Un Robert Weis : P U N° 189

Robert Weis, Luxembourgeois, né en 1980, est l’auteur de plus de 50 publications scientifiques traitant de paléontologie.
Ce n’est pas ce qui a fait l’objet d’une Pièce Unique.
Mais son Retour à Kyôto, paru en 2023 chez Transboréal éditions.
Un voyage au Japon, essentiellement une marche sur les chemins de pèlerinages empruntés depuis le XIème siècle, des « grands sanctuaires de la région », sanctuaires bouddhistes comme shintoïstes. P 139 : « la religion indigène, le shintoïsme (…) un amalgame de pratiques puisant dans le cycle de l’agriculture – il n’y avait pas de textes sacrés ni une théologie définie. »(…) » Le shintoïsme oeuvre à pacifier les esprits divins, les kami, dans ce monde, tandis que le bouddhisme s’occupe du salut de l’individu et de l’autre monde. »

Des parcours plus ou moins religieux, aussi portés par la beauté de la nature au printemps, à l’automne. Montagnes, cascades, forêts et temples. Géographie et histoire entrelacées.
P 184 :  » Au Japon, les opposés (…) ne s’excluent pas, mais se complètent » dit finalement Robert Weis : « permanence et changement » se mêlent.

Quelques Poèmes Express nés là :
– Confus ce quartier. Et poche de beauté cette impasse.
– Les poètes s’exhibent devant un panorama en pause bière pression.
– Heures et jours seront buts de chronologie.
– Le mois de novembre est tout entier à photographier.

– A une heure de l’apogée, les tombes.
– Odeur et peau des aliments : spiritualité de cuisinier.

Retour à Kyôto, revu et augmenté, est envoyé à Laurent Albarracin, poète lu dans Catastrophes et aux éditions Lurlure.

Un Italo Calvino : P U N° 188

Leçons américaines, conférences commandées en 1984 à Italo Calvino (1923-1985) par une université américaine. 5 ont été écrites : Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité. De nombreux écrivains y sont convoqués, de Lucrèce à Gadda en passant par Borgès et Pérec.
Elles sont rassemblées dans la collection Points.

Une de ses phrases m’a particulièrement touchée (dans Rapidité, p.89 : « J’aimerais, quant à moi, rassembler une collection de récits tenant en une seule phrase, voire en une seule ligne si possible »… = ce que veulent plus ou moins faire les Pièces Uniques…

Me touche également ce § dans Visibilité : p149 : « Si j’ai inscrit la visibilité sur ma liste des valeurs à préserver, c’est pour mettre en garde contre le danger que nous courons de perdre une faculté humaine fondamentale : la vision nette les yeux fermés, le pouvoir de faire jaillir couleurs et formes d’un alignement de lettres noires sur une page blanche, l’aptitude à penser par images. » En 1985, Calvino définissait un des plaisirs, personnel, individuel, de la lecture. En 2023, ce plaisir est laissé de côté par beaucoup. Est privilégiée l’image créée par d’autres pour tous. L’individualisme de nos sociétés s’est révélé moins fort que l’immédiateté.

Quelques « Poèmes Express » qui en sont sortis :
– Classée dans une chemise transparente et dans un dossier rigide, la pensée.
– Une femme prend conscience de sa main pleine de laine, de sa légèreté.
– Le cadavre refusait de se faire ensevelir.
– L’économie ne tient compte que de 
l’essentiel; la littérature de l’inverse._
– Je m’en vais relire la nuit, parce que la nuit contient la sensation.
– Revenons à une littérature qui serait origine, oeuf collectif.
– Nous sommes exposés à des images-ordures, à en étouffer.
– L’histoire commence à noircir du papier, l’écrit devient maître des images.
– Les strophes sont comme un tourbillon, comme une pelote qui venait aux lèvres.
– Le projet s’épaissit et se compose de corps occupés.

Cette Pièce Unique N°188 est offerte à M-A qui en a déjà reçu une, charge à elle de … la garder si elle veut… ou la faire passer à une lectrice d’essais, Danielle G., historienne de l’art.

Sorcières, sages-femmes et infirmières : P U N° 187

Sorcières, sages-femmes et infirmières, une histoirE des femmes soignantes de Barbara Ehrenreich et Deirdre English est paru en 1973 à The Feminist Press, City University of New York, reparu en 2010 avec une nouvelle introduction et, en français chez Cambourakis en 2014, traduit par L. Lame.
Super intéressant : le « grand remplacement » des femmes dans les métiers de soins, aux Etats-Unis surtout. Elles étaient là d’abord avec un savoir empirique, connaissaient les plantes, guérissaient
– pas toujours, d’accord, mais… –
L’église n’aimait pas ça : la chasse aux sorcières a commencé et la médecine a été créée, masculine, universitaire. Glissement. On a laissé aux femmes la naissance puis, ça aussi, on le leur a enlevé. Elles ont été cantonnées dans le soin après l’intervention du « sachant ».

Quelques Poèmes Express qui en sont venus :
– Les sorcières n’étaient pas disponibles à l’époque.
– Cela n’a pas surgi spontanément. Les crimes étaient un système.
– De vieilles chèvres à chair sèche étaient persécutées. 
(à prononcer à voix haute, vous verrez…, pire que l’archiduchesse.)
Il a été facile aux femmes de s’évanouir.
– « Professionnaliser » le métier d’homme.
– Nous n’avons pas été une forteresse et ce n’est pas accidentel.

On ne sait pas encore à qui on offre ce « 3 livres en 1 ». Surtout, si vous avez une idée, n’hésitez pas.

Un Alexandre Friederich : P U N° 186

Trois divagations sur le mont Alto, ces textes sont écrits en 1999 après des balades en solitaire, en vélo et en montagne.
Description de paysages, relation à l’effort, au voyage en toute conscience.
De jolies images : P. 28 :  » dans l’herbe, les pêcheurs habillés de caoutchouc forment de petites taches molles. »
P. 68 : «  La caravane ressemble à une gélule lunaire. »  P. 69 : « Il y a des vaches; Organisées en archipel. Elles se remplissent. Elles paissent une herbe encore sombre. Elles se vident. Elles flottent. »
Ces
récits poétiques et un peu misanthropes sont édités en 2006 chez Harpo et Héros Limite.
Harpo est maintenant dans le Vaucluse et Héros Limite toujours à Genève.

Alexandre Friederich est né en Suisse en 1965 mais vit dans le monde entier depuis toujours. Une de ses dernières  publications est en 2021, Naypyidaw aux éditions B2, sur l’étonnante nouvelle capitale birmane.

quelques Poèmes express
nés de Trois divagations sur le mont Arto :
– La vie, prenez-la et reniflez-la. Regardez son au-delà.
– L’écrivain habite le désordre, le tisse. Et repart.
– J’ai regardé les touristes dénués d’éternité : cosmétiques, mémoire vidangée.
– Dans des chalets, l’histoire reclouée par les gestes qu’on fait le soir.
– Chambre 60 parmi les habits, les cendriers. Mes narines brûlent.
– Les deux pans de la vallée mâchent leur paysage, entassent l’histoire.
– La pluie croise peu d’habitants : traverse la rue, tape contre la montagne.

La P. U. N°186 est offerte à S. qui vient d’ouvrir, au Havre, Les vivants, un espace où trouver vins natures et livres de bonnes maisons d’éditions indépendantes, comme DO ou LE TYPHON (ou non indépendantes, comme CAMBOURAKIS, P O L…), des romans et des essais autour du vin, de l’écologie et du féminisme.

Calamity Jane : P U N° 185

Calamity Jane (1852-1903) : une sacrée femme, qui conduit des diligences, fait la cuisine pour des hors-la-loi et en donne les recettes, monte à cru et tire au revolver dans le spectacle de Buffalo Bill. Une sacrée femme qui ne supporte pas l’affectation des Anglaises, la pruderie des Américaines. Une sacrée femme que les Sioux respectent, ou craignent, ou croient folle. Une sacrée femme capable de reconnaître la barbarie des Indiens mais aussi celle de Custer, au moment où cela se passe. Une sacrée femme qui eut une fille et la confia à quelqu’un pour qu’elle vive mieux qu’elle.

Quelques Poèmes Express venus de ses lettres à sa fille, parues chez Rivages poche :
– T’avoir dans mes bras auprès des loups.
– Leurs petites griffes avaient trouvé les yeux.
– Travailler dans l’agitation, aimer l’argent et le cul.
– Je néglige l’absence. J’espère ce que je connais.
– Si tu trouves un Dieu, demande lui de miser sur une femme.
– J’ai le coeur loin.
– Les menteurs ne se soucient que d’empêcher.

Ce petit volume est offert à Hélène Souillard, diplômée de l’ESADHaR puis d’un CAP de pâtisserie, responsable de l’artothèque du Havre. « Plasticienne » – le mot re-trouve son sens -,  elle réalise et propose de faux plats alléchants en vraies matières artificielles.

Un Georges Bernanos : P U N° 183

Les grands cimetières sous la lune, parus en 1938, sont la Pièce Unique N° 183.
Cet essai, plein de fougue, de morgue de Georges Bernanos ( 1888-1948 ), écrit à partir de ce qu’il voit aux Baléares, est étonnant. Le ton est fort, dur vis-à-vis de ce qui fut son camp, du clergé. Il se fait défenseur des classes populaires, montre son mépris vis-à-vis d’un Franco et de la bourgeoisie espagnole, coupables des exécutions de pauvres à peine républicains. Il étend ce dédain à la classe moyenne française qui ne pense qu’à préserver ses privilèges et penche sans honte du côté des dictateurs alors que vient la guerre.

Quelques « Poèmes Express » venus de ce livre :
– Des siècles portent l’angoisse sous la moisissure, la colère au comptoir.
– Bien moins nombreux qu’on ne l’imagine, les vrais vieux.
– La presque totalité de la population mâle pense à son corps.
– Toutes les erreurs viennent pourrir en pus d’histoire.
– Je ne trouve pas drôle de comprendre. D’ailleurs, on peut toujours jouer les imbéciles.
– Vous attendez le progrès; permettez que je 
rigole.
– Des saints ne doivent rien à personne, n’ont aucun secret, drôles de gens !
– Ce détail n’a aucun intérêt. Mais les poissons tournent en rond.

Ce Bernanos « augmenté » est offert à Eloïse Guénéguès, directrice de la maison Gueffier, lieu dédié à l’écriture et à la littérature qui fait partie du grand R, scène nationale de La Roche-Sur-Yon. Rencontrée plusieurs fois à Ecrivains en bord de mer, elle était, cette année, avec Bernard Martin, et avec ferveur et brio, du côté des intervieweurs.

Un Magda Szabo : P U N° 184

Magda Szabo (1917-2007), issue d’une famille de la grande bourgeoisie protestante qui dut supporter la guerre, l’occupation par l’armée rouge puis la prise de pouvoir par les communistes.
 Rue Katalin, sorti en 1969 en Hongrie, en France chez Viviane Hamy en 2006, rend compte de ces différents moments. La construction est un peu déconcertante. L’histoire  est celle de  trois familles en six dates, de la seconde guerre mondiale à 1968. Une de ces familles est juive et disparaît. Leur mort change tout entre les personnages restants. Les morts sont là, toujours, et visibles et non reconnaissables. L’histoire d’un pays à travers une rue.

Quelques « Poèmes Express » qui en sont issus :
Le village s’amusait à faire croire qu’il était toujours le village.
– En se raccrochant aux phrases, ils sortiraient des morts.
– Elle ouvrait son mari, le refermait élégamment en petits cubes.
– Un simple regard et il se jetait par terre et rétrécissait.
– Elle pensait droit : elle était élevée à offrir ; il fallait.
– Soldats empilés méthodiquement dans l’odeur des blouses blanches.
– Le savoir était sans souffle. Tout de même formidable mais malade.
– Elle avait été son désir, elle le vit, cela la gênait.
– Ceux qui savaient avaient disparu et il n’y a plus de monde.

Ce Magda Szabo « augmenté » est offert à Florence T., ancienne collègue de lettres, très branchée livres … et Japon… qui m’ a recontactée récemment. Elle a juste à me donner son adresse !

 

Un Stig Dagerman : P U N° 182

Stig Dagerman (1923-1954), est en Allemagne en 1946 en tant que journaliste. Il raconte ce qu’il voit, comprend et ressent de l’état du pays, des habitants, selon les zones d’occupation. Il montre l’hypocrisie des Spruchkammern, les tribunaux censément de dénazification qui s’attaquent plus aux petits qu’aux gros. Il s’indigne et dit le risque de la punition infligée à une population entière quand les plus coupables s’en sortent. C’est Automne allemand paru en livre en Suède en 1967, chez Actes Sud en 1980, traduit par Philippe Bouquet (1937-2023, qu’on pouvait rencontrer aux Boréales de Normandie) et trouvable collection Babel.

Des « Poèmes Express » en sont sortis. En voilà quelques uns :
– Un avocat coquin, dans l’obscurité, frôle des dos, pleine peau.
– Le Russe, l’Américain le fait empailler et l’envoie chez lui, en souvenir.
– Les rangées de fauteuils doivent apprendre à attendre.
– En uniforme, lunettes en train de glisser et voix nasillarde.
– Chercher le moyen de tuer ceux qui s’entassent dans la tête.
– La faim fume des cigarettes et boit un thé gris.
– Lorsque les nazis asexués prennent l’air, ils sont d’une beauté de bière.

Cette Pièce Unique est offerte à Stéphanie Van P. rencontrée depuis plusieurs étés dans plein de bons moments festifs à Pirouésie et que l’idée des Pièces Uniques a amusée.

Un Bertrand Schefer : P U N° 181

L’âge d’or de Bertrand Schefer, 2008, éditions Allia. Toujours ce papier ivoire, ce format et cette typo distingués. Allia où B. Schefer avait déjà traduit Zibaldone de Leopardi, Allia que B. Schefer quitte en 2012 pour P O L, une autre distinction.
Bertrand Schefer était, cette année à Ecrivains en bord de mer pour son texte Francesca Woodman et pour les 40 ans de P O L. J’avais mission de lui passer le bonjour d’une libraire, Caroline, qui l’avait interviewé dernièrement. Mission accomplie. Abord très agréable.
Depuis, lecture de L’âge d’or et de Série noire, plus récent, plus aisé. D’ailleurs, ce serait un vrai plaisir de voir l’auteur accueilli par les Ancres Noires pour ce roman « blanc » qui parle du « noir » et qui reçut le prix Wepler en 2018.
L’âge d’or : des moments de vie, des personnages jeunes qui s’essaient à l’âge adulte avec des corps durs, des actions dont ils ne semblent pas mesurer l’impact, de fausses rencontres, des essais non transformés, des défaites.

Voilà quelques « Poèmes Express » nés dans L’âge d’or :
– Coule vert-de-gris dans la tête un mélange de fonds de bouteille.
– Le blanc de son corps était au lit.
– A deux ans il lance une pluie de confettis, vieille idée.
– Il pense au mot « mot » : fin morceau de conversation.
– Le linoléum imitation faux bois gondole dans le silence de la pièce.
– C’est peut-être à cause du blanc sur le boulevard qu’on n’a pas grand chose à voir.
– Dissout dans l’acide ou paisible dans la cuisine, le corps.

L’âge d’or  » augmenté  » de  » Poèmes Express  » et d’actualités  » ricocheuses  » est offert… à Bertrand Schefer… qui n’a évidemment rien demandé …

Un Umberto Eco : P U N° 180

Mis en avant

Numéro zéro, paru en Italie, et en France dans la traduction de Jean-Noël Schifano en 2015 est la Pièce Unique N° 180 (180, quand même ! )
Umberto Eco (1932-2016) avait au moins deux surnoms : » il professore » et « il tuttologo ». Tout fait sens et, en amoureux de savoir, ce septième roman mélange faits historiques et théories du complot.
Plus intéressant encore, il y décrypte avec humour les dérives d’un journal sous capitaux privés, « Domani », appartenant au « Commandeur Vimercate » – Au moment de la ressortie du JDD, c’est à lire… –  Vimercate // Berlusconi // B… également propriétaires de télévisions…

Quelques Poèmes Express venus de Numéro zéro :
– Perdez votre latin, entraînez-vous.
– Rêver d’un jacuzzi est moins cher que le payer.
– Personne ne paraissait avoir envie de durer.
– Fou était romanesque. Folie était collector.
– Chaussettes vert petit pois : en déduire un personnage.
– La vie avait renoncé et l’avait montré.
– On ne veut pas finir au tribunal pour une rumeur roulant des hanches.
– Recevoir un chèque pour ne pas écrire.

Ce Numéro zéro additionné de Poèmes Express et d’informations a été offert,
lors de Pirouésie 2023 – on en parle bientôt –
à Coraline Soulier, enseignante, animatrice d’ateliers d’écriture
et Oulipophile
à Pirou comme à Lille, dans Zazie mode d’emploi.