chat bleu – décembre 2023 – 3) et en cadeau, une pincée de Vialatte

La pincée de Vialatte  :

« Chronique de l’arbre de Noël
L’esprit de Noël est un esprit joyeux qui devient plus riant par temps de neige. Il porte un capuchon pointu (doublé de lapin) et se juche sur les abiétinées. C’est pourquoi le vrai père de famille va cueillir un sapin la veille de Noël. A Paris il l’achète au mètre. A Düsseldorf il le vole dans un square. (C’est ce qui a amené les jardiniers municipaux, en Rhénanie, à enduire tous leurs résineux d’une drogue qui devient lacrymogène à la température moyenne d’une salle à manger germanique. Ce qui est gênant au moment des joyeuses plaisanteries.) Une fois que le sapin est planté, l’homme y pend des polichinelles. En satin rose. Des boules brillantes. Des bougies bleues. Des cadeaux pour les invités. Ficelés avec des ficelles d’or. Des dragées, des boîtes de sardines, tout ce qu’il y a de plus luisant et de plus avantageux, souvent même de plus comestible : les gros créanciers de la famille, des harengs saurs, de grandes bouteilles de vin mousseux, et des perroquets portugais, en laine tricotée, rouges et mauves, pour mettre sur la théière et garder le thé bien chaud. Des champignons vénéneux à tête rouge, des amanites vireuses, des amanites panthère, des amanites tue-mouches ; en bois ; avec une pince pour tenir au rameau. Des pères Noël qui ont une barbe en coton, moitié moujiks, moitié poivrots. Des paillassons pour cage à poules (c’est une invention toute récente : la poule s’essuie les pieds avant d’aller au lit). Les enfants sont ravis, les invités s’exclament. Quelquefois un grand-père se dévoue pour faire des grimaces difficiles. On distribue des marrons glacés.
La Montagne, 25 décembre 1962″
on finit l’année avec plus d’essais ou de non-fictions que de romans :
– Et Zeus créa la fêta éditions La Martinière, 2023 : 54 (vraies) recettes de Grèce
– Ripostes – archives de luttes et d’actions 1970-1974, sous la direction de Philippe Artières, éditions du CNRS, 2023
– Méfiez-vous des femmes qui marchent d’Annabel Abbs, 2021, traduit par Beatrice Vierne, éditions Arthaud. Des peintres, des écrivaines
Art de marcher de Rebecca Solnit, traduit par Cristelle Bonis, 2022, éditions de l’Olivier.
– L’heure des femmes d’Adèle Bréau, éditions Jean-Claude Lattès, 2023 : sur Ménie Grégoire qui a osé parler, dès 1967, des femmes sans tabou à la radio
– Proust, roman familial  de Laure Murat, éditions Robert Laffont, 2023. Prix Médicis essai. Elle y parle de son milieu d’origine, milieu de formes et d’apparences, sans vrai savoir. Elle reconnaît sa famille dans La recherche… Proust l’a aidée à comprendre comment fonctionne ce monde.
– Sia , éditions L’Harmattan : témoignage : un homme et une femme, Ces Guinéens de deux ethnies et religions différentes ont fui leur pays pour vivre ensemble en Normandie.
– Promenade en hiver de Henry-David Thoreau, éditions Le mot et le reste, 2018. Traduction de Nicole Mallet : un texte de 1888, une journée d’errance dans la neige. Enormément de précisions dans les descriptions.
– Correspondance Matisse – Marquet 1898-1947, La Bibliothèque des Arts, 2008.
Quand même quelques fictions :
– Les ciels furieux d’Angélique Villeneuve, 2023, éditions Le Passage. La vie d’une famille juive en Europe de l’Est au début du XX ème siècle vue à travers une petite fille.
– Sarah, Suzanne et l’écrivain d’Eric Reinhardt, 2023, Gallimard : deux histoires de femmes de deux milieux différents. « Bluffant, vraiment brillant ! » dit F.B.
– Rendez-vous à Parme de Michèle Lesbre, une balade pleine de références théâtrales et littéraires : Chéreau, Duras, Handke. Trouvable en Folio.
– Les enfants sont rois de Delphine de Vigan, 2021, Gallimard : une influenceuse met en scène ses enfants. Ce qui s’en suit.
Et rappelez-vous :
nous continuerons de lire et de parler de livres mais plus au Chat Bleu.
Le nouveau lieu de réunions sera Les vivants.
Au 18 janvier, 18heures !

Rabat-joie !…

Pris dans Slate, 22-12-2023 : être femme et Afghane :

 » Lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir, il existait vingt-trois refuges pour femmes victimes de violences en Afghanistan. Selon un rapport de l’Unama (la Mission d’aide de l’Onu en Afghanistan) tous ont été fermés. Selon un policier du nord-est du pays, les refuges pour femmes battues sont «un concept occidental» et les femmes doivent rester avec «leurs frères, leurs pères ou leur maris». Selon un ancien employé du bureau du procureur de cette même région: «Ce type de refuge est inutile. Personne ne fera de mal aux femmes tant que l’Émirat islamique sera au pouvoir.»
(…)
C’est officiel, et nul ne peut faire semblant de l’ignorer: en Afghanistan, les femmes ne servent plus qu’à la reproduction et à la servitude. Et la reproduction est une épreuve supplémentaire qui, de plus en plus, leur coûte la vie. Selon le site PassBlue (un média à but non lucratif qui couvre les affaires étrangères et les Nations unies en mettant l’accent sur les questions relatives aux femmes), elles sont de plus en plus nombreuses à mourir des complications de leur grossesse ou de leur accouchement.
(…)
Malgré l’absence de statistiques (les talibans n’en sont curieusement pas friands), les experts travaillant dans le domaine de la santé sur place et à l’étranger estiment que le nombre de grossesses a augmenté depuis deux ans; notamment parce que les filles sont mariées de plus en plus tôt. Et les grossesses adolescentes sont plus à risque que les autres. La Dr Shefajo, qui exerce dans une clinique de Kaboul, raconte que de plus en plus d’adolescentes de 14-15 ans viennent la voir parce qu’elles sont enceintes, ou parce qu’elles ne le sont pas et que leur belle-famille le leur reproche. »

Immonde !

Chat Bleu : décembre 2023 – 2)

Nous buvions, en rouge, un Saint-Nicolas de Bourgueil, ou, en blanc, un Pinot gis d’Alsace.
Ils accompagnaient :
– La sentence de Louise Erdrich, paru aux USA en 2021 et en 2023 chez Albin Michel, collection Terres d’Amérique, traduit par Sarah Gurcel. Prix Fémina Etranger. Un mélange de roman et de faits : la plupart des scènes se passent dans une librairie indépendante qui existe et est celle de l’auteure depuis plus de vingt ans : Birchbanks Books à Minneapolis. Ce livre donne plein de pistes de lectures, des textes d’écrivains américains que nous connaissons mal, d’origine amérindienne ou afro-américains.
Le livre rend aussi compte de l’affaire George Floyd et de la Covid.
– Chant balnéaire d’Oliver Rohe, éditions Allia, 2023 : vingt ans après Défaut d’origine, la guerre du Liban vue par Rohe.
Il a alors 17 ans ; son père n’est plus là ; il vit avec sa mère et sa soeur à l’extérieur de Beyrouth, dans une station balnéaire, été comme hiver. La situation est complexe, les bombes tombent, l’argent manque, les copains et les filles sont plus importants que l’école.
Le livre vient de recevoir le prix France-Liban 2023.
– Le nouveau de Keigo Higashino, 2013, Tokyo, 2021, Actes Sud. Traduction de Sophie Refle. Cet auteur né en 1958 a plus de 60 romans à son actif. Le rythme est lent. Ce polar est plein de dialogues. Le lecteur avance à l’aveugle. Il n’y a aucune violence. Certes, un crime a eu lieu mais ensuite, à coups de chapitres qui semblent indépendants, l’inspecteur Kaga passe de commerce en commerce dans un quartier traditionnel de la capitale où il vient d’arriver et trouve ainsi le coupable.

La suite, bientôt…

Un Deborah Levy : P U N° 191

Ce que je ne veux pas voir,
paru en 2014 en Grande-Bretagne
et en 2020 en France, aux éditions du Seuil sous la marque éditions du Sous-Sol,
traduit par Céline Leroy
= Pièce Unique N° 191.

Deborah Levy a froid à Majorque sous la neige, se souvient de l’Afrique du Sud quand son père fut arrêté comme membre de l’ANC, et de l’Angleterre où la famille est arrivée, puis s’est séparée lorsqu’il fut relâché. Elle n’est nulle part vraiment chez elle.
Un joli personnage dont on se demande ce qu’elle a pu devenir : Melissa « une Barbie bien vivante, en mini-jupe bleu pastel » … » dix-sept ans »… »cheveux en choucroute », pleine de viefille de racistes, vivant à Durban et amoureuse d’un Indien.

Quelques Poèmes Express qui viennent de ce livre :
– Rien et plus souvent. Quelque chose sanglote.
– L’imaginaire était une illusion. Il s’effondrerait autour de baskets.
– Allumée dans chaque restaurant, la serveuse ressemblait à un linguiste malpoli.
– Je ne savais pas trop où était ma tête. Il me paraissait évident qu’elle était tombée.
– Sous l’édredon en satin rose, les gens en plastique.
– Femme, épouse, mère s’étaient glissées dans le manuel de sténo.
– Me débarrasser des cadavres. Me passer la main sous l’eau.
– Rapporté d’Angleterre, le gras du bacon.
– S’approcher d’une sorte de catastrophe , d’un moment en marbre.

Et c’est offert aux éditions du Rouleau : de la micro-édition d’estampes.

Chat Bleu – décembre 2023 – 1)

Hier soir était notre dernier Chat Bleu.
N’senga nous a super bien accueillis pendant de nombreuses années.
Il arrête son activité dans ce lieu. Il la poursuivra en tant que traiteur
avec ses « Charavanes » pour des événements publics, ou privés.
Nous allons continuer Un vin, des livres, mais ailleurs et sous un autre nom.
Ailleurs = au 64 rue Paul Doumer, Le Havre,
dans un nouvel espace de vins natures et littérature : Les Vivants.
Notre première rencontre dans ce nouvel espace est programmée le jeudi 18 janvier, à 18h

Mais, avant le 18 janvier, bientôt, promis, vous pourrez voir ici les livres dont il a été question hier.

 

Un Céline Minard : P. U. N° 190

Céline Minard, l’écrivaine qui se joue des genres : SF, western, roman de chevalerie….
Ici, Olimpia, paru chez Denoël en 2010 puis en Rivages poche.
Ma première lecture de Céline Minard était un texte de SF, La Manadologie, éditions MF, paru en 2005. En lien avec « la monadologie » de Leibniz. Je n’y ai pas forcément tout compris… mais l’ai beaucoup aimé.
Puis, pour moi, sont venus, dans le désordre, Le grand jeu, livre de montagne et celui-ci : Olimpia, roman historique avec la langue, sinon de l’époque, du moins de l’époque vue du XXIè siècle.
Xavier Houssin, dans le monde du 7 janvier 2010 :  » Olimpia se lit, dans un souffle, dans cette imprécation. » Imprécation d’Olympia Maidalchini, femme puissante du XVIIème siècle, plus pape que celui qu’elle a créé, Innocent X.

Quelques Poèmes Express nés dans Olimpia :
– Bâtards, crétins, vendus se convulseront ce soir.
– Les joues gonflées poussent les rumeurs, les mouches.
– Va-t-en arracher le trône à singe, banques et arrogance.
– Au bout du cadavre, rien. Aux corps, la menace.
– Elle enfle et déborde, la pustule, elle gonfle et dégueule.
– Elle fit construire une villa, y fit mettre un théâtre. Le présenta aux vents.

Donné, cette fois, c’est sûr à D G, historienne de l’art qui rentre juste de Rome.

Chat Bleu – novembre 2023 – 2)

Et puis :
des romans étrangers :
La cité de la victoire de Salman Rushdie, Actes Sud. Traduction de Gérard Meudal : entre la fable et la fiction historique. L’enchaînement des royautés du XIV ème au XVI ème siècle. Une jeune femme se voit donner un pouvoir par une déesse : vivre 247 ans.
Certaines lectrices ont parlé de « froideur ». D’autres ont défendu l’auteur (si tant est qu’il ait besoin d’être défendu.) : « il parle du pouvoir des mots, de la littérature ». J’avais adoré le premier livre de lui paru en France en 1983, chez Stock, traduit par Jean Guiloineau., Les enfants de minuit. Un livre sur la partition Inde/Pakistan de la place d’un petit garçon.
Pachinko , de Min Jin Lee, éditions Harper Collins, 2021. Traduit par Laura Bourgeois : une saga familiale de 1930 à 1990. Il y est question des relations japono-coréennes, des sacrifices que font les immigrés.
Les graciées de Kiran Millwood Hargrave, (R U), traduit par Sarah Tardy, 2020, éditions Robert Laffont : On est en 1617 au nord du cercle polaire, un pasteur arrive et combat la sorcellerie. Basé sur des faits réels arrivés à Vardo.
La petite fille deBernard Schlink, 2023, Gallimard. Traduit par Bernard Lortholary : C. l’a « adoré » : Un libraire retrouve sa pseudo petite fille du côté Est de l’Allemagne reconstituée. Il tombe dans un milieu d’extrême-droite, essaie de l’ouvrir à une autre vision.
Découverte inopinée d’un vrai métier de Stefan Zweig, en Folio. « deux nouvelles, courtes, étonnantes, à découvrir » dit M.F.
Un roman historique français : Mes pas dans leurs ombres de Lionel Duroy, éditions Mialet Barrault, 2023 : les pogroms qui se sont passés en Roumanie et ont été niés.
Une collection Le goût de… aux éditions Mercure. 310 petits volumes, chacun sur un thème : une ville, un auteur, une saison, un sentiment … à travers des extraits de textes littéraires. Se met dans la poche, ouvre des horizons.
Un texte couvert de prix, et … interdit dans une école catholique bretonne… :  Triste tigre, de Neige Sinno, chez POL, 2023 : le thème de l’inceste, « abordé sans voyeurisme, sans pathos. » « Beaucoup de références, très intellectuel ».
Croire – sur les pouvoirs de la littérature,
de Justine Augier, 2023, Actes Sud : sur la fin de vie de sa mère pendant le confinement

Chat Bleu – novembre 2023 – 1)

Avec un verre de Bourgogne :
en blanc, une Haute-côte de Beaune, cépage Chardonnay, sec, minéral
ou
en rouge, un Pinot noir, charnu, présent en bouche,
tous les deux vieillis en fût de chêne
nous avons parlé de :
– C’est bien écrit ! d’Andreï Siniavski, aux éditions du Typhon, 2023. Avec une préface de Iegor Gran qui, il y a quelques années, a écrit Les services compétents (éditions P O L), le récit romancé et très drôle des difficultés qu’ont eues les services secrets pour arrêter son père. Siniavski (1925-1997) a fait 6 ans de camp pour « agitation antisoviétique ».
Ce volume contient deux novellas : Graphomanie et Le verglas, écrites en 196O, 6 ans avant cette arrestation..
Dans la première, les personnages ne lisent pas, écrivent tous, mais ne sont pas publiés.  P. 29 : « je suis né pour la poésie »… »on est tous nés pour ça ! Un penchant naturel pour les belles lettres ! Sais-tu à qui on le doit ? A la censure ! Oui, c’est elle, notre chère, notre tendre petite mère, qui a pris soin de nous tous. A l’étranger, c’est plus simple, plus impitoyable. Un lord quelconque publie un livre de vers libres, tout de suite on voit que c’est de la merde. Alors personne ne le lit, personne ne l’achète »(…) »tandis que nous, nous passons notre vie dans une agréable ignorance, à nous flatter d’espoir…C’est merveilleux ! L’Etat lui-même, que le diable l’emporte, te donne le droit – un droit précieux – de te prendre pour un génie méconnu. »
Dans la deuxième histoire, le narrateur, tout à coup, se trouve en capacité de voir et le passé,  vies antérieures comprises, et le futur des personnes qu’il croise.
On est loin là du « réalisme soviétique ».
L’humour et le fantastique  pouvaient vous envoyer en camp en U R S S …
Par ailleurs, remarquez l’esthétique de la première de couv’ !
– Troubler les eaux de Frédéric Lavoie, La Peuplade éditions, 2023. Ce journaliste canadien, vivant et à Montreal et à Bombay, écrit là un essai à partir de son expérience au Bangladesh avec des fixeurs. Il se pose des questions déontologiques : comment rendre compte, comment pratiquer le journalisme dans un pays pauvre, avec des interlocuteurs de classe sociale et de culture différentes des vôtres.
.- MURmur de Caroline Deyns, éditions Quidam, 2023 : roman en deux parties.
Une première sans pagination, un texte en colonne étroite, centrée où celle qui écrit dit « je » et parle de son emprisonnement pour avoir perdu son bébé du fait d’une fausse couche.
La deuxième partie reprend la forme habituelle et raconte l’histoire de « GrandeEnfant » que « Garçon » a forcée. Elle a attendu un enfant et a avorté avec l’aide de sa mère et d’une autre femme.
Et là, nous sommes dans une histoire vraie : celle du procès de Bobigny dans lequel Gisèle Halimi est intervenue.
Roman, certes mais basé sur des faits réels, sur le constat que les femmes, auparavant ou maintenant, dans maints pays, n’ont pas de droit sur leur propre corps.

La suite du Chat Bleu de novembre bientôt…
Le prochain Chat Bleu devrait avoir lieu jeudi 14 décembre.