Un Brigitte Giraud : P U N° 165

Commencé le 11 juillet, bien avant que Brigitte Giraud n’obtienne le Goncourt avec son dernier opus –  Vivre vite qu’elle avait présenté en avant-première à Ecrivains en bord de mer -,  Un loup pour l’homme sorti en 2017 chez Flammarion, est la Pièce Unique N° 165. Ce livre parle d’un couple, d’une naissance (celle, écrite, de Brigitte Giraud, à Sidi-Bel-Abbès) mais surtout de la guerre d’Algérie vue de ce moment-là, de cette place-là, quand les gens ne savent rien, n’ont pas les moyens de savoir, quand on n’appelle pas ça une guerre. Un jeune homme veut soigner plutôt que tuer. Sa femme veut accoucher en Algérie, auprès de lui. Une histoire personnelle qui est plus que cela.

Quelques Poèmes Express nés de Un loup pour l’homme :
– Route à parcourir, décision à prendre, temps à avaler.
– Une zone de peau tremble sur la cuisse si les femmes se tendent.
– L’eau va faire boue tiède.
– Il a acquis les mains qui miment. Quand le mot revient, il n’a rien de bon.
– Il fait en sorte que les chairs oublient, que la peau se pose.
– Un discours rend visible ce qui ne l’est pas : l’armée et le marchand.
– Va voir un match. Invite-la à se déshabiller. Détache sa pudeur.

Un loup pour l’homme « retravaillé », « augmenté », trois livres en un, a été offert à V. L. qui a dû se défaire d’une partie de sa bibliothèque, qui ne sait pas trop en ce moment où trouver ses livres dans leur nouvel écrin mais qui fait toujours de nouvelles provisions…
« Tsundoku un jour, tsundoku tpujours »

Retour sur la P U N° 161

« Merci pour ce cadeau aussi inattendu que surprenant.

Je te livre tout de go ce qui me touche.

Avec ce choix des lettres de Mademoiselle de l’Espinasse à son amant, tu as reconnu en peu de temps mon intérêt pour la littérature, l’actuelle tout comme la « grande », celle qui a résisté au temps qui passe. Et de cela merci.

Recevoir une pièce unique PU, quelle chance ! J’aime beaucoup cette idée géniale de création : choisir un livre, en lire deux pages chaque jour qui passe, extraire qq mots d’une des pages, ici celle de droite; ces mots deviennent une phrase que tu associes à un événement de la journée.

Mon premier réflexe fut de découvrir cette succession de phrases poèmes. Je les ai lus d’une traite, avec gourmandise. Très vite l’émotion m’a envahie, bien au-delà du sujet, d’une femme qui se meurt en écrivant à son amant. Se dessine une réflexion, la parole d’une femme, dans son intimité comme dans son regard sur notre monde en bouleversements.

Autre temps: la découverte de la couverture (je sais maintenant qu’elle compte beaucoup pour toi): le livre est enveloppé d’une photo, un fragment de corps de femme. Quelle belle idée! Il devient ainsi un objet énigmatique et raffiné.

La lecture des lettres s’est faite plus tard. Oui, les temps ont changé, les femmes ne sont plus tout à fait les mêmes… mais l’amour passion peut toujours être là, il me semble. Tout comme la difficulté de s’en extraire!

PU n° 161, je suis médusée quand j’imagine ce que ça représente de détermination, de régularité, de persévérance, déjà pour un seul livre, mais 161, ouah !!! Une volonté sans faille. 

Voilà, un peu en vrac, ce que j’avais envie de dire. » 

Merci du merci M-A !

Un Erwan Lahrer : P U N° 164

Paru en 2017 aux éditions Quidam : Le livre que je ne voulais pas écrire est maintenant trouvable en J’ai Lu. C’était aussi au départ « le livre que je ne voulais pas lire », peur de l’auto fiction non seulement plombante mais « qui la ramène », genre « voyez-comme-j’ai-souffert ». Et puis j’ai réfléchi : ce n’est pas le genre de la maison. Et effectivement, E. Lahrer ne joue pas le rôle du malheureux-puissance-N. Bien que blessé au cours de l’attentat au Bataclan, c’est l’humour, l’auto-dérision qui prévalent.
Il commence le livre avec un « tu » qui le représente puis les « tu » sont autres.
Et, très fort, au cours du même chapitre, sans vraie transition, le « tu » est lui, puis devient un des agresseurs.
Très fort au niveau de l’écriture mais aussi dans cette capacité de décentrement : voir le point de vue de l’autre, celui qui vous fait du mal, qui tue.

Quelques « Poèmes Express » issus du livre :
Phrase qui commence, première rafale de survie.
Personne ne parle des décalqués du bulbe. Ce monde rêve de sirène.
Copain de pastaga, de porto, tu décharges ta parole au café.
– C’est parti pour une éternité, même si c’est long.
– Tu as compris que ton employeur a compris que tu es un gentil indécis.
– Désolé, il a la sexualité un peu chaussettes blanches.
– Aucun des morts ne t’en veut. En un sens, ils ont perdu le goût des drames.
– Je l’embrasserai, non, j’essaierai. Le réel gagne toujours.

Pas pu m’empêcher d’envoyer cette Pièce Unique N° 164 à l’éditeur originel, Pascal Arnaud dont j’aime, entre autres, les Camenisch, Blanvillain, Plamondon, Annocque, Navarre, Cendors…

Un Marie Ndiaye : P. U N° 163

ROYAN – LA PROFESSEURE DE FRANÇAIS
Texte Marie NDiaye, Mise en scene Frederic Belier-Garcia, Lumiere Dominique Bruguiere, Pierre Gaillardot, Son Sebastien Trouve, Decor Jacques Gabel, Costumes Camille Janbon, Collaboration artistique Sandra Choquet, Vincent Deslandres, Caroline Gonce,
Avec Nicole Garcia et la participation de Vincent Deslandres.

Royan – la professeure de français – monologue est paru chez Gallimard en 2020. Tout de suite destiné au théâtre, à une comédienne, Nicole Garcia, le texte continue son chemin au théâtre
Une femme parle. C’est une solitaire. Elle l’a choisi, a quitté une vie, une ville. Elle enseigne et cela ne se passe pas toujours bien. Elle parle de Daniella, une élève différente qui s’intéressait à ses cours, à la poésie.
On entend la difficulté de l’enseignement, la lâcheté qui est quelques fois la seule solution envisagée. On entend la difficulté à être de certains élèves qui ne correspondent pas à la norme, par leur apparence, par leur envie d’apprendre.

Quelques Poèmes Express issus de Royan :
– Couleur de brique des grandes villes malpropres, je n’ai pas voulu vous mettre dans mes yeux.
– S’était fabriqué un visage éternel à dignité tapie.
– Aigre, le goût trop jeune du soutien-gorge blanc sali.
– Un bon bac blond, bien, distingué.
– J’ai eu un bébé-personnage, je suis une femme-personnage, qui est l’auteur ?
– Un pantin enseigne, je crois, à la professeure.

La Pièce Unique n° 163 est rendue à celle qui m’a offert le livre il y a quelques mois, grande lectrice, intéressée par toutes les formes d’art – et comme ça fait du bien ! -.

Un Dostoïevski : P U N° 162

Le joueur (1865), écrit en à peu près quatre semaines, sous la menace d’une clause de contrat de son éditeur : sinon, « libre à lui, Stellovski, d’éditer pendant neuf ans comme il le voudrait tout ce que j’écrirai sans avoir à me verser de gratification. »
 Et Dostoïevski tient les délais . Le livre est nourri de sa vie : un amour, ses voyages en Europe, la place prépondérante du jeu.
Il est aussi nourri de pensées xénophobes qui s’accordent pleinement avec celles de certains Russes contemporains : jugement plus que négatif des Européens, sans qualité : le Français est un faisan, séducteur sans moralité, les Polonais sont faux, l’Allemand lourd …

Quelques Poèmes Express issus du Joueur :
– Querelle : le gros s’emporta : cicatrice.
– Un secret de famille : elle tient le rôle principal. Muet.
– Comprenez que je puisse délirer. Je veux d’autres temps.
– Comme un paon, mais empoté. Un peu mouton aussi.
– On souleva la massue, se 
décida pour un homme chauve.
– Pour en finir, les gens comme elle, glissent vite, les larmes aux yeux.
– Nous étions comme des ours, vides comme le néant, et le savent nos femmes.

La Pièce Unique N°162 est envoyée en clin d’oeil aux nouvelles éditions Dynastes où vient de paraître Le joueur, poème d’Emmanuel Régniez.

 

Des lettres de J de Lespinasse : P U N° 161

Mon ami je vous aime, lettres de Julie de Lespinasse  (1732-1776 ),  éditées en 1996 au Mercure de France avec une préface de Chantal Thomas. Des lettres d’amour à l’amant qui a d’autres préoccupations. Des lettres d’admiration pour ce monsieur de Guibert qui en éprouve déjà beaucoup pour lui-même. Les lettres d’une femme intelligente qui reçoit en son Salon les intellectuels du temps mais est fidèle jusqu’à sa fin, à cet homme à la mode qui se marie avec une autre.
( dernière lettre, 1776, alors qu’elle se meurt ) : « Si jamais je revenais à la vie, j’aimerais encore à l’employer à vous aimer ; mais il n’y a plus de temps »

Quelques Poèmes Express issus de ces lettres :
– Si j’étais jeune, je manquerais de coeur.
– Ne faîtes pas de folies mais n’oubliez pas de m’en parler.
– Dans les convulsions et la douleur, des femmes jouent de l’éventail.
– Gens riches et vieux, si vous saviez ce qu’est entendre.
– Pas de repos qui me repose. Me fatigue la longueur des nuits.

Ce court recueil est offert à une grande lectrice nouvellement arrivée au Chat Bleu, M-A.

Un Agnès Desarthe : P U N° 160

Le remplaçant d’Agnès Desarthe est paru en 2009 aux éditions de l’Olivier. Il est trouvable en Points poche. Un beau texte autobio, un beau texte sur Janusz Korczak (1878-1942) , pardon, non, sur « Triple B », le faux grand-père. Je vous perds ? Pas grave. C’est beau et plein d’émotion, d’émotion retenue.
Oxymore ? Pas grave, c’est vrai.

Quelques « Poèmes Express » qui en sont issus :
Coeur fini. On n’a rien senti. Silence du temps.
Il y a une pince à sucre dans mes yeux, un décapsuleur au ventre, une théière aux oreilles d’une jeune fille.
– La guerre l’avait fait sûr de rien, mauvaise mémoire et fruit des tombes.
On les avait forcés à glisser le bizarre du monde dans la géographie.
– Sphères parfaites à planifier mais dont le monde se fiche. C’est la fiction.
– Le journal qu’il tient est avant tout un lieu de vie.

La Pièce Unique N° 160 est envoyée à une ancienne libraire à Lillebonne ( 76 ). Mais libraire un jour, libraire toujours : nous l’avons rencontrée au premier salon du livre de cette ville en 2021.

P U N° 159 : accusé de réception

« J’ai bien reçu ta PU n°159 et je t’en remercie ! Très honorée.
Le choix de Günther Anders m’enchante. Je lis en triple. Et tu me fais comprendre que le choix de l’information vient après : c’est fort !
Je te redirai mes impressions en fin de lecture. »

Un Günther Anders : P U N° 159

Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse  est un des entretiens réalisés en 1977 par Mathias Greffrath avec des personnalités ayant quitté l’Allemagne en 1933. Les éditions Alllia ont publié l’entretien avec Günther Anders en 2001 puis, de nouveau, en 2022. Le philosophe se présente, de la Grande Guerre à Hiroshima, en passant par son séjour aux Etats-Unis où il ne réussit/chercha pas, par convictions politiques, à « percer ».

Ce livre présente un intellectuel déraciné : P 47 :  » Je n’étais pas capable, mais je n’avais pas non plus envie d’écrire dans une langue étrangère » « d’ailleurs, je n’arrivais pas à penser dans une langue étrangère –  et je pensais écrire pour l’Allemagne d’après Hitler. » Et P 61 : « à l’étranger, j’étais devenu un puriste de la langue – ce n’est pas étonnant dans la mesure où pendant quinze ans, nous n’avions pas eu d’autre chez nous que la langue, »…

Mais aussi et surtout un humaniste qui se préoccupe du monde à l’ère du nucléaire. Et, en ce moment, en cela, il a toute sa valeur !
P 66 : « …aujourd’hui, notre premier postulat doit être  élargir les limites de ton imagination, pour savoir ce que tu fais. Ceci est d’ailleurs d’autant plus nécessaire que notre perception n’est pas à la hauteur de ce que nous produisons : « (…)  » Et un réacteur atomique, comme il a l’air débonnaire avec son toit en forme de coupole ! »
Pensons non seulement à la centrale de Zaporijia  mais plus encore aux menaces d’utilisation de l’arme nucléaire qui disent, ô combien, le manque d’imagination de ceux qui les profèrent.

Voilà quelques Poèmes Express qui en sont extraits :
–  Il lui serait apparu qu’on ne peut pas tout refouler.
– Platon est passé à côté de Hegel. C’était le philosophe le moins cultivé.
– Des genres littéraires exigeaient des universitaires intellectuellement anéantis.
– Les jeunes se sont sentis morts toutes les années vécues.
– Qu’est-ce qui vous fait croire qu’on va en sortir ?
– Ravage, les sentiments rendent ce terme ridiculement faible.
Labourer le droit ou gueuler. Aujourd’hui penser inquiète.

La Pièce Unique N°159 est envoyée à Marie-Hélène L qui a oeuvré dans le monde des musées et des livres.

 

Un Marielle Macé : P U N° 158

Directrice de recherche au CNRS et à l’EHESS en théorie littéraire, Marielle Macé écrit poèmes et essais. Nos cabanes, éditions Verdier, 2019, est un très beau petit livre. Petit par sa taille, grand par son sujet et son projet. Travail sur l’écologie, la société face à la nature et ses transformations, les possibles pour que la vie continue au mieux, dans le respect de l’eau, de la végétation, des animaux et des hommes. Un écrit politique. Une recherche de solution, la compréhension et l’adhésion aux actions menées jusque là dans des lieux comme Notre-Dame des Landes.
(p 52:)  » Les cabanes sont « co-construites » comme le dit Sébastien Thiéry, co-construites par le saccage et par les gestes qui sont opposés au saccage ; et de ce tourniquet, on ne saurait sortir. »

Quelques Poèmes-Express venus de Nos cabanes :
– La zone : mot d’où je désigne un état de bout.
– La diversité est chassée de ce qui est pouvoir.
– Nous ne sommes pas tous faits pour élargir les joies.
– La surface bruisse de phrases aux sourds.
– Etre fleuve – évasion de l’eau roulée à l’air.
– Vivre : emprunter les tracés qui font des trajets.

Cet exemplaire, version augmentée de Poèmes Express et des actualités qui ricochent avec eux, est ( r)envoyé aux éditions Verdier qui pourront le garder, le donner à l’auteure, ou le jeter, évidemment.