Un Stig Dagerman : P U N° 182

Stig Dagerman (1923-1954), est en Allemagne en 1946 en tant que journaliste. Il raconte ce qu’il voit, comprend et ressent de l’état du pays, des habitants, selon les zones d’occupation. Il montre l’hypocrisie des Spruchkammern, les tribunaux censément de dénazification qui s’attaquent plus aux petits qu’aux gros. Il s’indigne et dit le risque de la punition infligée à une population entière quand les plus coupables s’en sortent. C’est Automne allemand paru en livre en Suède en 1967, chez Actes Sud en 1980, traduit par Philippe Bouquet (1937-2023, qu’on pouvait rencontrer aux Boréales de Normandie) et trouvable collection Babel.

Des « Poèmes Express » en sont sortis. En voilà quelques uns :
– Un avocat coquin, dans l’obscurité, frôle des dos, pleine peau.
– Le Russe, l’Américain le fait empailler et l’envoie chez lui, en souvenir.
– Les rangées de fauteuils doivent apprendre à attendre.
– En uniforme, lunettes en train de glisser et voix nasillarde.
– Chercher le moyen de tuer ceux qui s’entassent dans la tête.
– La faim fume des cigarettes et boit un thé gris.
– Lorsque les nazis asexués prennent l’air, ils sont d’une beauté de bière.

Cette Pièce Unique est offerte à Stéphanie Van P. rencontrée depuis plusieurs étés dans plein de bons moments festifs à Pirouésie et que l’idée des Pièces Uniques a amusée.

à ne pas rater

A mon avis,
enfin, moi, j’dis ça…
vous faîtes c’ que vous voulez …

non, sérieusement, allez voir.
C’est une B D.
Plutôt un roman graphique :
Le grand Je de Rachel Deville,
à paraître chez Atrabile en septembre.
Les B D, habituellement, ne me font rien.
Là, je trouve fabuleux ce dessin, ces idées de personnages sans corps ou à trois têtes – avec tout ce que cela entraîne – . Séance de psy à l’appui… Allez voir.

Un Bertrand Schefer : P U N° 181

L’âge d’or de Bertrand Schefer, 2008, éditions Allia. Toujours ce papier ivoire, ce format et cette typo distingués. Allia où B. Schefer avait déjà traduit Zibaldone de Leopardi, Allia que B. Schefer quitte en 2012 pour P O L, une autre distinction.
Bertrand Schefer était, cette année à Ecrivains en bord de mer pour son texte Francesca Woodman et pour les 40 ans de P O L. J’avais mission de lui passer le bonjour d’une libraire, Caroline, qui l’avait interviewé dernièrement. Mission accomplie. Abord très agréable.
Depuis, lecture de L’âge d’or et de Série noire, plus récent, plus aisé. D’ailleurs, ce serait un vrai plaisir de voir l’auteur accueilli par les Ancres Noires pour ce roman « blanc » qui parle du « noir » et qui reçut le prix Wepler en 2018.
L’âge d’or : des moments de vie, des personnages jeunes qui s’essaient à l’âge adulte avec des corps durs, des actions dont ils ne semblent pas mesurer l’impact, de fausses rencontres, des essais non transformés, des défaites.

Voilà quelques « Poèmes Express » nés dans L’âge d’or :
– Coule vert-de-gris dans la tête un mélange de fonds de bouteille.
– Le blanc de son corps était au lit.
– A deux ans il lance une pluie de confettis, vieille idée.
– Il pense au mot « mot » : fin morceau de conversation.
– Le linoléum imitation faux bois gondole dans le silence de la pièce.
– C’est peut-être à cause du blanc sur le boulevard qu’on n’a pas grand chose à voir.
– Dissout dans l’acide ou paisible dans la cuisine, le corps.

L’âge d’or  » augmenté  » de  » Poèmes Express  » et d’actualités  » ricocheuses  » est offert… à Bertrand Schefer… qui n’a évidemment rien demandé …

Dans la famille des

Dans la famille des « purs », je voudrais la « mère » : Jane Sautière
Les « purs », encore cette formulation grandiloquente !
Ouais…
Sans doute n’est-il pas vital qu’un écrivain soit bon humainement. On peut apprécier son écriture sans cela, et Céline en est une preuve. Mais, quand même, j’aurais tendance et la faiblesse de penser que la concordance des deux est un plus.

De Jane Sautière, j’ai d’abord lu Corps flottants, paru cette année – on en a parlé au Chat Bleu – . et viens de finir Fragmentation d’un lieu commun, chez le même éditeur, Verticales, son premier livre, de 2003
– parce que vous vous souvenez ? : la durée d’un livre n’est pas, ne peut pas être, de trois mois – .

Au même moment, un article de Libé nous rappelle que 74 000 personnes sont incarcérées en France (chiffres du 1er juillet 2023) et pointe un problème supplémentaire pour la réinsertion de ces gens : la dette qui court toujours à l’extérieur, les impayés qui s’accumulent.
Fragmentation d’un lieu commun, ce sont cent fragments adressés, cent « vous » ou « tu » à cent personnes croisées en prison, ou à l’extérieur, en tant qu’éducatrice. Cent personnes reconnues pour autre chose que leur dangerosité, leur délinquance, leur maladie mentale, ou leur inadaptation. Cent courts chapitres de visibilisation d’existences des deux côtés de la justice. Parce que quelques fragments évoquent aussi des collègues ou des surveillants. Cent mini-textes sans sensiblerie mais pleins de sensibilité. Cent approches de femme…
Je sais, c’est une autre délimitation risquée : écriture masculine ou féminine. Ce n’est d’ailleurs pas ce que je veux pointer. Il s’agit, non de l’écriture d’une femme, mais d’un écrit, d’empathie lisible, évidente. Et d’accord, tous les textes de femmes ne sont pas bourrés d’empathie. Et encore d’accord, empathie ne signifie pas qualité.

Mais voilà, pour finir, un tout petit extrait :  P. 100-101 :  » Votre fils va venir vous voir. Il ne travaille plus à l’école depuis que vous êtes détenu, ça vous soucie beaucoup. » (…) « Je sens qu’il faut que votre fils sache que c’est viril d’apprendre. C’est un combat, une lutte, aussi grasse et épaisse que la lutte à main nue. »

Un pur


 Bon, le titre est peut-être un peu ampoulé mais je le garde.
De nos frères blessés (2016) prix Goncourt du premier roman, prix refusé par l’auteur,
Kanaky – sur les traces d’Alphonse Dianou (2018), voilà les deux livres que j’ai lus pour le moment de Joseph Andras. D’autres sont parus, d’abord chez Actes Sud et le dernier, Nudem Durak – Sur la terre du Kurdistan, en 2023, aux éditions Ici-Bas.
Ces  trois textes ont en commun :
– de venir d’ « une sorte de commotion. Il faut croire que j’écris ainsi – j’avais auparavant été attrapé par les « cas » Fernand Yveton et Alphonse Dianou. »
d’être le fruit d’une enquête littéraire et historique de plusieurs années.
– d’écrire sur quelqu’un mais de vouloir bien plus : « appréhender une situation collective à travers un cas circonscrit » : le(s) colonialisme(s).
– de donner la parole à des hommes et femmes, les protagonistes, les témoins. Au point que Tiphaine Samoyault, dans Le Monde du 25-05-2023, voit en Nudem Durak un « livre qui défait la notion d’auteur » puisqu’il donne à lire aussi le texte de cette chanteuse kurde emprisonnée depuis 2015, condamnée à 19 ans de réclusion.
Joseph Andras revoit l’Histoire avec« sa grande hache » (cf Georges Pérec), réhabilite des personnages que des Etats ont éliminés, ont tenté – et longtemps réussi – à réduire au silence ou à une image de traitres , de terroristes.

ça non plus

promis, c’est la dernière fois. Après cette image, j’arrête avec « Rien à voir avec »
Mais ce service de Eva Zeisel, de 1931 est top, non ? !

Rien à voir avec

Rien à voir avec Pirouésie
Rien à voir avec les Pièces Uniques
Rien à voir avec le Chat Bleu
Rien à voir avec les Ancres Noires
Rien à voir avec rien
mais
c’est beau-rigolo, non ?

Un Umberto Eco : P U N° 180

Mis en avant

Numéro zéro, paru en Italie, et en France dans la traduction de Jean-Noël Schifano en 2015 est la Pièce Unique N° 180 (180, quand même ! )
Umberto Eco (1932-2016) avait au moins deux surnoms : » il professore » et « il tuttologo ». Tout fait sens et, en amoureux de savoir, ce septième roman mélange faits historiques et théories du complot.
Plus intéressant encore, il y décrypte avec humour les dérives d’un journal sous capitaux privés, « Domani », appartenant au « Commandeur Vimercate » – Au moment de la ressortie du JDD, c’est à lire… –  Vimercate // Berlusconi // B… également propriétaires de télévisions…

Quelques Poèmes Express venus de Numéro zéro :
– Perdez votre latin, entraînez-vous.
– Rêver d’un jacuzzi est moins cher que le payer.
– Personne ne paraissait avoir envie de durer.
– Fou était romanesque. Folie était collector.
– Chaussettes vert petit pois : en déduire un personnage.
– La vie avait renoncé et l’avait montré.
– On ne veut pas finir au tribunal pour une rumeur roulant des hanches.
– Recevoir un chèque pour ne pas écrire.

Ce Numéro zéro additionné de Poèmes Express et d’informations a été offert,
lors de Pirouésie 2023 – on en parle bientôt –
à Coraline Soulier, enseignante, animatrice d’ateliers d’écriture
et Oulipophile
à Pirou comme à Lille, dans Zazie mode d’emploi.

pour accompagner la Pièce unique N° 180, un Umberto Eco

 À Bologne et à Milan, où ont été répartis les 50 000 ouvrages du grand écrivain, l’Italie célèbre « Il Professore » en reconstituant sa bibliothèque idéale.