Un Gérard Delteil : P U N° 228

Mis en avant

Gérard Delteil est né en 1939 et a BEAUCOUP écrit à partir de 1983 : articles, romans noirs.
K Z retour vers l’enfer est, comme Les années rouge et noir, un de ses bons romans historiques. Paru en 1987 chez un petit éditeur, réédité chez Métailié en 1998, actuellement indisponible en version papier – sauf seconde main -,  réédité numériquement.
On trouve peu d’infos sur ce texte mais l’association des bibliothèques françaises le répertorie dans une liste d’ouvrages sur le fascisme d’hier et d’aujourd’hui  et l’association française Buchenwald Dora et Kommandos le cite comme « un des rares romans s’appuyant sur certains aspects de l’univers concentrationnaire ».
On est en Pologne, en 1945, dans un camp de travail ; les prisonniers, politisés, sont au courant de l’avancée rapide des soviétiques et se révoltent. Les personnages (détenus, comme Kapos, ou militaires) sont bien campés. L’auteur rend compte des croyances politiques d’alors.

Quelques Poèmes Express qui en sont issus :
–  Crânes rasés, rangers : des poussières dans les couloirs de la station les Halles.
Il avait vendu la main d’un Obersturmführer… c’est évidemment un peu plus coûteux que le matériel de série.
Vous êtes placé sous contrôle. Sous le contrôle de la mémoire.
Des lueurs de haine passèrent dans les regards, quelque chose de vieux, de ferme.
– Relâchés pendant la nuit, les visages, traces effacées, pas de transpiration.
– Il administrait des coups à la peau des animaux.
– Dentition répertoriée, victuailles rapportées et de quoi se saouler.
– Il s’efforça de maîtriser la main dans les cheveux d’une coiffeuse à lèvres de magazine.

Dominique, rencontré grâce au MZ, est celui qui a reçu ce « trois  livres en un »

Planètes intérieures au M Z :

Mis en avant

A partir du 9 mai 2025, exposition au M Z
des petites planètes
ou « planètes intérieures »
d‘Eric Enjalbert :
Des intérieurs d’artistes: bdistes, marionnettistes, peintres, collectionneurs, éditeurs…
Des intérieurs en couleur
et sous une forme étonnante

 

Un vin, des livres – avril 2025 – 2)

Mis en avant

Aussi, un peu de livres étrangers :
– Dossier Akhmatova du Mexicain Alberto Rey Sanchez, aux éditions Les fondeurs de briques, 2023, Toulouse. Traduit par Marianne Millon. Livre primé en 2022 au Mexique. Un roman-biographie, avec une construction mosaïque, sur la poétesse russe Anna Akhmatova, sa vie très dure sous Staline, son oeuvre.
– Les éblouissements de Pierre Mertens (1939-2025), paru au Seuil en 1987. Prix Médicis. Sur un autre grand auteur méconnu : Gottfried Ben (1886-1956).
– Les trois femmes de la Baltique d’Ann Christin Antell. Traduit par Sébastien Cagnoli, éditions Hachette. 2 tomes de cette trilogie sont sortis. Nous sommes en Finlande au XIXème siècle, alors qu’elle fait partie du grand duché de Russie. Les faits historiques sont très présents. C’est féministe, malgré la 1ère de couv’, ce n’est  » pas du tout à l’eau de rose. C’est un livre de détente par un grand écrivain » dit Gérard Collard, le libraire de la Griffe noire.
– Un thriller tordu, sanglant : La leçon du mal de Yusuke Kishi. Traduction du japonais de Diane Durocher.
– Un livre à part : Atlas inutile de Paris, de Vincent Périat, éditions Le Tripode, 2024 : 100 cartes de Paris. Oeuvre de piéton. Cartes toutes plus étonnantes les unes que les autres, pas forcément utiles mais amusantes.
Et beaucoup de livres français, de femmes :
– Les vivants d’Ambre Chalumeau, éd. Stock : écriture légère, d’ado, sur l’amitié, la mort d’un ami, la découverte de l’âge adulte.
– Les séparées de Kethevan Davrichevy, chez Sabine Wespieser, 2012 : dans les années 80,  l’amitié fusionnelle de deux filles pendant l’enfance. Des malentendus. La perte et la fin d’un temps.
– Nos insomnies de Clothilde Salles, dans la collection l’Arbalète, Gallimard 2025. Un premier roman. « Une écriture magnifique » dit D. Une petite fille raconte la vie dans sa famille. Tous sont insomniaques parce que le père l’est. Il est tout le temps excédé. Les choses ne sont jamais nommées mais…
– L’oiseau des Français de Yasmine Liassine, chez Sabine Wespieser, 2024. Premier roman, dans la sélection de Terres de paroles 2025 : des Français sont retournés en Algérie après 1962. Différents points de vue, portraits. L’enfermement des femmes.
– Depuis toujours nous aimons les dimanches de Lydie Salvayre, Points, 2025 : un éloge de la paresse comme acte politique, contre la consommation. De l’humour, de l’impertinence.
– Gaelle Josse : plusieurs livres : Le dernier gardien d’Ellis Island, éd. Noir sur Blanc, un roman émouvant qui fait revivre la crainte au moment des passages, des coups de tampon à l’entrée sur le territoire. Aussi : De nos blessures un royaume, éd. Buchet Chastel : une danseuse qui veut continuer à vivre. Une déclaration d’amour à l’art, la littérature pour réussir à se battre.
– Avant que ça commence  de M. Laure Brunel-Durin  et Valérie Peronnet, J’ai lu, 2024. L’une est commissaire et profileuse, l’autre, journaliste. C’est « drôle et glauque », ça parle des femmes dans le milieu.
– Sourdre de Zoé Bescond de Senneville : poésie autobiographique venue du fait qu’elle est devenue sourde à 30 ans, aux éd. Maelström Révolution. Elle était présente aux journées de la poésie organisées à Danton dernièrement.
Aussi quelques hommes :
– Le rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy, 2024, Payot-Rivages : à partir de 1900, trois générations au Vénézuéla. « ce style ! coloré ! »
– Photo sur demande de Simon Chevrier, Stock, 2025. Sur l’homosexualité, le mal être. Premier roman d’un élève du master de création littéraire. Goncourt du premier roman.
– Un essai de Peter Turchin, anthropologue : Le chaos qui vient,éditions du Cherche-Midi 2024. Né en URSS, installé aux USA en 1977, il a créé la « cliométrie » la science de la complexité, en 2003. Les choses se reproduisent en cycles. Il y a trop d’élites, des riches rares mais tellement riches et des gens pauvres nombreux, désespérés.
– Patrice Autréaux chez Gallimard : « j’ai lu tous ses livres. J’adore son style » : L’époux, Dans la vallée des larmes.
– François Cheng : Une nuit au cap de la Chèvre, Albin Michel, 2025 : invité pour une lecture en Bretagne, il y reste seul pour méditer. Cela donne ces poèmes.

Le prochain Un vin, des livres : le 15 mai !

Poésie-bagarre

Mis en avant

Poésie-bagarre est un beau titre. C’est celui du recueil de Sarah Kügel, paru aux éditions Baraques en 2025.
Baraques, comme Baraques Walden où, chaque jeudi et vendredi soirs, à Rouen, 59 rue du Pré de la Bataille, on peut écouter des textes, des musiques.

Sarah Kügel est graphiste et c’est elle qui a réalisé cette première de couverture, dessin et typo.
Le titre, l’image disent la personnalité de Sarah Kügel qui écrit et se bat mais de manière rigolote ou soft avec la langue, le corps, la relation amoureuse.

C’est un livre de poésie du plaisir, du désir, un ensemble érotico-punchy, d’amour physique et pas que.

Voilà quelques traces de son écriture – mais des poèmes entiers comme Digression douce (p 47) montrent encore mieux combien l’auteure aime les mots –  :
 » les pavés turbulents pleins de soiffeurs joyeux » (p 11)
«  ça durerait des heures à se lécher les petits détails » (p 35)
 » l’heure des hommes-goûters » (p 43)
«  je te trempe et je te déguste » (p 126)
«  sous la bouscule des doigts » (p 135) 

 

Un Chloé Delaume : P U N° 227

Mis en avant

C’est Phallers.
C’est paru en 2024 en collection Points.
Vous êtes une femme ?
vous êtes féministe ++ ?
ou, même pas !
juste vous êtes : lisez le.
C’est du lourd, c’est sûr, mais drôle, vraiment.
Ce qui s’y raconte ?
Une sororité qui fonctionne, des femmes qui s’assemblent, font peur et ont un pouvoir anti-agression : P 94, référence à : « …un article de Molly Fisher (…) dans le New Yorker : peut-être que craindre les femmes, « est aussi commencer à les voir comme des êtres humains. »
Comment Chloé Delaume le raconte ? :
– à la manière d’un roman graphique : vous n’avez pas les dessins
(si : dans votre tête : vous visualisez  la démarche de l’homme Alpha abrité par une coque en titane ou le type qui hèle Violette : P 11 :  » Allez, souris, fais pas la gueule. Violette marche vite et en silence, elle ignore les questions qui déferlent, l’éclaboussent et la noient. Ses yeux cherchent la sortie ; elle tangue d’être ferrée. Allez, juste un café, t’inquiète, c’est moi qui paie. »)
mais vous avez les onomatopées :  «  SCHBOUM SCHBOUM SPLOTCH »
– et, plus sérieusement  :
en mettant dans la bouche des hommes ce que disent les femmes quand elles sont victimes d’attouchements ou de viol : P 61 : «  hoquetant face caméra : c’est elle qui m’a fait ça. C’est elle mais j’ai pas de preuves et personne ne me croit. »
 et en reprenant un de leurs systèmes de défense : P 61 :  » … un prof épuisé d’être harcelé par des gamines travaillées par leurs hormones qui projettent tant sur lui  qu’elles en font un objet. Alors de temps en temps, évidemment, hein, puisque c’est elles qui insistaient. » (… Genre, c’est pas moi, c’est elle… Toutes des… sauf les « tradwives » évidemment)
… 

Quelques Poèmes Express issus de Phallers

– Il pleut, pailleté noyé, la route est longue.
– Les hommes grimacent face caméra : agitation des hormones.
– Pour neutraliser le leader, ne pas attendre, agir.
– Elle n’a rêvé de rien, se l’est formulé.
– Comble du coup de théâtre : il a le sirocco dans la tête depuis que sa mère a un caniche.
– Au trumpiste le doigt de féministes, le majeur, fait un tas de choses.
– Près de 200 personnes s’entassent : moment de solitude.
– Au milieu d’un siècle dernier, Elvis Presley hulule
– En carence de sentiments, le nouveau pulvérise un spray à la rose.

Et même si on n’est pas l’ennemie des hommes – parce qu’y en a des bien, on en connaît – on l’offre à une femme, évidemment…

Un vin, des livres – avril 2025 – 1)

Mis en avant

Tout d’abord, la date de la prochaine réunion à l’Art Hotel :
le jeudi 15 mai, à partir de 18h.

En avril, il a été question de :
– Voir plus loin d’Esther Kinsky, traduit de l’allemand par Cécile Wajsbrot (elle-même auteure), paru à Berlin en 2023 et aux éditions Christian Bourgois en 2024 : un texte plus ou moins autobiographique. En 2004, Esther Kinsky a racheté un cinéma abandonné dans une petite ville hongroise, l’a remis en état et a tenté de le faire vraiment renaître. Un texte qui lie deux arts, l’écriture et le cinéma.
Les descriptions du village, de la pauvreté des gens qui y vivent, leur relation à la culture font contrepoint avec l’amour du cinéma, l’espoir de le ramener là. Amour et espoir déçus. Mais elle est allée au bout du rêve. Les travaux ont été faits, des séances ont eu lieu, elle s’est fait plaisir avec des films de l’histoire du cinéma et de son panthéon qu’elle a pu projeter
Plutopia – une histoire des premières villes atomiques de Kate Brown, paru aux USA en 2013, chez Actes Sud en 2024, traduit par Cédric Weis  : un essai – reportage sur deux villes , Richmond dans l’état de Washington et Ozersk, au sud de l’Oural où a été produit le plutonium pour fabriquer des armes nucléaires fin années 40, jusqu’aux années 2010.
On croit qu’un des deux endroits est pire que l’autre, pas du tout !
C’est le même fonctionnement, et surtout les mêmes dysfonctionnements (différences de statut des personnes qui y travaillent, secret, travailleurs mal formés, pollution, maladies…).
Sur les cinquante ans étudiés, le parallèle est constant.
– L’opération Jackson Pollock de Christian Carisey, éditions Kubik, 2025 : un roman historique sur les années 40-50. On trouve là le FBI, la CIA, le Kominform,  Jdanov, les personn(ag)es de Lee Krasner et Pollock.
L’expressionnisme abstrait est choisi, et ce peintre plus précisément, parce que très américain (plus que Gorky, le juste émigré ou que Rothko trop juif) pour s’opposer au réalisme soviétique.
L’art est politique et, grâce à cela, Jackson Pollock est mis en avant.

La suite d’avril bientôt .

Un Tayama Kataï : P U N° 226

Mis en avant

Futon, suivi de deux courtes nouvelles Un soldat et Une botte d’oignons, est la Pièce Unique N°226.
Leur auteur Tayama Kataï (1871-1930) m’était inconnu.
Le livre était paru aux éditions du Serpent à plumes, dans la jolie collection Motifs de Pierre Bisiou et la traduction d’Amina Okada, en 2000. Repris en 2014 chez Cambourakis.
Tayama Kataï était admiratif d’auteurs européens, comme Maupassant ou Heine.
Futon, écrit en 1907, eut un grand succès. C’était un texte d’auto-fiction avant l’heure :
un écrivain a une élève. Il en est amoureux mais est marié et bientôt père d’un troisième enfant. Elle veut écrire. Il lui rappelle son vrai «  rôle de mère. Il lui démontrait le danger que représentaient pour une jeune femme comme elle les milieux littéraires. » ( p 23 ). Il évoque aussi « les idées nouvelles », occidentales, mais horreur, elle en aime un autre. Il décidera donc avec son père de son destin, la renvoyant dans son village. La scène est épouvantable : elle est dans la pièce mais à aucun moment on ne lui laisse la parole, ni elle n’ose la prendre.
On sent que… si elle l’avait aimé, il n’aurait pas agi ni pensé ainsi…
Il la voit comme fautive, a même l’idée de profiter d’elle puisqu’elle a cédé à un autre. Cédé, on n’en est pas sûrs. Peut-être elle et son amoureux ont-ils seulement passé une soirée ensemble.
La place des femmes – même dans un milieu qui se dit évolué, différent – !!!

Quelques Poèmes Express issus de Futon :
– Chaleur intenable. Pensées fragmentaires. Cela arrive.
– Sa femme enceinte lui paraissait vide.
– La vieille possédait tous les défauts et qualités des femmes : chignon et docilité.
– Sous la lampe, 
pelote ronde de laine de couleur. Et sentiment d’infini.
– Pour délayer le rouge à lèvres, les oeuvres complètes de femmes de lettres.
– Un petit carré de soie mauve que la lampe éclairait, et elle ressentait une satisfaction.
– La joie se voit enlevée en une heure, en allée vraiment.
– Sous cinq pieds de neige, la petite ville provinciale, sa nostalgie.
– L’époque ne pourrait avoir lieu : cela l’effleure.

 

 

 

Réponse de Patrice Robin !

Mis en avant

C’est une expérience de lecture très étrange que vous nous permettez via vos pièces uniques, différente de celle que nous menons habituellement, celle qui nous retranche, un temps, de l’actualité. Dans vos pièces uniques, l’actualité nous accompagne, ne nous distrait pas, au contraire, ajoute à notre lecture, à celle de vos poèmes, mais aussi parfois, à celle du livre de Julio Llamazares.

Et à propos de ce dernier, que vous avez choisi pour moi, il résonne curieusement avec mon prochain livre qui paraitra en octobre, résonne à l’envers si je puis dire. Quitter l’ouest, comme son titre l’indique, étant d’une certaine manière non l’histoire d’un homme qui demeure alors que tout le monde part, mais d’un homme qui part alors que les autres restent, d’un éloignement, le mien de mon ouest natal.

Merci encore pour cette pièce unique.

Amicalement

Patrice Robin

Un Philip K Dick : P U N° 225

Mis en avant

Do androïds dream of electric sheep, mal renommé Blade runner. Connu sous ce titre à cause du film qui en été « tiré » (c’est le mot) en 1982. Je crois avoir vu le film mais n’en ai rien retrouvé.
Le livre, paru à la fin des  années 60 aux USA, traduit en français par Sébastien Guillot, trouvable en J’ai Lu, est bien plus étonnant et intéressant.
Après une guerre atomique, la terre est contaminée. Sont restés des « têtes de piaf » amoindris par les irradiations, des gens qui en ont été protégés, des chasseurs de primes qui traquent des androïds qui veulent se faire passer pour humains, des animaux vrais, rares et chers, ou des contrefaçons électriques (d’où le titre originel).
Dick y aborde la croyance, la vérité, la maladie mentale, la place des écrans, de l’animal. Il y définit l’humain par sa capacité d’empathie, qualité dont les andros sont totalement dénués…. (de là à penser que certains…, en 2025… seraient des andros …)

Quelques Poèmes express qui en sont issus :
Appartements vides ! Et immeubles vides… intellectuellement vides, absence de vie, et absence d’affect.
– La moindre personne faisait époque au gré de la télé.
– Les gens dans un cube, c’est toujours comme ça que ça finit.
– Quand vous vous 
trouviez encore sur Terre, c’était spécial et pas simple d’être humain.
– Vous allez devoir rester femelle, vieille, en mauvaise santé.
– Les gardes équipés de petites mitrailleuses avaient disparu dans le catalogue.
– Il alluma la radio consacrée à un programme de silence religieux.
– Vous croiserez peut-être un androïd, vous n’avez droit qu’à un.
– Tu n’as jamais trop apprécié les premières fois, les considérais comme un test.

Ces 3 livres en 1 – le roman de Philip K Dick + les « Poèmes Express » + les informations – sont offerts à Claro dont j’admire beaucoup le travail, que ce soit comme auteur, traducteur ou critique. Dent dure et belle.

Oser lui envoyer une Pièce Unique est venu d’un de ses derniers post : « Il paraît qu’entre les pages des livres (…) dorment (…) trèfles (…) vestiges qu’y laissent les lecteurs »…  

Palmarès : je suis sûre que

vous en avez lu un bon nombre :

Les 25 chefs-d’œuvre de la littérature mondiale qui vont marquer le XXIᵉ sièclePALMARÈS. Quels sont les meilleurs livres depuis l’an 2000 ? Pour le savoir, nous avons demandé à soixante écrivains, éditeurs, libraires, traducteurs, critiques français et internationaux de choisir les cinq ouvrages qui ont imprimé à jamais leur mémoire. Verdict.

Publié le 01 avril 2025 à 16h00
Mis à jour le 02 avril 2025 à 11h58
Quels sont, parmi les livres du premier quart du XXIᵉ siècle, les chefs-d’œuvre qui s’inscriront dans l’histoire de la littérature mondiale ? Pour le savoir, Télérama a demandé à soixante personnalités (écrivains, éditeurs, libraires, traducteurs, critiques universitaires français et internationaux) de choisir les cinq ouvrages qui ont imprimé à jamais leur mémoire de lecteur.
Ces milliers de pages — 12 646 exactement, si on aditionne les 25 livres retenus dans ce palmarès – donnent furieusement envie de lire et témoignent d’une création littéraire aussi ambitieuse qu’audacieuse. Le roman n’est pas mort, au contraire, il se joue des frontières et ne cesse d’être réinventé. — Valérie Hurier, directrice de la rédaction

25. “La Carte et le Territoire”, de Michel Houellebecq (2010)

La carte est-elle plus intéressante que le territoire — autrement dit la représentation du réel plus passionnante que le réel lui-même ? C’est notamment autour de cette question que se déploie le cinquième roman de l’écrivain français — qui lui valut le prix Goncourt. Une fiction brillante, tout ensemble ironique et hautement mélancolique, doublée d’un autoportrait extravagant.
Éd. Flammarion.

24. “Une histoire d’amour et de ténèbres”, d’Amos Oz (2002)

L’intime et l’Histoire fusionnent dans les pages de ces sublimes Mémoires du grand écrivain israélien, dont ce récit autobiographique demeurera sans doute le chef d’œuvre. Retour sur son enfance à Jérusalem et sur la naissance concomitante de l’État d’Israël, hommage bouleversant à ses parents et ses aïeux, et à la langue hébraïque qui l’a vu naître écrivain.
Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, éd. Gallimard (2004).

23. “Neige”, d’Orhan Pamuk (2002)

De tous les romans remarquables de l’écrivain turc (Prix Nobel de littérature 2006), Neige est assurément le plus captivant, qui emboîte le pas d’un jeune poète exilé en Allemagne, revenu en Turquie pour s’égarer au fin fond de l’Anatolie. Une odyssée poétique et très politique, jalonnée de sinuosités narratives, scintillante de motifs et de sens, drapée de neige…
Traduit du turc par Jean-François Pérouse, éd. Gallimard (2005).

22. “Les Argonautes”, de Maggie Nelson (2015)

La forme hybride de ces Argonautes, mêlant récit d’une histoire d’amour et réflexions sur le genre, érudition et hypothèses, a érigé l’ouvrage de Maggie Nelson en livre de référence d’une démarche littéraire nouvelle et parfaitement contemporaine. Faisant de l’autrice américaine (née en 1973) une des voix majeures de la non-fiction contemporaine.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Michel Théroux, Éditions du sous-sol (2018).

20. “Purge”, de Sofi Oksanen (2008)

Née d’une mère estonienne et d’un père finlandais, Sofi Oksanen a secoué la planète littéraire avec ce roman éloquent qui embrasse, à travers ses deux personnages féminins, cinquante ans de l’histoire de l’Estonie, des occupations allemande, puis russe, jusqu’à nos jours, passant par l’effondrement de l’URSS. Une tragédie puissante, furieuse — non dénuée de compassion.
Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, éd. Stock (2010).

20 ex-aequo. “La Plus Secrète Mémoire des hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr (2021)

Écrit par le jeune auteur sénégalo-français, alors âgé de 31 ans, et placé sous le parrainage des Détectives sauvages de Roberto Bolaño, un beau et brillant roman, « livre-monde » tout ensemble complexe formellement et palpitant, cérébral et doucement ironique, foisonnant de thèmes et de personnages, et fondamentalement enclos sur un insaisissable secret.
Éd. Philippe Rey / Jimsaan.

18. “La Bascule du souffle”, de Herta Müller (2009)

Plongée dans l’univers du goulag, observé à travers les yeux d’un jeune narrateur inspiré par le poète Oskar Pastior,La Bascule du souffle a enfin révélé planétairement la beauté tranchante et spectaculaire de l’écriture de l’autrice, Roumaine germanophone émigrée en Allemagne de l’Ouest au mitan des années 1980, lauréate du prix Nobel de littérature en 2009.
Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, éd. Gallimard (2010).

18 ex-aequo. “Underground Railroad”, de Colson Whitehead (2016)

Dans cette éblouissante fiction — sa sixième —, tout ensemble roman d’apprentissage et fable humaniste, l’Américain virtuose se tient aux côtés de Cora, une jeune esclave échappée d’une plantation du Sud, dont il imagine l’odyssée fantastique à travers les États-Unis, jusqu’au nord du pays et l’accès au statut de femme libre.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin, éd. Albin Michel (2017).

17. “O”, de Miki Liukkonen (2017)

Près de mille pages pour raconter sept journées, au long desquelles se croisent cent personnages souffrant tous d’une psychose : la comète finlandaise Miki Liukkonen (1989-2023), qui mit fin à ses jours à 33 ans, met en œuvre un labyrinthe narratif prodigieux, tout en offrant une méditation aussi hilarante que puissante sur le vertige de la condition humaine.
Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, éd. Le Castor astral (2021).

16. “La Fête au Bouc”, de Mario Vargas Llosa (2000)

Le dictateur Rafael Leónidas Trujillo Molina (1891-1961), « père de la patrie » dominicaine, et son régime sanglant qui écrasa le pays durant trois décennies sont au cœur de ce magistral roman politique et polyphonique, qui examine de l’intérieur les ressorts de la tyrannie et ceux de sa mise à bas. Assurément le chef d’œuvre du prix Nobel de littérature 2010.
Traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan, éd. Gallimard (2002).

15. “La Végétarienne”, de Han Kang (2007)

La Végétarienne, ou l’histoire de Yonghye, la femme qui ne voulait plus ingérer de viande, et qui bientôt souhaita se dépouiller de son corps, s’effacer et devenir végétale… Dix-sept ans avant de recevoir le prix Nobel de littérature, en 2024, l’autrice coréenne livrait, avec cette fable énigmatique, sensuelle et épurée, un diamant noir aux éclats aussi tranchants qu’inquiétants.
Traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot, éd. Le Serpent à plumes (2015).

14. “Kafka sur le rivage”, de Haruki Murakami (2002)

Kafka Tamura a 15 ans lorsqu’il s’enfuit de la maison familiale. Ce roman initiatique lui emboîte le pas, ainsi que celui d’un vieillard nommé Nakata. À ces deux fils narratifs, le magicien Murakami suspend une matière romanesque à haut potentiel d’envoûtement. Bâtissant une indémodable fable, tout ensemble triviale et pleine de grâce..
Traduit du japonais par Corinne Atlan, éd. Belfond (2006).

13. “La Maison des feuilles”, de Mark Z. Danielewski (2000)

Une maison dont l’intérieur se dilate en un dédale sans fin, un vieil écrivain aveugle et son mystérieux manuscrit, un jeune intello marginal : voilà pour le décor et les protagonistes majeurs du premier roman de l’Américain Mark Z. Danielewski, vertigineuse quintessence de littérature expérimentale, mais aussi œuvre captivante et de toute beauté.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro, éd. Denoël (2002).

12. “Solénoïde”, de Mircea Cartarescu (2015)

Un professeur de roumain de Bucarest, qu’une humiliation fait renoncer à l’écriture, tient un journal pour percer l’énigme de l’existence. Dans ce roman d’une force philosophique et poétique hors du commun, Mircea Cartarescu fait de la plongée hallucinée dans le cerveau d’un homme le point de départ d’une odyssée à travers toutes les connaissances.
Traduit du roumain par Laure Hinckel, éd. Noir sur blanc (2019).

11. “Le Lambeau”, de Philippe Lançon (2018)

Grièvement blessé le 7 janvier 2015, lors de l’attaque terroriste contre l’équipe de Charlie Hebdo, Philippe Lançon a tiré de son expérience de la douleur, physique autant que morale, ce remarquable Lambeau, livre calme et déterminé, empreint d’une grande douceur, dans lequel il s’emploie à sonder jusqu’aux abîmes, sans colère ni culpabilité, « la solitude d’être vivant ».
Éd. Gallimard.

10. “Americanah”, de Chimamanda Ngozi Adichie (2013)

Que d’énergie et d’intelligence rassemblées et concentrées dans ce roman brillantissime qui suit l’itinéraire d’Ifemelu, une jeune femme nigériane arrivée aux États-Unis pour y poursuivre ses études. Y découvrant le racisme — l’un des thèmes majeurs de l’autrice africaine, qui fait ici l’objet d’un exposé lucide, jamais dénué d’humour et très incarné.
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour, éd. Gallimard (2014).

9. “L’Adversaire”, d’Emmanuel Carrère (2000)

Quel effroyable visage du Mal offre-t-il à contempler, cet accusé jugé et condamné en 1996 pour les froids assassinats de ses deux enfants, son épouse et les parents de cette dernière ? Des interrogations intimes qu’a fait surgir en lui l’histoire de Jean-Claude Romand, mythomane et meurtrier, Emmanuel Carrère a nourri cette non-fiction inquiète, métaphysique et magistrale.
Éd. P.O.L.

8. “L’Année de la pensée magique”, de Joan Didion (2005)

L’expérience du deuil de son époux, l’écrivain John Dunne, terrassé par une crise cardiaque fin 2003, a dicté à l’iconique écrivaine et journaliste américaine Joan Didion (1934-2021) ce sobre et cru récit d’une traversée des ténèbres. Un voyage aride, sans consolation, au fin fond des terres désolées de la stupeur, du chagrin et de l’affliction.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, éd. Grasset (2007).

7. “Les Livres de Jakób”, d’Olga Tokarczuk (2014)

Dans ce roman époustouflant, précis et truculent, la Prix Nobel de littérature 2018 invite à un « grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions ». Une épopée politique et mystique qui plonge son lecteur dans la Pologne décadente du XVIIIᵉ siècle, pour s’attacher au destin extravagant du faux messie juif Jakób Frank (1726-1791).
Traduit du polonais par Maryla Laurent, éd. Noir sur blanc (2018).

6. “Les Années”, d’Annie Ernaux (2008)

L’admirable « autobiographie impersonnelle » que sont Les Années a permis à chaque lecteur de saisir pleinement ce qui fait d’Annie Ernaux (Prix Nobel de littérature 2022) une écrivaine majeure. À savoir, un geste littéraire : parler de soi pour tendre à l’autre un miroir où se reconnaître ; puiser à sa mémoire pour élaborer « une autobiographie qui se confonde avec la vie du lecteur ».
Éd. Gallimard.

5. “La Tache”, de Philip Roth (2000)

Dans ce roman, troisième volet de la Trilogie de Newark, le grand écrivain américain déroule l’histoire de la vie du professeur de lettres classiques Coleman Silk, construite sur un immense, un sidérant secret… Une narration infaillible, porteuse d’une ironique, froide et implacable dénonciation de « la tyrannie du nous […] qui meurt d‘envie d‘absorber l‘individu ».
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun (2002).

4. “La Route”, de Cormac McCarthy (2006)

Son austère lenteur et sa lugubre beauté confèrent à La Route la grâce d’un long poème métaphysique. Un chant tout ensemble initiatique et sépulcral où se trouvent condensées les obsessions et les hantises de McCarthy (1933-2023),sans cesse revisitées de livre en livre : la violence des hommes, le rude combat auquel se livrent en ce monde le Bien et le Mal.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch, éd. Christian Bourgois (2008).

3. “La Fin de l’homme rouge”, de Svetlana Alexievitch (2013)

Auscultation du cœur et de l’âme de « l’Homo sovieticus », un individu élevé dans l’utopie socialiste puis passé sans transition du totalitarisme à une nouvelle forme de nihilisme, La fin de l’homme rouge est sans doute le plus magistral des « romans de voix » de l’autrice biélorusse. Un grand livre d’histoire humaniste, infiniment douloureux et formidablement vivant.
Traduit du russe par Sophie Benech, éd. Actes Sud (2013).

2. “Austerlitz”, de W.G. Sebald (2001)

Mêlant étroitement fiction et réalité, narration et méditation, et porté par la voix inconsolée, infiniment émouvante de l’écrivain allemand (décédé en 2001), le destin de Jacques Austerlitz, homme déraciné, perpétuel exilé, a valeur d’interrogation dense et grave sur l’Histoire, le temps vécu comme un processus de délitement, l’opacité de la mémoire. Un chef d’œuvre.
Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, éd. Actes Sud (2002).

1. “2666”, de Roberto Bolaño (2004)

La mort prématurée de l’écrivain chilien, en 2003, laissa ce livre, paraît-il, inachevé… On veut bien le croire, mais quel roman pourtant ! Tissant cinq fils narratifs, le magistral 2666 n’en finit pas de surprendre, de digresser, de proliférer de fascinante façon, s’autorisant tous les développements et les changements de point de vue pour méditer sans fin sur le Mal.
Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio, éd. Christian Bourgois (2008).