Les deux étaient sous le signe de l’amitié (d’ailleurs, cette fois, vous aurez ici plusieurs signataires).
1) Au Chat Bleu, nous avons bu des vins italiens : un blanc perlé avec un bel équilibre entre acidité et fraîcheur, un peu sucré, un Lambrusco qui se mariait très bien avec des toasts de pesto gênois. Un rouge des pentes du Vésuve, un vin de messe au départ, un peu charpenté et maintenant plus travaillé dans la rondeur pour l’exportation : un Lacrima Christi.
Cela accompagnait des livres d’auteurs invités au festival du Goût des autres : un Véronique Ovaldé : LA SALLE DE BAIN DU TITANIC (J’ai lu) : tout petit livre constitué de nouvelles qui, au prime abord, semblent indépendantes mais ne le sont pas. Une histoire qui court sur plusieurs années, une écriture poétique qui relate l’horreur avec beaucoup de tact, sans aucun misérabilisme.
Un Claro : COSMOZ (2010, Actes sud et Babel) : Claro, comme Mathieu Larnaudie, Mathias Enard, Joy Sorman, était invité au festival en tant qu’ami (littéraire) de Maylis de Kerangal puisque tous ont fait partie du collectif d’une dizaine d’écrivains : INCULTE qui proposait une revue trimestrielle et des livres de 2004 à 2009. La maison d’édition est actuellement re-née, réorganisée autour de Jérôme Dayre. COSMOZ est ce qu’on pourrait appeler un « livre-monde » autour du MAGICIEN D’OZ. Fantastique et réalisme sont mêlés puisque nous suivons les personnages : l’épouvantail, l’homme en fer blanc, Dorothy etc dans la fiction et dans la réalité du XXème siècle, des tranchées de 14 à l’essai de la bombe atomique à Los Alamos (Los AlamoZ) en passant par l’utilisation du radium dans l’industrie horlogère et ses conséquences, les asiles d’aliénés en France pendant la seconde guerre mondiale, le cinéma et bien d’autres choses . Tout est relié; c’est fou, touffu, hyper documenté et très écrit !
Nous avons aussi lu des extraits de BOUSSOLE de Mathias Enard : rêve et histoire d’amour, orientalisme dans une très belle langue, avec beaucoup de références culturelles. Comme Claro, et ce serait assez la marque d’INCULTE.
Nous avons aussi évoqué d’autres Véronique Ovaldé, LE SERMENT DES BARBARES de Boualem Sansal, aussi présent au Havre ce week-end puis, hors festival, Jim Harrison, M. Quint : EFFROYABLE JARDIN, UN AMOUR IMPOSSIBLE de Christine Angot, L’ART DE LA JOIE de G. Sapienza, Gilles Kepel : GENESE DU TERRORISME FRANCAIS et un très poétique livre de photographies sur le loup blanc de Vincent Munier.
2) Au Goût des Autres : le samedi 22 janvier :
– V. Ovaldé et Th. Reverdy dialoguaient autour de leurs derniers livres tous deux situés aux USA, une première pour elle qui, habituellement, nous emmène dans des lieux inconnus. L’importance de ce pays pour presque tout le monde : « notre lieu commun », du fait du cinéma, des auteurs : « ado, je ne lisais que des écrivains américains, mâles, alcooliques, de plus de 60 ans ». Ils ont aussi parlé de la façon dont ils nommaient leurs personnages. Pour elle: « le nom surgit : une sonorité qui vient instantanément, avant son physique. Ca ne peut être que comme ça ». Pour lui, cela provient de livres, de personnes de sa vie, de sa création, jeune, de jeux de rôles.
– Mathias Enard interviewé par S. Bourmeau a évoqué Edward Saïd et son livre sur l’orientalisme, le fait que les Orients des Allemands, des Français, des Anglais étaient différents, qu’il s’agissait de visions coloniales. Il a parlé de l' »érotique du savoir », et avec humour des dispositifs qu’il invente : pour BOUSSOLE : le temps calculé d’une nuit d’insomniaque à Vienne, du coucher au lever du soleil, à une date précise : 90 secondes par page, pour ZONE : voyage entre Rome et Milan : 1 km par page….
– Claro avait, lui, créé un texte pour l’occasion,… contre… l’ami « rehausseur de nous », « à la fois statue et peluche », texte où il convoquait Alceste, Lautréamont (« Je cherchais une âme qui me ressemblât et je ne pouvais pas la trouver »), Proust (« un incube qui a besoin de l’autre pour se faire les ailes ») Genet (« moi, je cherche l’ennemi à ma taille ») : Humour léger, lecture sans effet pour gommer le côté exercice.
– A 19 heures,(Texte de Christel Gauthier) : Emmanuel Carrère n’était pas là (et c’est dommage!) pour la lecture de son roman D’AUTRES VIES QUE LA MIENNE, interprétée avec justesse par la comédienne Manon Thorel. Les extraits étaient centrés sur le lien d’amitié qui unit deux juges, un homme et une femme, malmenés par la vie et la maladie. Ce que raconte Carrère, c’est l’importance des mots que seul l’ami peut dire lorsque le découragement, face au cancer et à la mort qui approche, est là. L’écoute est d’autant plus attentive que le public est plongé dans la nuit, un bandeau sur les yeux, à l’initiative de l’association Lire dans le noir.
Dimanche 24 janvier (texte de Véronique Garrigou) :
– Daniel Pennac était à la hauteur des attentes et de sa réputation de raconteur d’histoires pleines d’humour. Il nous a émus aussi par ce bel hommage rendu à son ami JB Pontalis disparu il y a trois ans. C’est essentiellement à travers lui qu’il nous a parlé d’amitié, « un sentiment immédiat de complétude » qui repose de l’amour, un « territoire protégé ».
– Sylvain Tesson et Olivier Frébourg, tous deux écrivains et grands voyageurs, ont scellé leur amitié autour de la quête des lointains et de Gustave Flaubert. Pour Tesson, l’amitié est par nature irrationnelle, une « sorte d’amour sans complications » qui supporte bien l’absence et le silence. Pour Frébourg, on ne choisit pas ses amis, ils vous choisissent. On peut s’appuyer à tour de rôle sur l’épaule de l’autre en cas de besoin. Ils en ont fait l’expérience. Ils partagent l’amour de la beauté du monde, la conviction que marcher ensemble, dans la nature, conjure la mélancolie de la vie : « il n’y a que les routes pour calmer la vie. »
– 2084, Boualem Sansal : comme l’on aurait aimé avoir plus de 45 minutes pour l’écouter… Militant engagé contre l’islamisme, il est prêt à nous raconter l’histoire de l’Algérie, à nous expliquer en quoi islamisme et nazisme sont historiquement et concrètement proches, comment et pourquoi sont nés les différents courants et c’est passionnant de l’écouter. Il définit 2084, son dernier roman comme « une poursuite de la réflexion de Georges Orwell dans un autre univers ». Après avoir lu 1984, Sansal savait tout de la dictature, il attendait un 2084 et c’est lui qui l’a écrit : l’histoire d’une autre dictature où les citoyens sont des croyants et où Dieu vous regarde jour et nuit. Hélas, hélas, il a fallu s’arrêter à 19h, on aurait pu rester beaucoup plus longtemps…
– Un final tout en jeunesse. Deux lecteurs, des musiciens, une chanteuse/lectrice à la belle voix sableuse, Carmélia Jordana, et voilà JULES ET JIM qui nous reviennent en mémoire, livre et film confondus. De si jolis souvenirs de ce trio qui joue à l’amour et à l’amitié, à leurs risques et périls. Un sympathique hommage pour clore en beauté un sympathique festival !
Rappelez-vous, le prochain Chat Bleu est le jeudi 4 février.