Chat Bleu : novembre 2021 – 1)

C’était le jour du beaujolais. Nsenga ne pouvait donc que nous en proposer, d’autant que c’est là » qu’il est « tombé dans le vin », qu’il a fait ses premières vendanges. Certes, avec de plus grands crus que ce petit primeur qui a pour seul atout la fraîcheur du fruit.

Les livres :
– Personne ne sort les fusils de Sandra Lucbert, Seuil 2020, maintenant , en poche, collection Points.
Ellle commente le procès du management de France-Télécom : 7 dirigeants comparaissaient après 10 ans d’instruction et 19 suicides. P.11 : L’obsession du départ en 3 ans de 22 000 salariés et de 10 000 mobilités est devenue le coeur de métier des dirigeants de France-Télécom. »
Elle montre leur manque d’empathie, prouve qu’ils n’ont pas beaucoup de souci à se faire : P 17 : La peine maximale : 15 000 euros d’amende – Olivier Barberot, par exemple, gagne 540 000 euros par an, et une année de prison qu’ils ne feront pas, leurs casiers étant vierges »
Elle fait le parallèle entre la langue managériale et la LTI, la langue oppressive nazie qu’avait étudiée Klemperer.  P 52 : « On ne dit pas protégés, on dit assistés »
L’ écriture de Sandra Lucbert est « cash »,  le sujet est trash. Un tel texte, de même que ceux d’Arno Bertina qui jugent une société de plus en plus « ubérisée » sont essentiels.-
L’aiguilleur de Bertrand Schmid, chez Inculte, 2021. On est en URSS, dans un endroit et un temps assez indéfinis. Plutôt près de la Sibérie. Plutôt du temps de Staline. Le travail de l’aiguilleur est de garder en état les voies, le système d’aiguillage pour les trains qui vont vers l’Est. Il fait froid, il neige. L’ambiance est belle, rude et glaçante, évidemment, mais belle – comme la couverture -.
– Avec Bas Jan Ader de Thomas Giraud, aux éditions lilloises la Contre-allée, 2021 : Comme ses précédents textes – par exemple sur Elysée Reclus – ce n’est pas vraiment une biographie, pas vraiment un essai, pas vraiment un roman mais un peu de tout ça. Thomas Giraud évoque un artiste performeur néerlandais, Bas Jan Ader (1942-1975), un peu son enfance  et surtout ses travaux : ses chutes filmées, le voyage en mer dont il n’est pas revenu. Et ce qu’il dit de ces chutes est beau, délicat. On le voit tomber. Sans jamais appuyer, il nous permet d’imaginer les pensées et les ressentis sous-jacents du plasticien.

Nous étions nombreux. Un Chat Bleu – novembre – 2) va suivre.

La date du prochain Chat Bleu change : c’est le 16 décembre.


 

 

Les Boréales, hier (20-11-2021)

Aux Boréales hier, on parlait danois.

D’abord avec les éditions La Peuplade : Anne Cathrine Bomann pour Agathe, et Johanes Nielsen pour Les collectionneurs d’images (déjà évoqué au cours d’un « faux Chat Bleu », trouvable sur ce blog à la date du 16 mai 2021). L’action du livre de A.C. Bomann se situe en France où elle a vécu un an. Le Nielsen se passe aux îles Féroé où il demeure. A.C. Bomann parle d’un vieux psychanalyste, presque retiré du monde et sa dernière jeune patiente. Nielsen, l’écrivain « taiseux », évoque toute une ville, Torshavn. Le premier texte est intimiste, le deuxième sociétal.

Puis Kim Leine et Mads Peder Nordbo, deux auteurs danois qui ont vécu plusieurs années au Groenland, ont évoqué ce lieu. Mal en point à ce moment-là, ils ont pu y rebondir. L’un, traduit chez Gallimard, écrit des romans hoistoriques, l’autre, des polars chez Actes sud-noir. Deux ambiances, deux temporalités mais ils parlent tous deux du passé colonial, « tyrannie douce », de cette étrange relation où chacun (ex-colon comme ex-colonisé) est retranché dans son ignorance.

Enfin, Björn Larsson était interviewé par Frank Lanot à propos de Le choix de Martin Brenner, chez Grasset, Là, pas de langue étrangère. Larsson parle un français parfait. D’autres langues aussi. Homme du monde ou de no-where, homme de culture qui convoque dans son livre Buber (« Ich und du ») Arendt, Levinas (« L’autre existe, donc je suis »), Modiano ou encore Gary. Le thème du livre : le choix, ses conséquences et le fait qu »‘aucun homme n’est une île ». On est par le regard de l’autre.

Aujourd’hui, d’autres grands moments, dont la venue à 17h 30 de Jon Kalman Stefansson… mais nous n’y serons pas…

Boréales de Normandie

comme chaque année, à Caen, dans l’auditorium du musée, les rencontres littéraires sont un beau et bon moment.
Les 20 et 21 novembre, à partir de 14 h, seront là, entre autres, Joanes Nielsen et Jon Kalman Stefansson.
Les entendre dans leur langue et les comprendre grâce à leurs traducteurs – Eric Boury pour  l’Islandais Stefansson -. Prendre le temps d’écouter une voix, dans une langue qu’on ne comprend pas puis, seulement après, savoir ce qu’elle dit : un luxe extraordinaire.

Samedi 20 : à 14h : Table ronde La Peuplade , maison d’édition québécoise. Avec l’auteur des îles Féroé, Joanes Nielsen dont nous avons évoqué Les collectionneurs d’images au cours d’un Chat Bleu. Venez !

Un Joseph Conrad : P U N° 139

Typhon de Joseph Conrad est réédité dans la traduction d’Odette Lamolle aux éditions Autrement, avec une préface de Mathias Enard .

« Ingrédients » principaux : un vapeur : le Nan-Shan sous pavillon du Siam. Son commandant : le capitaine Mac Whirr présenté comme taiseux, fils d’épicier sans imagination. Son second, Jukes qui n’a pas beaucoup de considération pour lui. Des Chinois qui reviennent chez eux « après quelques années de travail dans diverses colonies des tropiques. ». Et un typhon, le premier jamais vécu par ces hommes.
L’auteur et marin décrit le navire au coeur de la tourmente, les réactions des officiers et la gestion du problème des Chinois qui se battent dans l’entrepont. Les dialogues traduisent, sans effets de manches, le racisme « naturel » de ses personnages. Très fort aussi est le contraste entre les scènes de danger sur le bateau et celles de réception des lettres par mrs Mac Whirr… Conrad sait nous placer dans le chaos et, dans le même temps, au coeur de la médiocrité des sentiments.

Voilà quelques « Poèmes Express » venus de ce roman :
– Petites perspectives, peu d’occasions. Un homme.
– Vous me paraissez drôlement relative, dit ce petit à la porte.
– Sur la toile cirée, la confiture et le livre.
– Arracher ses mains, pousser sa peau, ne pas appartenir à son crâne.
– C’est triste, les mains ridées posées sur l’épouse.
– Il valait mieux ne pas parler de marbre noir.

Typhon, augmenté de « Poèmes Express » et d’actualités, est offert au poète Jean-Claude Pinson…-  un de ses amis et admirateurs ayant la gentillesse de penser que cela peut l’amuser –

Jean-Claude Pinson ( à  J.P. S sur la Pièce Unique reçue) : « Pas eu le temps du coup de regarder d’un peu près ce livre dont tu me parles. L’analyse que tu en fais me paraît très pertinent : on est aux frontières des arts plastiques et de la littérature. Ça me semble relever de ce qu’on appelle l’art conceptuel. On met en œuvre une procédure définie d’avance et on décline ad infinitum (il y a un effet sériel : les 140 échantillons dont tu parles). Cela pourrait paraître bien mécanique. Mais là, l’artiste-auteure invente pour chaque page une triangulation renouvelée (Conrad, un extrait de presse et les mots cut-pués en jaune). L’apport n’est pas visuel (rien à « contempler »), mais seulement « littéraire », dans le décalage obtenu par le procédé. Evidemment, il faudrait prendre le temps de regarder cela de beaucoup plus près. À vrai dire, je n’ai guère d’appétit pour ce genre d’objet (à tort peut-être). »