Un Tayama Kataï : P U N° 226

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Futon, suivi de deux courtes nouvelles Un soldat et Une botte d’oignons, est la Pièce Unique N°226.
Leur auteur Tayama Kataï (1871-1930) m’était inconnu.
Le livre était paru aux éditions du Serpent à plumes, dans la jolie collection Motifs de Pierre Bisiou et la traduction d’Amina Okada, en 2000. Repris en 2014 chez Cambourakis.
Tayama Kataï était admiratif d’auteurs européens, comme Maupassant ou Heine.
Futon, écrit en 1907, eut un grand succès. C’était un texte d’auto-fiction avant l’heure :
un écrivain a une élève. Il en est amoureux mais est marié et bientôt père d’un troisième enfant. Elle veut écrire. Il lui rappelle son vrai «  rôle de mère. Il lui démontrait le danger que représentaient pour une jeune femme comme elle les milieux littéraires. » ( p 23 ). Il évoque aussi « les idées nouvelles », occidentales, mais horreur, elle en aime un autre. Il décidera donc avec son père de son destin, la renvoyant dans son village. La scène est épouvantable : elle est dans la pièce mais à aucun moment on ne lui laisse la parole, ni elle n’ose la prendre.
On sent que… si elle l’avait aimé, il n’aurait pas agi ni pensé ainsi…
Il la voit comme fautive, a même l’idée de profiter d’elle puisqu’elle a cédé à un autre. Cédé, on n’en est pas sûrs. Peut-être elle et son amoureux ont-ils seulement passé une soirée ensemble.
La place des femmes – même dans un milieu qui se dit évolué, différent – !!!

Quelques Poèmes Express issus de Futon :
– Chaleur intenable. Pensées fragmentaires. Cela arrive.
– Sa femme enceinte lui paraissait vide.
– La vieille possédait tous les défauts et qualités des femmes : chignon et docilité.
– Sous la lampe, 
pelote ronde de laine de couleur. Et sentiment d’infini.
– Pour délayer le rouge à lèvres, les oeuvres complètes de femmes de lettres.
– Un petit carré de soie mauve que la lampe éclairait, et elle ressentait une satisfaction.
– La joie se voit enlevée en une heure, en allée vraiment.
– Sous cinq pieds de neige, la petite ville provinciale, sa nostalgie.
– L’époque ne pourrait avoir lieu : cela l’effleure.

 

 

 

Réponse de Patrice Robin !

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C’est une expérience de lecture très étrange que vous nous permettez via vos pièces uniques, différente de celle que nous menons habituellement, celle qui nous retranche, un temps, de l’actualité. Dans vos pièces uniques, l’actualité nous accompagne, ne nous distrait pas, au contraire, ajoute à notre lecture, à celle de vos poèmes, mais aussi parfois, à celle du livre de Julio Llamazares.

Et à propos de ce dernier, que vous avez choisi pour moi, il résonne curieusement avec mon prochain livre qui paraitra en octobre, résonne à l’envers si je puis dire. Quitter l’ouest, comme son titre l’indique, étant d’une certaine manière non l’histoire d’un homme qui demeure alors que tout le monde part, mais d’un homme qui part alors que les autres restent, d’un éloignement, le mien de mon ouest natal.

Merci encore pour cette pièce unique.

Amicalement

Patrice Robin

Un Philip K Dick : P U N° 225

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Do androïds dream of electric sheep, mal renommé Blade runner. Connu sous ce titre à cause du film qui en été « tiré » (c’est le mot) en 1982. Je crois avoir vu le film mais n’en ai rien retrouvé.
Le livre, paru à la fin des  années 60 aux USA, traduit en français par Sébastien Guillot, trouvable en J’ai Lu, est bien plus étonnant et intéressant.
Après une guerre atomique, la terre est contaminée. Sont restés des « têtes de piaf » amoindris par les irradiations, des gens qui en ont été protégés, des chasseurs de primes qui traquent des androïds qui veulent se faire passer pour humains, des animaux vrais, rares et chers, ou des contrefaçons électriques (d’où le titre originel).
Dick y aborde la croyance, la vérité, la maladie mentale, la place des écrans, de l’animal. Il y définit l’humain par sa capacité d’empathie, qualité dont les andros sont totalement dénués…. (de là à penser que certains…, en 2025… seraient des andros …)

Quelques Poèmes express qui en sont issus :
Appartements vides ! Et immeubles vides… intellectuellement vides, absence de vie, et absence d’affect.
– La moindre personne faisait époque au gré de la télé.
– Les gens dans un cube, c’est toujours comme ça que ça finit.
– Quand vous vous 
trouviez encore sur Terre, c’était spécial et pas simple d’être humain.
– Vous allez devoir rester femelle, vieille, en mauvaise santé.
– Les gardes équipés de petites mitrailleuses avaient disparu dans le catalogue.
– Il alluma la radio consacrée à un programme de silence religieux.
– Vous croiserez peut-être un androïd, vous n’avez droit qu’à un.
– Tu n’as jamais trop apprécié les premières fois, les considérais comme un test.

Ces 3 livres en 1 – le roman de Philip K Dick + les « Poèmes Express » + les informations – sont offerts à Claro dont j’admire beaucoup le travail, que ce soit comme auteur, traducteur ou critique. Dent dure et belle.

Oser lui envoyer une Pièce Unique est venu d’un de ses derniers post : « Il paraît qu’entre les pages des livres (…) dorment (…) trèfles (…) vestiges qu’y laissent les lecteurs »…  

Palmarès : je suis sûre que

vous en avez lu un bon nombre :

Les 25 chefs-d’œuvre de la littérature mondiale qui vont marquer le XXIᵉ sièclePALMARÈS. Quels sont les meilleurs livres depuis l’an 2000 ? Pour le savoir, nous avons demandé à soixante écrivains, éditeurs, libraires, traducteurs, critiques français et internationaux de choisir les cinq ouvrages qui ont imprimé à jamais leur mémoire. Verdict.

Publié le 01 avril 2025 à 16h00
Mis à jour le 02 avril 2025 à 11h58
Quels sont, parmi les livres du premier quart du XXIᵉ siècle, les chefs-d’œuvre qui s’inscriront dans l’histoire de la littérature mondiale ? Pour le savoir, Télérama a demandé à soixante personnalités (écrivains, éditeurs, libraires, traducteurs, critiques universitaires français et internationaux) de choisir les cinq ouvrages qui ont imprimé à jamais leur mémoire de lecteur.
Ces milliers de pages — 12 646 exactement, si on aditionne les 25 livres retenus dans ce palmarès – donnent furieusement envie de lire et témoignent d’une création littéraire aussi ambitieuse qu’audacieuse. Le roman n’est pas mort, au contraire, il se joue des frontières et ne cesse d’être réinventé. — Valérie Hurier, directrice de la rédaction

25. “La Carte et le Territoire”, de Michel Houellebecq (2010)

La carte est-elle plus intéressante que le territoire — autrement dit la représentation du réel plus passionnante que le réel lui-même ? C’est notamment autour de cette question que se déploie le cinquième roman de l’écrivain français — qui lui valut le prix Goncourt. Une fiction brillante, tout ensemble ironique et hautement mélancolique, doublée d’un autoportrait extravagant.
Éd. Flammarion.

24. “Une histoire d’amour et de ténèbres”, d’Amos Oz (2002)

L’intime et l’Histoire fusionnent dans les pages de ces sublimes Mémoires du grand écrivain israélien, dont ce récit autobiographique demeurera sans doute le chef d’œuvre. Retour sur son enfance à Jérusalem et sur la naissance concomitante de l’État d’Israël, hommage bouleversant à ses parents et ses aïeux, et à la langue hébraïque qui l’a vu naître écrivain.
Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen, éd. Gallimard (2004).

23. “Neige”, d’Orhan Pamuk (2002)

De tous les romans remarquables de l’écrivain turc (Prix Nobel de littérature 2006), Neige est assurément le plus captivant, qui emboîte le pas d’un jeune poète exilé en Allemagne, revenu en Turquie pour s’égarer au fin fond de l’Anatolie. Une odyssée poétique et très politique, jalonnée de sinuosités narratives, scintillante de motifs et de sens, drapée de neige…
Traduit du turc par Jean-François Pérouse, éd. Gallimard (2005).

22. “Les Argonautes”, de Maggie Nelson (2015)

La forme hybride de ces Argonautes, mêlant récit d’une histoire d’amour et réflexions sur le genre, érudition et hypothèses, a érigé l’ouvrage de Maggie Nelson en livre de référence d’une démarche littéraire nouvelle et parfaitement contemporaine. Faisant de l’autrice américaine (née en 1973) une des voix majeures de la non-fiction contemporaine.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Michel Théroux, Éditions du sous-sol (2018).

20. “Purge”, de Sofi Oksanen (2008)

Née d’une mère estonienne et d’un père finlandais, Sofi Oksanen a secoué la planète littéraire avec ce roman éloquent qui embrasse, à travers ses deux personnages féminins, cinquante ans de l’histoire de l’Estonie, des occupations allemande, puis russe, jusqu’à nos jours, passant par l’effondrement de l’URSS. Une tragédie puissante, furieuse — non dénuée de compassion.
Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, éd. Stock (2010).

20 ex-aequo. “La Plus Secrète Mémoire des hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr (2021)

Écrit par le jeune auteur sénégalo-français, alors âgé de 31 ans, et placé sous le parrainage des Détectives sauvages de Roberto Bolaño, un beau et brillant roman, « livre-monde » tout ensemble complexe formellement et palpitant, cérébral et doucement ironique, foisonnant de thèmes et de personnages, et fondamentalement enclos sur un insaisissable secret.
Éd. Philippe Rey / Jimsaan.

18. “La Bascule du souffle”, de Herta Müller (2009)

Plongée dans l’univers du goulag, observé à travers les yeux d’un jeune narrateur inspiré par le poète Oskar Pastior,La Bascule du souffle a enfin révélé planétairement la beauté tranchante et spectaculaire de l’écriture de l’autrice, Roumaine germanophone émigrée en Allemagne de l’Ouest au mitan des années 1980, lauréate du prix Nobel de littérature en 2009.
Traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, éd. Gallimard (2010).

18 ex-aequo. “Underground Railroad”, de Colson Whitehead (2016)

Dans cette éblouissante fiction — sa sixième —, tout ensemble roman d’apprentissage et fable humaniste, l’Américain virtuose se tient aux côtés de Cora, une jeune esclave échappée d’une plantation du Sud, dont il imagine l’odyssée fantastique à travers les États-Unis, jusqu’au nord du pays et l’accès au statut de femme libre.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin, éd. Albin Michel (2017).

17. “O”, de Miki Liukkonen (2017)

Près de mille pages pour raconter sept journées, au long desquelles se croisent cent personnages souffrant tous d’une psychose : la comète finlandaise Miki Liukkonen (1989-2023), qui mit fin à ses jours à 33 ans, met en œuvre un labyrinthe narratif prodigieux, tout en offrant une méditation aussi hilarante que puissante sur le vertige de la condition humaine.
Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, éd. Le Castor astral (2021).

16. “La Fête au Bouc”, de Mario Vargas Llosa (2000)

Le dictateur Rafael Leónidas Trujillo Molina (1891-1961), « père de la patrie » dominicaine, et son régime sanglant qui écrasa le pays durant trois décennies sont au cœur de ce magistral roman politique et polyphonique, qui examine de l’intérieur les ressorts de la tyrannie et ceux de sa mise à bas. Assurément le chef d’œuvre du prix Nobel de littérature 2010.
Traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan, éd. Gallimard (2002).

15. “La Végétarienne”, de Han Kang (2007)

La Végétarienne, ou l’histoire de Yonghye, la femme qui ne voulait plus ingérer de viande, et qui bientôt souhaita se dépouiller de son corps, s’effacer et devenir végétale… Dix-sept ans avant de recevoir le prix Nobel de littérature, en 2024, l’autrice coréenne livrait, avec cette fable énigmatique, sensuelle et épurée, un diamant noir aux éclats aussi tranchants qu’inquiétants.
Traduit du coréen par Eun-Jin Jeong et Jacques Batilliot, éd. Le Serpent à plumes (2015).

14. “Kafka sur le rivage”, de Haruki Murakami (2002)

Kafka Tamura a 15 ans lorsqu’il s’enfuit de la maison familiale. Ce roman initiatique lui emboîte le pas, ainsi que celui d’un vieillard nommé Nakata. À ces deux fils narratifs, le magicien Murakami suspend une matière romanesque à haut potentiel d’envoûtement. Bâtissant une indémodable fable, tout ensemble triviale et pleine de grâce..
Traduit du japonais par Corinne Atlan, éd. Belfond (2006).

13. “La Maison des feuilles”, de Mark Z. Danielewski (2000)

Une maison dont l’intérieur se dilate en un dédale sans fin, un vieil écrivain aveugle et son mystérieux manuscrit, un jeune intello marginal : voilà pour le décor et les protagonistes majeurs du premier roman de l’Américain Mark Z. Danielewski, vertigineuse quintessence de littérature expérimentale, mais aussi œuvre captivante et de toute beauté.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro, éd. Denoël (2002).

12. “Solénoïde”, de Mircea Cartarescu (2015)

Un professeur de roumain de Bucarest, qu’une humiliation fait renoncer à l’écriture, tient un journal pour percer l’énigme de l’existence. Dans ce roman d’une force philosophique et poétique hors du commun, Mircea Cartarescu fait de la plongée hallucinée dans le cerveau d’un homme le point de départ d’une odyssée à travers toutes les connaissances.
Traduit du roumain par Laure Hinckel, éd. Noir sur blanc (2019).

11. “Le Lambeau”, de Philippe Lançon (2018)

Grièvement blessé le 7 janvier 2015, lors de l’attaque terroriste contre l’équipe de Charlie Hebdo, Philippe Lançon a tiré de son expérience de la douleur, physique autant que morale, ce remarquable Lambeau, livre calme et déterminé, empreint d’une grande douceur, dans lequel il s’emploie à sonder jusqu’aux abîmes, sans colère ni culpabilité, « la solitude d’être vivant ».
Éd. Gallimard.

10. “Americanah”, de Chimamanda Ngozi Adichie (2013)

Que d’énergie et d’intelligence rassemblées et concentrées dans ce roman brillantissime qui suit l’itinéraire d’Ifemelu, une jeune femme nigériane arrivée aux États-Unis pour y poursuivre ses études. Y découvrant le racisme — l’un des thèmes majeurs de l’autrice africaine, qui fait ici l’objet d’un exposé lucide, jamais dénué d’humour et très incarné.
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour, éd. Gallimard (2014).

9. “L’Adversaire”, d’Emmanuel Carrère (2000)

Quel effroyable visage du Mal offre-t-il à contempler, cet accusé jugé et condamné en 1996 pour les froids assassinats de ses deux enfants, son épouse et les parents de cette dernière ? Des interrogations intimes qu’a fait surgir en lui l’histoire de Jean-Claude Romand, mythomane et meurtrier, Emmanuel Carrère a nourri cette non-fiction inquiète, métaphysique et magistrale.
Éd. P.O.L.

8. “L’Année de la pensée magique”, de Joan Didion (2005)

L’expérience du deuil de son époux, l’écrivain John Dunne, terrassé par une crise cardiaque fin 2003, a dicté à l’iconique écrivaine et journaliste américaine Joan Didion (1934-2021) ce sobre et cru récit d’une traversée des ténèbres. Un voyage aride, sans consolation, au fin fond des terres désolées de la stupeur, du chagrin et de l’affliction.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, éd. Grasset (2007).

7. “Les Livres de Jakób”, d’Olga Tokarczuk (2014)

Dans ce roman époustouflant, précis et truculent, la Prix Nobel de littérature 2018 invite à un « grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions ». Une épopée politique et mystique qui plonge son lecteur dans la Pologne décadente du XVIIIᵉ siècle, pour s’attacher au destin extravagant du faux messie juif Jakób Frank (1726-1791).
Traduit du polonais par Maryla Laurent, éd. Noir sur blanc (2018).

6. “Les Années”, d’Annie Ernaux (2008)

L’admirable « autobiographie impersonnelle » que sont Les Années a permis à chaque lecteur de saisir pleinement ce qui fait d’Annie Ernaux (Prix Nobel de littérature 2022) une écrivaine majeure. À savoir, un geste littéraire : parler de soi pour tendre à l’autre un miroir où se reconnaître ; puiser à sa mémoire pour élaborer « une autobiographie qui se confonde avec la vie du lecteur ».
Éd. Gallimard.

5. “La Tache”, de Philip Roth (2000)

Dans ce roman, troisième volet de la Trilogie de Newark, le grand écrivain américain déroule l’histoire de la vie du professeur de lettres classiques Coleman Silk, construite sur un immense, un sidérant secret… Une narration infaillible, porteuse d’une ironique, froide et implacable dénonciation de « la tyrannie du nous […] qui meurt d‘envie d‘absorber l‘individu ».
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun (2002).

4. “La Route”, de Cormac McCarthy (2006)

Son austère lenteur et sa lugubre beauté confèrent à La Route la grâce d’un long poème métaphysique. Un chant tout ensemble initiatique et sépulcral où se trouvent condensées les obsessions et les hantises de McCarthy (1933-2023),sans cesse revisitées de livre en livre : la violence des hommes, le rude combat auquel se livrent en ce monde le Bien et le Mal.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par François Hirsch, éd. Christian Bourgois (2008).

3. “La Fin de l’homme rouge”, de Svetlana Alexievitch (2013)

Auscultation du cœur et de l’âme de « l’Homo sovieticus », un individu élevé dans l’utopie socialiste puis passé sans transition du totalitarisme à une nouvelle forme de nihilisme, La fin de l’homme rouge est sans doute le plus magistral des « romans de voix » de l’autrice biélorusse. Un grand livre d’histoire humaniste, infiniment douloureux et formidablement vivant.
Traduit du russe par Sophie Benech, éd. Actes Sud (2013).

2. “Austerlitz”, de W.G. Sebald (2001)

Mêlant étroitement fiction et réalité, narration et méditation, et porté par la voix inconsolée, infiniment émouvante de l’écrivain allemand (décédé en 2001), le destin de Jacques Austerlitz, homme déraciné, perpétuel exilé, a valeur d’interrogation dense et grave sur l’Histoire, le temps vécu comme un processus de délitement, l’opacité de la mémoire. Un chef d’œuvre.
Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, éd. Actes Sud (2002).

1. “2666”, de Roberto Bolaño (2004)

La mort prématurée de l’écrivain chilien, en 2003, laissa ce livre, paraît-il, inachevé… On veut bien le croire, mais quel roman pourtant ! Tissant cinq fils narratifs, le magistral 2666 n’en finit pas de surprendre, de digresser, de proliférer de fascinante façon, s’autorisant tous les développements et les changements de point de vue pour méditer sans fin sur le Mal.
Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio, éd. Christian Bourgois (2008).

Un vin, des livres – mars 2025 – 2)

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Auteurs français  dont on a (re)parlé :
Fabien Drouet : « je serai jamais morte« , éditions des Lisières : L’histoire de sa cohabitation avec sa grand-mère. Une grand-mère pleine d’énergie, née en Tunisie, Des moments collectés.
– Clémentine Mélois : Alors, c’est bien, éd. Gallimard. sur son père mort, mais pas triste du tout.
– Bérénice Pichat : La petite bonne, éd. Les Avrils. « On s’attend à quelque chose et c’est autre chose qui arrive. » dit M-H. « Une écriture, un rythme »
Eric Chacour : Ce que je sais de toi, éd. Philippe Rey, un premier livre. « Une très belle histoire ». Le prix Terres de paroles 2024
– Marion Brunet : L’été circulaire. « un roman social, un grand texte ». Dans le sud, deux ados et une famille peu aimante.
 Nina Léger : Mémoires sauvées de l’eau, éd. Gallimard. Prix du roman historique. Californie, entre la ruée vers l’or et les incendies de 2025.
– Alexis Jenni : Le passeport de Mr Nansen, éd. Paulsen : années 1920, la famine en RussieDes milliers de personnes ont bénéficié de ce passeport créé légalement. Des inconnus mais aussi : Chostakovitch, Chagall, Stravinsky, Rachmaninov…
– Edouard Philippe : du polar politique qui fonctionne : Dans l’ombre, en poche
_ Mona Cholet : Sorcières, la puissance invaincue des femmes : la chasse aux sorcières à partir de la Renaissance (et non du Moyen-Age). Ce qui subsiste de l’idée de sorcière dans la société contemporaine : la femme vieillissante, indépendante ou sans désir d’enfants. « complètement scotchée sur le niveau » dit M-A
– Vanessa Springora : Patronyme, éd. Grasset : Le père de V S est mort quand le premier livre est sorti. Il vivait dans un grand désordre. L’histoire du grand-père qui a pris ce nom pour changer d’identité, ayant été nazi.
– Jeanne Benameur : Vers l’écriture, éd. Actes Sud. « un super style ! » Sur les ateliers d’écriture qu’elle a menés, une écriture pour soi, pas en vue de publication. « De toute façon, tous ses livres sont beaux » dit V.
– Rose-Marie Lagrave x Annie Ernaux, Une conversation , éd. EHESS. La sociologue et l’auteure, prix Nobel sont deux « transfuges de classe »
Quelques auteurs étrangers :
– Boualem Sansal : toujours emprisonné… 5 ans de prison requis pour… avoir juste dit ce qu’il pense… : Le serment des barbares en Folio, sur l’Algérie post-coloniale.
– Max Lobe : La danse des pères, éd. Zoé. Max Lobe est d’originaire camerounaise mais vit depuis ses 18 ans en Suisse. Parle de cela, d’un jeune homosexuel, au père grandi sans parents, pas tendre.« des personnages féminins forts; un style : du métissage linguistique » dit B.
– David Grann : les naufragés du Wager, en collection Points. Vers 1750, au Cap Horn, un bateau de la Royal Navy, le journal d’officiers restés à bord plusieurs mois, puis revenus par des voies différentes en Angleterre. Roman historique bien documenté.
– Iouri Bouida : Le train zero, L’imaginaire-Gallimard : dans une petite ville, une petite communauté pauvre. Une gare. Tous les jours, un train plombé. D’où vient-il ? Et où va-t-il ?
– Anna Enquist : Quatuor, Actes Sud, 2016. Un roman psychologique. Une femme de 80 ans, psychanalyste et violoniste. La disgrâce de la vieillesse. La musique qui console. Parallèlement, le démantèlement de la culture et de la santé aux Pays-Bas.
– Marwan Bakhti : Comment sortir du monde, premier livre aux nouvelles éditions du Réveil. « très touchant, plein de sensibilité » dit M-C. De père maghrébin et de mère française, le personnage découvre son homosexualité, cherche à partir mais est aussi attaché à la campagne où il vit.Il se réfère un peu à Edouard Louis mais son écriture est différente.

Un Julio Llamazares : P U N° 224

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La pluie jaune 
de l’espagnol Julio Llamazares aux éditions Verdier, si « grande-petite » maison,
est la Pièce Unique N°224.
Ce roman est paru en 1985 à Barcelone, a été traduit par Michèle Planel en 1988 et est reparu en poche chez le même éditeur en 2024.
Trois autres de ses livres sont dans leur catalogue.
La pluie jaune raconte la fin d’un village de montagne. Il s’est vidé au fil des années, par morts et départs à la guerre ou vers la ville.
Un homme reste, d’abord avec sa femme et sa chienne, puis seul avec l’animal. En fait, non, pas seul puisque de nombreux fantômes sont là aussi. De sa famille, et d’autres maisons vides. Il en a parfois peur, parfois pas.
Le temps – dans les deux sens du mot – l’accompagne :
(P 35) : « Dans la rue, le brouillard s’accrochait aux murs et l’humidité glacée du givre rendait invisible toute empreinte récente. Un silence immense occupait le village entier, il introduisait sa grande langue sale dans la pénombre des maisons, fourrageant dans la rouille de l’oubli et la poussière accumulée par les ans. »
(P 61) : « …un sombre murmure commença à envelopper la maison et tout le village (…) C’était la rivière, le mugissement de la neige qui fondait, les flots torrentiels débordant dans les chemins et les ravins qui mènent à Ainielle. »

Quelques Poèmes  Express qui en sont issus :
– La démence d’un oeil efface la certitude et accroche la pénombre.
– Nous nous réunissions et là les mots servaient.
– Elle essayait sa solitude la nuit.
– Et la lune et le vent continueront, la folie viendra.
– Un fantôme efface de sa mémoire le temps, pas les plaies.
– Les hommes m’emmèneront à l’aube, masse tuméfiée.
– Réapparaît la sueur sans soleil, sans raison ardente ou pression.
– Beaucoup de paroles se défaisaient, se mêlaient et pourrissaient.

Ce trois livres en un est offert à Patrice Robin, auteur de 9 livres chez P O L. Il a travaillé au Havre un temps à la MCH et autour du cinéma. J’avais beaucoup aimé Mon histoire avec Robert (2019) dans lequel il évoquait le cinéaste indépendant Robert Kramer.