pour Le temps des féminismes paru chez Grasset en janvier, né de 14 entretiens d’à peu près deux heures entre l’historienne et son ancien étudiant, intellectuel chilien à l’origine de cet ouvrage.
Les noms d’Olympe de Gouge, Marceline Desbordes-Valmore, George Sand, Flora Tristan, Marguerite Durand, Julie-Victoire Daubié ont émaillé leur conversation. Si certains sont évidents, d’autres le sont moins : ainsi J-V. Daubié ( 1824-1874), la première bachelière, journaliste économique qui écrira sur la femme pauvre et les métiers des femmes.

Les frontières à franchir pour les femmes ? : elles sont « constantes, la domination masculine est réactualisée à chaque époque. » (…) « Les femmes ne sont pas vues comme créatives, sont pensées non comme des individus mais dans des familles, et un Nietzsche peut écrire :  » les femmes font des enfants, les hommes font des livres. ».


La première conquête des femmes ? : «  la lecture puis l’écriture. L’écriture épistolaire, privée » (…) La ruse sera nécessaire pour entrer dans l’espace public. »


Une modification du travail historique  : « Les femmes étant dans l’obscurité, le silence, avec quelles sources va-t-on faire cette histoire ? » : « on élargit la notion de sources : privées, judiciaires, littéraires. » (…) « on a commencé avec les femmes victimes », « les femmes de science, angle mort de l’histoire, celles qui ont fait ce que leur mari a revendiqué » – Cf. L’effet Matilda, livre jeunesse de Ellie Irving- 2017-

 

Michelle Perrot : une historienne féministe ? : « Non, je suis historienne ET féministe. L’histoire, c’est une démarche, une méthode, des règles, c’est souvent penser contre soi-même. Il s’agit de comprendre les rapports entre les hommes et les femmes à travers le temps. »
« Le féminisme est une PENSEE, pas seulement une action »

 

Terres de paroles 2023 – jour 1

Terres de paroles 2023 – conseiller artistique et littéraire : Rémi David – est sous l’égide d’une phrase de Jacques Prévert : « Notre vie, c’est maintenant ».
 Pourtant, le festival s’inscrit déjà dans le futur en annonçant sa prochaine édition : du 1er au 8 JUIN 2024.
Les deux premières journées du festival – 30 septembre et 1er  octobre – se passent, comme l’an dernier, dans le cadre somptueux – et ensoleillé – de l’abbaye de Jumièges.

Premier interviewé, Dany Laferrière lance tous ses feux, plaisanteries, formules brillantes, aphorismes. Un truc à vous réconcilier avec l’Académie française… :
« L’écrivain, c’est le lecteur » Mais aussi : « Le lecteur n’est pas mon ami, c’est une illusion. »
« Quand un Japonais me lit, je deviens Japonais. »

A ceux qui lui reprochent son insouciance quand Haïti sombre : « Que je sois malheureux n’aide en rien Haïti » (…) « J’ai toujours voulu garder la fête » (…)
« Les pauvres ne s’attendent pas à lire un livre de pauvres » (…) « avec mon écriture, j’essaie de sortir Haïti de l’engrenage où la dictature l’a mise »(…) « je me suis astreint à ouvrir les fenêtres »(…) « Le problème est l’enfermement de la pensée. Haïti a cessé de rêver. »

Quand on lui a proposé de travailler sur le racisme, il a d’abord dit : « Je ne peux pas être la maladie et le remède », et puis est venu Petit traité de racisme en Amérique », éditions Grasset, janvier 2023.
George Floyd est mort en mai 2020 : « c’est un spectacle et le spectacle ne m’intéresse pas. » (…)  » Le racisme est la préméditation. Tous les matins, 47 millions de personnes savent que l’histoire n’est pas passée. » : « les choses se répètent. »
« Le racisme, c’est de l’économie » (…) « on vous dit noir pour déprécier la marchandise. »

« Ecrire est une longue affaire, un tissage de jours et de nuits. »

« On ne lit pas un livre, on est lu »

Le 18 octobre sort Un certain art de vivre.