Chat Bleu – novembre 2023 – 1)

Avec un verre de Bourgogne :
en blanc, une Haute-côte de Beaune, cépage Chardonnay, sec, minéral
ou
en rouge, un Pinot noir, charnu, présent en bouche,
tous les deux vieillis en fût de chêne
nous avons parlé de :
– C’est bien écrit ! d’Andreï Siniavski, aux éditions du Typhon, 2023. Avec une préface de Iegor Gran qui, il y a quelques années, a écrit Les services compétents (éditions P O L), le récit romancé et très drôle des difficultés qu’ont eues les services secrets pour arrêter son père. Siniavski (1925-1997) a fait 6 ans de camp pour « agitation antisoviétique ».
Ce volume contient deux novellas : Graphomanie et Le verglas, écrites en 196O, 6 ans avant cette arrestation..
Dans la première, les personnages ne lisent pas, écrivent tous, mais ne sont pas publiés.  P. 29 : « je suis né pour la poésie »… »on est tous nés pour ça ! Un penchant naturel pour les belles lettres ! Sais-tu à qui on le doit ? A la censure ! Oui, c’est elle, notre chère, notre tendre petite mère, qui a pris soin de nous tous. A l’étranger, c’est plus simple, plus impitoyable. Un lord quelconque publie un livre de vers libres, tout de suite on voit que c’est de la merde. Alors personne ne le lit, personne ne l’achète »(…) »tandis que nous, nous passons notre vie dans une agréable ignorance, à nous flatter d’espoir…C’est merveilleux ! L’Etat lui-même, que le diable l’emporte, te donne le droit – un droit précieux – de te prendre pour un génie méconnu. »
Dans la deuxième histoire, le narrateur, tout à coup, se trouve en capacité de voir et le passé,  vies antérieures comprises, et le futur des personnes qu’il croise.
On est loin là du « réalisme soviétique ».
L’humour et le fantastique  pouvaient vous envoyer en camp en U R S S …
Par ailleurs, remarquez l’esthétique de la première de couv’ !
– Troubler les eaux de Frédéric Lavoie, La Peuplade éditions, 2023. Ce journaliste canadien, vivant et à Montreal et à Bombay, écrit là un essai à partir de son expérience au Bangladesh avec des fixeurs. Il se pose des questions déontologiques : comment rendre compte, comment pratiquer le journalisme dans un pays pauvre, avec des interlocuteurs de classe sociale et de culture différentes des vôtres.
.- MURmur de Caroline Deyns, éditions Quidam, 2023 : roman en deux parties.
Une première sans pagination, un texte en colonne étroite, centrée où celle qui écrit dit « je » et parle de son emprisonnement pour avoir perdu son bébé du fait d’une fausse couche.
La deuxième partie reprend la forme habituelle et raconte l’histoire de « GrandeEnfant » que « Garçon » a forcée. Elle a attendu un enfant et a avorté avec l’aide de sa mère et d’une autre femme.
Et là, nous sommes dans une histoire vraie : celle du procès de Bobigny dans lequel Gisèle Halimi est intervenue.
Roman, certes mais basé sur des faits réels, sur le constat que les femmes, auparavant ou maintenant, dans maints pays, n’ont pas de droit sur leur propre corps.

La suite du Chat Bleu de novembre bientôt…
Le prochain Chat Bleu devrait avoir lieu jeudi 14 décembre.

 

Réveillez-moi !

On est en plein cauchemar,
OK, vous l’aviez déjà remarqué.
Mais il y a toujours pire,
j’entends vis-à-vis des femmes  :

  • Israël – par Haaretz, relayé par France Culture aujourd’hui  et en cherchant – mais on ne trouve pas l’info très vite : dans Times of Israël :
    « Les Tazpitaniyot
    (= soldates de surveillance de l’armée israélienne)
    estiment que leurs avertissements ont été ignorés par sexisme
    .
    Selon un reportage diffusé vendredi, les hauts gradés ont refusé de tenir compte des avertissements des jeunes soldates chargées de surveiller la frontière de Gaza dans les semaines qui ont précédé le massacre brutal perpétré par le Hamas le 7 octobre, et les soldats estiment que cette ignorance s’explique en partie par une forme de sexisme.

Loin de cacher ses plans d’attaque, le groupe terroriste du Hamas s’entraînait au vu et au su de tous. Les soldates du Corps de défense des frontières qui ont tiré la sonnette d’alarme ont déclaré au quotidien Haaretz (hébreu) que selon elles, le sexisme a joué un rôle dans le fait qu’elles n’ont pas été écoutées. »

  • Argentine – Javier Milei, l’homme à la tronçonneuse, le président tout juste élu, celui qui veut que l’Etat ne s’occupe de rien, semble vouloir s’occuper du sort des femmes ! :
    « Opposé à l’avortement, qui a pourtant été légalisé fin 2020 en Argentine, il compte pour cela organiser un référendum pour abroger la loi après son élection. » :  Huffington post

Déserter – Mathias Enard – extrait et rapprochement

Mathias Enard – Déserter :
« avant la guerre c’était un pauvre type d’une famille de pauvres types, dès le premier jour de la guerre il portait une arme, dès le premier jour,
sans uniforme, il portait déjà une arme,
dès la première aube avec d’autres il battait à mort,
dès le premier soleil ils chargeaient sur des camions,
dès le premier soir ils assassinaient en bande. »
Rapprochement  avec :
Deux fois dans le même fleuve, essai de Sofi Oksanen , éditions Stock

Un Robert Weis : P U N° 189

Robert Weis, Luxembourgeois, né en 1980, est l’auteur de plus de 50 publications scientifiques traitant de paléontologie.
Ce n’est pas ce qui a fait l’objet d’une Pièce Unique.
Mais son Retour à Kyôto, paru en 2023 chez Transboréal éditions.
Un voyage au Japon, essentiellement une marche sur les chemins de pèlerinages empruntés depuis le XIème siècle, des « grands sanctuaires de la région », sanctuaires bouddhistes comme shintoïstes. P 139 : « la religion indigène, le shintoïsme (…) un amalgame de pratiques puisant dans le cycle de l’agriculture – il n’y avait pas de textes sacrés ni une théologie définie. »(…) » Le shintoïsme oeuvre à pacifier les esprits divins, les kami, dans ce monde, tandis que le bouddhisme s’occupe du salut de l’individu et de l’autre monde. »

Des parcours plus ou moins religieux, aussi portés par la beauté de la nature au printemps, à l’automne. Montagnes, cascades, forêts et temples. Géographie et histoire entrelacées.
P 184 :  » Au Japon, les opposés (…) ne s’excluent pas, mais se complètent » dit finalement Robert Weis : « permanence et changement » se mêlent.

Quelques Poèmes Express nés là :
– Confus ce quartier. Et poche de beauté cette impasse.
– Les poètes s’exhibent devant un panorama en pause bière pression.
– Heures et jours seront buts de chronologie.
– Le mois de novembre est tout entier à photographier.

– A une heure de l’apogée, les tombes.
– Odeur et peau des aliments : spiritualité de cuisinier.

Retour à Kyôto, revu et augmenté, est envoyé à Laurent Albarracin, poète lu dans Catastrophes et aux éditions Lurlure.

Ivar Ch’Vavar- Laurent Albarracin- Emmanuel Caroux

Un très joli petit livre,
joli comme objet : orange tout vif dans la main
joli pour ce qui s’y lit : de faux haïkus, des textes courts, 3 vers
pour dire un animal,
le dessiner avec les mots,
le rendre dans sa forme (la vache), ou
dans un geste (l’éléphant d’Afrique), ou
dans une allure (la cane), ou
dans son nom ( la brebis), ou
dans l’histoire qu’on s’en fait (le chat), ou
dans sa réputation (l’âne)

Beaucoup sont drôles, certains sont émouvants (le cheval attelé, la taupe)

J’y ai même trouvé mon horoscope :
« Il court il court le bélier
sur la spirale de ses cornes
il vient s’affronter à lui-même »

Et la préface de Laurent Albarrracin présente super bien ces petits bonbons.

Phèdre !

PHEDRE ! ‚

au Volcan, encore ce soir et demain, 15 et 16 novembre,
un sorte de ONE-MAN-SHOW  :
Romain Daroles présente Phèdre de Racine,
enfin, le présente, pas seulement,
le joue,
joue tous les rôles
avec comme seul accessoire
un petit livre : Phèdre !
C’est drôle,
et aussi (…pourtant ?…) pédagogique.
C’est une pièce de François Gremaud.

On rit
On est ému
On reçoit même un cadeau

Un Italo Calvino : P U N° 188

Leçons américaines, conférences commandées en 1984 à Italo Calvino (1923-1985) par une université américaine. 5 ont été écrites : Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité. De nombreux écrivains y sont convoqués, de Lucrèce à Gadda en passant par Borgès et Pérec.
Elles sont rassemblées dans la collection Points.

Une de ses phrases m’a particulièrement touchée (dans Rapidité, p.89 : « J’aimerais, quant à moi, rassembler une collection de récits tenant en une seule phrase, voire en une seule ligne si possible »… = ce que veulent plus ou moins faire les Pièces Uniques…

Me touche également ce § dans Visibilité : p149 : « Si j’ai inscrit la visibilité sur ma liste des valeurs à préserver, c’est pour mettre en garde contre le danger que nous courons de perdre une faculté humaine fondamentale : la vision nette les yeux fermés, le pouvoir de faire jaillir couleurs et formes d’un alignement de lettres noires sur une page blanche, l’aptitude à penser par images. » En 1985, Calvino définissait un des plaisirs, personnel, individuel, de la lecture. En 2023, ce plaisir est laissé de côté par beaucoup. Est privilégiée l’image créée par d’autres pour tous. L’individualisme de nos sociétés s’est révélé moins fort que l’immédiateté.

Quelques « Poèmes Express » qui en sont sortis :
– Classée dans une chemise transparente et dans un dossier rigide, la pensée.
– Une femme prend conscience de sa main pleine de laine, de sa légèreté.
– Le cadavre refusait de se faire ensevelir.
– L’économie ne tient compte que de 
l’essentiel; la littérature de l’inverse._
– Je m’en vais relire la nuit, parce que la nuit contient la sensation.
– Revenons à une littérature qui serait origine, oeuf collectif.
– Nous sommes exposés à des images-ordures, à en étouffer.
– L’histoire commence à noircir du papier, l’écrit devient maître des images.
– Les strophes sont comme un tourbillon, comme une pelote qui venait aux lèvres.
– Le projet s’épaissit et se compose de corps occupés.

Cette Pièce Unique N°188 est offerte à M-A qui en a déjà reçu une, charge à elle de … la garder si elle veut… ou la faire passer à une lectrice d’essais, Danielle G., historienne de l’art.

livres en lice pour 2024 : Ancres Noires ET Robes Noires

Voilà les six livres en compétition :

– Le fils du père  de Victor des Arbol, éditions Actes Sud, traduit par Claude Bleton et Emilie Fernandez
– Le régisseur de Jeanne Desaubry, éditions L’Archipel
– Le bureau des affaires occultes d’Eric Fouassier, Livre de poche
– Les corps solides de Joseph Incardona, Pocket
– Promets-moi d’avoir peur de Frédéric Lepage, chez Robert Laffont
– Sans collier de Michèle Pedinielli, éditions L’Aube

Deux femmes pour quatre hommes, la parité n’y est pas tout à fait…
Deux étrangers (un Espagnol, un Suisse francophone) pour quatre Français, là non plus…
Deux déjà en poche pour quatre en grande collection
Des drôles, des effrayants, des historiques, des sociaux…
A vos lunettes ! 

Le Café Crime du 10 novembre – 1)

La Petite Librairie nous accueillait  et nous y avons évoqué plein de bouquins :

ceux sélectionnés par Marie, ceux qu’une lectrice et moi avions envie de mettre en avant et….

CEUX de la sélection des ANCRES NOIRES
pour le festival du POLAR A LA PLAGE 2024.

Marie a présenté :
– une série en 10-18, en partenariat avec la revue Society : des textes de journalistes américains autour de « cold case » dans des états américains différents. Sur les 4 sortis, Marie a lu Les meurtres de Low-country d’Arthur Cerf et L’affaire Alice Crimmins d’Anaïs Renevier. Et chaque fois, elle a lu le livre en deux heures sans décrocher.
– Le grand test de Jacques Expert : de courts chapitres, hyper-prenants même si on sait dès le départ qui a tué.
– Sebastian Fitzek : L’accompagnateur : là aussi, des chapitres courts, du suspens. Autour d’un service d’appel pour femmes qui se sentent en danger…
– Morgan Audic : Personne  ne meurt à Longyearbyen, éditions Albin Michel : 2 cadavres, 2 enquêtes. Un polar écologique.

La lectrice inconnue nous a parlé de
– Keigo Higashino, en poche en Babel noir : Le nouveau : un enquêteur dans un quartier de Tokyo. Une certaine lenteur très caractéristique et agréable.
– tous les Craig Johnson, aux éditions Gallmeister, dans leur collection Totem : avec ce plaisir, chaque fois, de retrouver le personnage principal. Comme retrouver un ami, un refuge.

Ceux que je proposais :
– L’été froid de Gianrico Carofiglio, chez Folio. Carofiglio a été procureur, juge du pôle anti-mafia à Foggia et Bari, et sénateur. L’histoire se passe sur fond des attentats contre les juges (dont le juge Falcone). Le petit garçon d’un chef de la mafia est enlevé. Le policier Fenoglio, sensible, intello, enquête efficacement avec son adjudant, plus « brute de décoffrage ». On a énormément d’informations sur ce qui se passe quand des repentis aident la police italienne.
– Des serpents au paradis d’Alicia Gimenez Bartlett, chez Rivages noir : Barcelone, un quartier résidentiel. Un homme tout habillé mort dans une piscine. Petra, l’enquêtrice plutôt rock’nroll et son second au look vieillot trouveront évidemment ce qui s’est passé. D’autres livres de cette autrice espagnole avec ce duo de  policiers sont réédités en Rivages noir.
– Les initiés de Thomas Bronnec, journaliste et auteur de documentaires TV. Une histoire très proche de celle du Crédit Lyonnais. Des femmes se suicident. Entre milieu bancaire au plus haut niveau, ministre des finances de gauche et hauts-fonctionnaires.
– Adios Hemingway de Leonardo Padura en collection Points : un squelette est retrouvé dans le jardin de la maison qu’a habitée Hemingway à La Havane. Prétexte à évoquer Hemingway.

Pour la sélection des Ancres Noires, il vous faudra lire le prochain post …