Un Hayama Yoshiki : P U N° 134

La Prostituée est magnifique dans son apparence (les livres des éditions Allia sont TOUJOURS magnifiques) et sidérant par son contenu. C’est une courte nouvelle d’un auteur japonais, Hayama Yoshiki (1894-1945), homme de gauche, militant, assez souvent mis en prison pour ses opinions. Ce texte a été écrit au cours d’un emprisonnement au début des années 20..
Magnifique : comme d’habitude, du fait du format, du rabat, des papiers mais aussi, cette fois, par le choix d’une lithographie de l’artiste viennois Koloman Moser pour la couverture.
Sidérante : la situation présentée éveille de drôles de sentiments et de sensations chez le narrateur-personnage mais aussi chez le lecteur. Je n’en dirai pas plus pour ne rien « divulgâcher ».

Voilà quelques Poèmes Express qui en sortent :
– S’il m’arrive des sacrés trucs, c’est que l’étrange me cherche.
– C’était clair : cet homme avait failli vouloir.
– Infime sentiment, là, sur un oreiller.
– Pas d’autre issue. Juste un spectre à suivre.

Avec ce texte, comme avec la Pièce Unique N° 133 et la prochaine, « j’ai un problème » : cela parle de choses difficiles, de faits très durs, fictifs (mais possibles) ou réels. De quel « droit », alors, s’amuser à en extraire un autre sens et jouer, encore à un autre niveau, à en rapprocher une information ? Quand je les choisis, je sais de quoi cela parle mais pas le degré de dureté des événements. Je continue. Le « problème » arrive progressivement. Mais, comme un des buts est de faire connaître des textes, je vais jusqu’au bout.

Cette fois, la nouvelle est offerte à Régine D. avec qui j’ai travaillé et aimé ça, une sacrée femme, efficace, pragmatique, empathique.

Pirouésie 2021 !

Pirouésie 2021, c’était la 15ème édition mais c’étaient aussi les 60 ans de l’Oulipo : ça se fête. Et à Pirouésie, quand on fête quelque chose, on ne rigole pas !
SIX OULIPIENS étaient présents : Paul Fournel, Eduardo Berti, Jacques Jouet, Olivier Salon, Daniel Levin Becker, Etienne Lécroart.

Et on s’est rendus le 5 août à la ferme La Prioudière pour des ateliers. Vaches, paille, Oulipiens ci-dessus nommés et nombreux Oulipophiles étaient rassemblés. Certes, il faisait froid et humide mais on l’a vite oublié.
Déjà allée dans des ateliers avec E. Berti, J. Jouet et O. Salon, j’ai eu  la chance de pouvoir participer à celui de Paul Fournel qui nous a proposé un « Exercices de style« .
Voilà le texte souche de l’un d’entre nous, choisi démocratiquement :
«  A marée haute, une dame âgée de 73 ans alla se baigner dans la Manche. L’eau était fraîche mais bonne. Elle y resta 45 minutes puis elle en sortit pour se sécher. Elle constata alors qu’elle avait perdu une bague à laquelle elle tenait. L’eau froide avait rétréci le diamètre de son annulaire. »
Nous avons tous décidé d’ une manière de le réécrire : bègue, livres Arlequin, épistolaire,  point de vue du bulot, policier, à la Fénéon, commentaire sportif, enfantin etc… Et on a beaucoup ri.
voilà les miens, (juste pour vous rendre compte) :

1) onomatopéique  (ou clownesque) :
« Ouah ! La dame. Glouglou. Elle rentre dans l’eau. Glagla. Plouf la bague! Ouin la dame! »

2) mélodramatique :
« Par une matinée morose de brouillard et de bruine, une femme déjà fort triste, perclue d’arthrose et rhumatismes, se glisse dans les eaux froides, sombres et alguées. Elle nage, d’abord heureuse puis douloureuse. Glacée terriblement, elle se laisse flotter et réagit in extremis. Une crampe atroce l’a prise. Elle a failli couler.
Enfin, elle arrive au bord et, chancelante, sort de l’onde. Elle se sèche en tremblant et c’est alors qu’elle s’aperçoit de l’épouvantable fait : sa bague, ce symbole de leur défunt mais toujours important amour, a disparu dans les profondeurs insondables. »

 

L’auteur d’Exercices de style,
Raymond Queneau en 1976.

OULIPO, OULIPO quand tu nous tiens ! 

Michel Simonot et la P U N° 132 :

Une lettre au courrier, une écriture de médecin… Michel Simonot parle de son ressenti sur sa Pièce Unique. Et c’est super gentil ! :

« J’ai lu tout ce parcours, ton parcours dans le texte de Tchekhov. Entre tes sélections de textes, notes, lettres et tes annotations, références et tes inserts d’articles, et les dates bien entendu. C’est tout un travail de correspondances, d’échos toujours inattendus et qui sonnent. Ce que tu fais est formidable, c’est poétique, contemporain.
Je suis très touché. »

Et moi donc !

Un Dany Laferrière : P U N° 133 :

Horrible coïncidence : La Pièce Unique n° 133 : Tout bouge autour de moi de Dany Laferrière, consacré au séisme de janvier 2010 a été envoyée le jour où un autre tremblement de terre agitait Haïti. Magnitude 7,3. Plus de 1900 morts et 9000 blessés.
Tout bouge autour de moi raconte la catastrophe mais évoque aussi l’histoire de l’île, la manière dont elle est vue dans le monde. Première à revendiquer son indépendance, on lui en veut et on ne retient d’elle que son image de misère et de violence : p. 78 : « Il n’y a pas un seul film sur la plus grande guerre coloniale de tous les temps, celle qui a permis à des esclaves de devenir des citoyens par leur seule volonté. » (…) « Je vois poindre un nouveau label qui s’apprête à nous enterrer complètement : Haïti est un pays maudit. »
D. Laferrière parle aussi de lui, son départ, la famille et les amis restés, Duvalier.
Critique, il pointe le journalisme, ses simplifications : p. 88 : « J’ai l’impression que tout le monde puise dans la même banque d’images. », et notre façon de consommer l’information télévisée : p.143 : « On exige des changements instantanés ».
Quelques » Poèmes Express » issus de ce texte :
 Les cyclones étaient invités à la TV plus souvent que les députés.
Un bruit de nuage, un cri dans le ciel, un récit de terre.
Faut être vraiment occidental pour mériter d’être mondial.
– Discuter de silence et ne parler de rien.
– Les journalistes ont été élégants ; c’était de l’information.
– Un bruit d’assiette précipite les mâchoires, l’eau desserre la bouche.
– Un gratte-ciel requiert de l’esprit.
La P U N° 133 est offerte à monsieur Coignet de la librairie Ryst à Cherbourg  qui  accueille toujours très positivement les livres de Rue du Départ.

Un Anton Tchekhov : P U N° 132

Voilà 5 nouvelles de Tchekhov (1860-1904) parues entre 1884 et 1903. Des personnages d’hommes falots, des coquettes. Des sentiments étriqués ou au contraire des ressentis amoureux exacerbés face à des faits minuscules. Une « enquête policière » aux avancées et conclusions totalement capilo-tractées ( qui résonnent avec les futurs procès soviétiques). Une critique sociologique : dans une propriété, des domestiques sont mal traités et un invité s’en aperçoit.

 

Quelques « Poèmes Express » :
– Une épingle à cheveux regarde dans un miroir des cheveux qui tombent.
– Il pleut de la boue et l’air nous observe.
– Une robe noire, une valse triste et un cognac.
– Inviter sa poitrine dans son lit.
– Elle a tué Dostoïevski ! Elle a commencé à écrire.
– La lune était sortie un instant dans sa soie de soir silencieux. 

Ce Tchekhov  non théâtral a été envoyé à Michel Simonot, homme de théâtre,