Un Kessel : n° 64

La Pièce Unique n° 64 est faite à partir de L’équipage de Joseph Kessel (1898-1979), connu comme grand reporter, auteur d’environ 80 livres. Un certain nombre de ses textes reparaissent en ce moment.
L’équipage, paru en 1924, est son premier succès : plus de 250 000 exemplaires vendus. C’est aussi le premier livre sur l’aviation moderne, né de son expérience dans l’escadrille S 39, lors de la première guerre mondiale, sous le commandement du capitaine Thélis Vachon devenu dans le livre Gabriel Thélis : jeune, attachant, courageux, mort en héros.
Le personnage principal, Jean Herbillon, est sans doute un double de Kessel : jeune engagé volontaire, un peu fat, séducteur. Il y est question de danger, d’amitié virile, cassée par la duplicité des femmes. J’aurais tendance à y voir une littérature masculine, misogyne, au style un peu ampoulé, grandiloquent mais Flammarion-enseignants en fait un livre pour les élèves de 1ère, voire de 3è…

Quelques « poèmes express » qui en sont issus :
– J’ai eu du mal à faiblir. Baisers maladroits dans l’ombre de la voiture.
– Désarmé, sa chair grésille dans les femmes.
– Il quitta l’obscurité, entra dans la clarté cirée, considéra un bloc doré.
– Cambré contre le plafond, libéré du sol, sur les lèvres une buée.
– Paupières baissées, deux hommes arrêtaient le silence qui prenait l’air.
– Ne pouvant plus briser, il proposa : – si je vous demande pardon ?
– Ils n’avaient que leur bouche.
– Après-midi vide. Demain refusé. Besoin de tendresse.

Cette Pièce Unique est offerte à Nicolas Sorel, un des membres fondateurs de l’association pluridisciplinaire Amavada qui, depuis 1995, propose spectacles, expos, stages et éditions.
Dans leur collection Romanex, on peut trouver Le dîner des bustes de Gaston Leroux, suivi d’une conférence sur le personnage de Rouletabille et d’une présentation de Leroux, auteur populaire, journaliste plein d’audace.

Ils étaient installés à « la Fermeture éclair » depuis 2011 et sont maintenant hébergés par la Bibi, ancienne bibliothèque de Caen, avenue Albert Sorel. Ils proposent des activités tout l’été.

N° 63 : un Duras

La Pièce Unique n° 63 est faîte de Les yeux bleus cheveux noirs, de Marguerite Duras, 1986, éditions de Minuit. Une histoire d’amour-désir-dégoût entre elle et lui, les nuits, dans une chambre d’hôtel de Trouville.

Marguerite Duras, on l’a adorée dans ses livres, des plus anciens à La douleur, dans ses films, surtout le double désincarné d’India Song : Son nom de Venise dans Calcutta désert. Et puis, longtemps, on n’a plus rien lu d’elle et on a pris ce roman en en espérant beaucoup : en voulant retrouver le plaisir d’avant, la voix et son rythme spécifique. Et puis, on n’entre pas dedans, on pense au mot « kitsch » et il s’ancre dans la lecture… A qui ou quoi en incomber la « faute » ? Le temps ? Un ton obsolète ? Une distance ? Nous ? Elle ? On ne sait pas et on est déçus et on se demande ce qu’il se passerait si on relisait les autres, ceux qu’on a aimés…

Voilà quelques uns des « poèmes express » pris dans ces pages :
– Elle aimerait bien produire des amants, la nuit.
– Arrivé au bord de la femme, il confirme : c’est ça, quelqu’un.
– Les filles étaient allées toucher les hommes. Elles étaient des doigts.
– La flaque blanche, cette nuit, est encore venue mais dans le sens inverse.
– Un seul étranger était cause de,
Un étranger abstrait,
De l’erreur.

La P.U. n° 63, 3 livres en 1, a été offerte à Dominique Panchèvre, responsable de N 2 L, rencontré  à La Baule, pendant Ecrivains en bord de mer. A la question : » Tu aimes Duras ? », sa réponse :  » Ça dépend  » a permis de le lui donner sans s’en vouloir…

Chat Bleu juillet 2018-2)

Déjà, la prochaine date : jeudi 13 septembre !

En juillet, nous avions beaucoup lu :

  • autour de textes nés du terrorisme :– Le lambeau de Philippe Lançon, Gallimard 2018.
    Philippe Lançon est journaliste, critique théâtral. Il travaillait à Libération et à Charlie Hebdo. Il a été une des victimes de l’attentat à ce journal. Atteint à la mâchoire, il raconte l’attaque de son point de vue, au sens propre : ce qu’il en a vu, perçu, de là où il était étendu, sur soixante pages. Ensuite viennent les soins, les plus de dix sept interventions, ses stratégies pour les supporter, sa relation aux soignants, l’importance de l’écriture pour se sauver. Un grand livre dit la lectrice qui a elle-même été soignante.
    – Le livre que je ne voulais pas écrire d’Erwan Larher, éditions Quidam, 2017 à propos du 13 novembre 2015, au Bataclan.
    – Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris, Fayard, 2016, sur le même événement durant lequel sa femme est morte.
  • de romans très divers :
  • chez Actes Sud :
    – Les arpenteurs du monde de Daniel Kehlman : roman historique : les relations entre Gauss et Humboldt.
    – Sui Sen d’Aki Shimazaki : un homme qui assure. Un jour, tout s’écroule.
    – Filles de joie de Murata Kiyoko : 1903, dans une île japonaise, une jeune fille est vendue à une maison close. Education puis révolte. Cruauté et raffinement.
  • Ailleurs :
    – My absolute darling de Gabriel Tallent, chez Gallmeister, 2018 : une relation perverse entre une fille et son père. Tallent sera à Rouen, à Larmitière le 29 septembre et auparavant, au festival America, à Vincennes, du 20 au 23 septembre.
    – Le jour d’avant de Sorj Chalandon : déjà évoqué, beaucoup apprécié du fait de sa construction inattendue et du côté très documenté sur la vie des mineurs.
    – Amalia  Albanesi de Sylvie Tanette, Mercure de France, 2011 : histoire de femmes dans les Pouilles début XXème siècle, d’immigration avortée vers les USA. On suit les personnages jusque dans les années 1980.
  •  en poche :
    –  Un clafoutis aux tomates cerises de Véronique de Bure, J’ai Lu : le regard très frais d’une femme du quatrième âge.
    – La succession de Jean-Paul Dubois, Points : avons-nous le choix ou le destin nous rattrape-t’il toujours ?
    – Je n’ai pas peur de Nicolo Ammaniti, Livre de poche : Années 80, la mafia enlève un enfant.
    – Témoin involontaire de Gianrico Carofiglio, Rivages Noir avec, à la fin, une superbe plaidoirie d’une vingtaine de pages.
  • de non-romans :
    – Le dictionnaire amoureux de Saint Pétersbourg de Vladimir Fedorovski, Plon.
    – Le prophète de Gibran Khalil Gibran (1883-1931) : recueil de poésies commencé en 1915, paru en 1923 à New York.
    – Docteur Coq : essai d’auscultation de la médecine générale de Thierry Lecoquierre, Librinova, 2018 : chroniques et réflexions.
  • Enfin, nous avons parlé de pays nordiques avec  :
    – un livre introuvable : Finlande et Finlandais : sur le pays avant qu’il n’existe avec, par exemple, Bernardin de Saint-Pierre qui y est allé en 1762, quand c’était encore la Suède, sur le Kalevala : l’épopée nationale, sur le féminisme et l’éducation.
    – l’expo Alva Aalto, maison Louis Carré en Ile-de-France, sur réservation, jusqu’au 9 septembre.
    – l’expo Lumières nordiques, à St Pierre de Varengeville
    – et enfin, à venir au Havre : les conférences de l’AMAM sur les peintres nordiques et l’exposition au MUMA de photographes danois.
  • Une belle séance ! non ?

Chat Bleu, juillet 2018 – 1)

Le Chat Bleu nous offrait ce soir-là deux très bons vins :
en blanc, du Condrieu, sec, minéral, venu du côté de Vienne, d’un petit producteur, propriétaire récoltant : domaine Richard.
en rouge, un Mercurey, presque un première côte, du domaine de la Chapelle.

Les livres qui les accompagnaient :

  • aux éditions Passage(s) :

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    – Lettres du Bhoutan de Ragnar Helgi Olafsson, 2017, roman épistolaire ( paru d’abord en islandais en 69 exemplaires aux éditions Tunglio en 2013 ), traduit et préfacé par Jean-Christophe Salaün. Olafsson, autant artiste contemporain qu’auteur, a écrit là un livre  « léger« comme une « esquisse« , plein de « lacunes » et de « vide » : un homme cherche au Bhoutan une cabane où vivre. Il est seul et écrit à sa femme restée en Islande qui a dessiné cette cabane fantasmée. Il ne lui arrive presque rien ou des choses qui le retardent dans sa mission.
    – Frères volcans de Vincent Placoly (1946-1992), 2017, paru pour la première fois en 1983 sur la révolution de 1848 en Martinique : la République, les esclaves, les coloniaux. Le narrateur est un blanc qui voit les choses de haut, un ancien planteur qui a affranchi ses esclaves depuis un moment et vit les événements et ses derniers jours, entouré de ses livres. Placoly pointe que la fin de l’esclavage a été le début du travail salarié, dur et mal payé pour et par les mêmes, que les coloniaux ont su ne pas perdre au change.

  • en poche, deux aspects du travail d’un auteur venu au Polar à la Plage en juin : Benoit Séverac, professeur d’anglais à l’école vétérinaire de Toulouse, aussi … oenologue…
    – Rendez-vous au 10 avril : un polar historique. La guerre de 14 est finie. L’inspecteur en est revenu très abimé. Il a à résoudre deux affaires qui tournent toutes deux autour de l’école vétérinaire.
    – Trafics, paru en 2016 sous le titre de Chien arabe à la Manufacture des LivresCela se passe dans les années 2010 dans un quartier défavorisé de Toulouse. Il y est question de chien-mule et d’Islam radical, du travail des polices et d’une vétérinaire enquêtrice.

Ouest Track et nous

Sur  la radio OUEST TRACK95.9,

dans Viva culture, vous pouvez entendre Autour des livres les dimanches , à 11 h  ou en podcast. C’est court : dix minutes :

  • sur les éditions Gallmeister, le 22 juillet
  • sur les éditions Rue du Départ, le 5 aout
  • sur les Boréales de Normandie et les éditions Passage(s), le 22 août.

A bientôt !

N° 62 : Vaterland

La Pièce Unique n° 62, 3 livres en 1, est constituée à partir de Vaterland d’Anne Weber,
sorti en France et en Allemagne en 2015, trouvable maintenant en Points Seuil.
Vaterland est un récit – recherche de soi, de son histoire familiale, réflexion sur le passé, ce qu’est être Allemande,  même en étant née en 1964.
Voyage dans le temps, auprès de Sanderling, l’arrière-grand-père, pasteur rigoriste mais ami de Walter Benjamin, du grand-père nazi et du père qui ne veut rien savoir de tout ça.
Voyage dans l’espace en allant, aux archives à Berlin, en Pologne, à Poznan, à Polajewo, village où Sanderling avait exercé, à Hadamar, pour voir un asile de fous qu’il avait visité ( : « Pourquoi n’empoisonnez-vous pas ces gens ? »…)… On en gazera plus de dix mille, là, entre janvier et août 1941 … P. 110 : «  Le passé n’est pas quelque chose d’achevé (…) Le passé est un avenir qui se crée comme nous avançons, qui change, qui aura été autrement. »
Un très beau livre sur les glissements de l’histoire, sur le besoin de la comprendre.

Voilà quelques « poèmes express » issus de Vaterland :
– A huit dans deux lits, on peut supposer le contact pédagogique.
– Une erreur est possible avec des êtres qui n’existent que dans des couleurs pastel.
– La première rubrique indique 
à titre honorifique ; l’honorifique croit qu’il l’est.
– C’est mon père qui me l’a dit : un type plie la nuit sous un képi.
– J’ai réfléchi à l’histoire : c’est beau, figé, un souffle.
– Des soldats de plomb jouent avec des vaches maigres : cohabitation.

La P. U. 62 est offerte à Véronique G., amie écrivante à l’univers doux, mélancolique, grande lectrice, amoureuse des mots, quoi ! Je sais qu’elle a déjà lu et aimé Vaterland.

Chat bleu juin 2018 : 2)

Ce jeudi-là, en plus de Gallmeister, il a été question de livres de poche pour l’été, pour des valises plus légères et la plage :
– Eclipses japonaises d’Eric Faye, collection Points : entrelacement de roman et d’histoire :  des rapts de Japonais, de Coréens du sud, même d’un Américain pour aider à l’espionnage par la compréhension de la société japonaise.
Le printemps des barbares de Jonas Lüscher,  en J’ai lu. Le premier roman de cet auteur suisse qui a obtenu le prix Frantz Hessel, Un sujet gravissime : la banqueroute toujours possible dans notre société, traité de manière complètement déjantée.
– Samedi de Ian McEwan, chez Folio : une journée qui change tout dans la vie d’un neuro-chirurgien, dans Londres, parallèlement à une manifestation contre la guerre d’Irak.
– La tresse de Laetitia Colombani, au Livre de poche : « un bon scénario, une idée intéressante plus qu’un bon livre » en ont dit les lectrices.
– Les furies de Lauren Groff, Points : deux visions de la même vie de couple et manipulation.
Fête fatale, un thriller de William Katz, Livre de poche.

Plus lourds, plus récents, pas encore en poche mais presque tous primés :
– Bakhita  de Véronique Olmi, Albin Michel, prix du roman FNAC 2017, qui restitue le destin (vrai) d’une esclave devenue religieuse.
– La disparition de Joseph Mengele d’Olivier Guez, Grasset, prix Renaudot 2017 : là aussi, « roman vrai »,  la cavale de ce criminel nazi en Amérique latine jusqu’à sa mort en 1979.
Summer de Monica Sabolo,  éd.J.Cl. Lattès, prix de la fête du livre de Bron : la disparition d’une jeune fille.
Les loyautés de Delphine de Vigan, aussi chez Lattès : Théo, 12 ans, enfant de divorcés, une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre :  » prend aux tripes… » 

Vous l’aurez remarqué : les livres primés et les livres de poche sont principalement cités… Pourquoi ? Sont-ils réellement meilleurs ou plus visibles, plus médiatisés ?
Moins chers, les poches, oui  : une deuxième vie pour des textes qui ont « bien marché« . S’il vous plaît, pensez-y : n’acheter que des poches ou des livres primés n’aide pas la littérature. La preuve de la qualité d’un livre n’est pas la quantité vendue. La quantité vendue dit juste la force de frappe des maisons d’édition qui, rappelons-le, appartiennent souvent actuellement à de grands groupes financiers…