Memoria, le film (2021)

Memoriale dernier film d’ Apichatpong Weerasethakul, est différent des précédents en ce qu’il tourne pour la première fois avec des acteurs professionnels internationalement reconnus. Mais ces acteurs, il les filme comme des inconnus : de loin, sans insister. On pourrait presque ne pas reconnaître Jeanne Balibar, Même Tilda Swinton, le personnage central, Jessica, est prise le plus souvent à une certaine distance.
Première fois également qu’il tourne à l’étranger : en Colombie : Bogota, des rues, une galerie d’art, un auditorium, un restaurant puis dans la montagne, dans un village, dans un tunnel, près d’une rivière. Des lieux où on accompagne Jessica sans savoir pourquoi, sans qu’il y ait une raison explicite. Et ce n’est pas gênant, on est bien avec elle.

Memoria, c’est aussi – ou surtout – une bande-son. Le film commence avec un bruit fort, comme un coup, qui réveille Jessica. Ce son reviendra plusieurs fois, quand elle est seule ou quand elle est avec des personnes qui, elles, ne l’entendent pas. Nous, spectateurs, devenons super-attentifs, écoutons plus, en alerte, entendons de ce fait mieux l’orage, l’eau de la pluie, de la rivière.

Memoria, c’est une lenteur, une longueur des séquences mais qui ne pèse pas. C’est du calme. On ne s’attend à rien, on n’attend rien, on est dedans.

 

Chat Bleu : janvier 2022 -2)

Ensuite, ce jeudi, on  a surtout pointé des livres français, voire régionaux  avec :
– Philippe Besson : Paris-Briançon, Julliard 2022 : l’intrigue se passe, comme chez Hiro Arikawa, dans un train. Mais un train de nuit. Besson se sert du huis-clos pour créer le mystère : on ne maîtrise pas son destin.
– Un homme d’Ouessant d’Henri Queffelec (1910-1992) : un livre de 1953, « magistral, puissant » sur une Bretagne dure, miséreuse.
– Armen de Jean-Pierre Abraham (1936-2003) : « un très beau livre » dans lequel Abraham raconte sa vie de gardien de phare
Après la Bretagne, la Normandie :  Une enfance havraise, chronique des années 50  de Vincent Colin, aux éditions L’Harmattan, 2021. La carte, la crème et les hannetons  de Christophe Wargny, aussi sur les années d’après-guerre, le quotidien. Ma grand-mère paysanne, ccontes normands, parus en 1954, de Jehan Le Povremoyne (1903-1970).

On a visité les « grands », mais autrement, avec :
– Balzac et moi de Titiou Lecoq, journaliste, féministe, au Livre de poche en 2021 : le Balzac bourreau de travail  parce que toujours sans argent. Dandy comme Baudelaire.
Crénom, Baudelaire ! de Jean Teulé, en J’ai lu, 2021. Dandy détestable. Sa fascination pour le néant.

Et aussi :
– La carte postale d’Anne Berest, 2021, Grasset. Une histoire familiale, la recherche de ce qui s’est passé.
– Le cerf-volant de Laetitia Colombani , 2021, Grasset : une femme va enseigner en Inde auprès d’enfants très défavorisés.
– Le service des manuscrits d’Antoine Laurain, Flammarion 2020, maintenant en J’ai Lu : une éditrice reçoit un manuscrit. Elle ne sait pas de qui. Des meurtres ont lieu et tout se passe comme dans le livre.

On est enfin repartis vers l’international :
– Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse, 2019, éditions Noir sur Blanc : sur Vivian Maier (1926-2009), cette femme américaine qui a photographié pendant des années sans jamais montrer, et dont le travail a été découvert après sa mort.
– La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey (Paris) et Jimsaan (Dakar). Prix Goncourt 2021  : sur l’écriture, un face à face entre Afrique et Occident.
– La force des femmes de Denis Mukwege, 2021, éditions Gallimard : ce gynécologue et chirurgien témoigne de ce que vivent les femmes en R D C où le viol est utilisé comme arme de guerre.
–  Clara et le soleil de Kazuo Ishiguro, traduction de Anne Rabinovitch, 2021, Gallimard : des amies artificielles à vendre, la « vie » de l’une d’elles.

Un Chat Bleu ? Le 24 février, vous venez ?

Expo : Eric Enjalbert

Bon, ça, c’était le vernissage mais vous pouvez, non, vous devez aller voir ces « petites planètes » : c’est jusqu’au 27.
C’est beau, c’est coloré, c’est stimulant. C’est voyeur un peu aussi, enfin, tout est relatif. Vous pénétrez chez des artistes, bd-istes, marionnettistes, comédiens ou simplement personnes qui travaillent chez elles et pour qui l’intérieur a de l’importance.
C’est format carré, 110 X 110, Cela pourrait être 350 x 350 sans aucune déformation ni perte.
Eric Enjalbert est, rappelons-le, la cheville ouvrière de Rue du Départ : concepteur de ce site-blog, maquettiste de tous nos livres. Un ultra perfectionniste qui fait un super boulot .

Chat Bleu : janvier 2022 – 1)

Un Chat Bleu sous le signe de l’ailleurs :
par ses vins : Nsenga avait choisi un rouge, grenache espagnol, dans le fruit, pas si charpenté. Un mono-cépage, à 30% vieilli en tonneau de chêne : La Maldita.
Le blanc, bio, Magda, du domaine Besombes, était de la côte catalane française. Plutôt sec, un peu minéral.
Ils accompagnaient un super cake au reblochon et petites graines, torréfiées dans le four solaire de l’entreprise Néo Loco.

par les livres : deux Américains et un Japonais.
Le visage de pierre de William Gardner Smith (1927-1974), éditions Christian Bourgois, 2021, paru aux USA en 1963. Traduction de Brice Matthieussent. Le personnage, Afro-américain, vient vivre en France au début des années 50. Il y trouve une vie agréable : sa couleur ne le pénalise pas. Il s’aperçoit par contre que les Français se montrent aussi racistes vis-à-vis des Algériens que les Blancs américains vis-à-vis de lui. Il rend compte entre autres de la manifestation du 17 octobre 1961 ( ce qui explique, sans doute, le tardif de la publication française… ).
Il s’agit d’un roman mais clairement documenté par le vécu de l’auteur qui a rencontré, à Paris, Baldwin et Wright.
Le titre renvoie au visage du Blanc, raciste, haineux.

Tu ne désireras pas de Jonathan Miles, éditions Monsieur Toussaint Louverture, traduit par J.Ch. Khalifa, 2021. Ce roman, trois histoires mêlées, a été édité en 2013 aux USA. Nous sommes côte Est, dans trois ambiances différentes : avec un universitaire presque obèse séparé de sa femme, un jeune couple qui squatte à New-York, une veuve du 11 septembre remariée à un homme d’affaires un peu « beauf » et véreux. On rit assez souvent, par exemple du jeune voisin dont hérite le prof de fac, On comprend son père, érudit, atteint d’Alzheimer, dans sa maison de retraite. On reconnaît la façon dont certains jeunes parlent à leurs aînés avec la belle-fille du business-man. On frémit pour elle à un autre moment.
Tu ne désireras pas est un bon roman qui place le lecteur face à des milieux aux idéaux opposés, dans une société qui jette et ne sait quoi faire de ses déchets, nucléaires ou quotidiens. Remarquez le choix esthétique de l’éditeur : le livre est broché, recouvert de tissu imprimé.
– Au prochain arrêt de Hiro Arikawa, traduit par Sophie Refle, chez Actes Sud, 2021 : un trajet de train nous permet d’entrer dans la société japonaise d’aujourd’hui, de comprendre la relation amoureuse, la place de la personne âgée, et ce qui est gênant socialement. Très facile à lire et intéressant.

Prochain Chat Bleu prévu le 24 février.

Indes Galantes : rattrapage

Indes Galantes, de Philippe Béziat.
Ce documentaire, sorti fin juin 2021, montre la préparation pendant plus d’un an de l’opéra-ballet de jean-Philippe Rameau (1735), présenté à l’Opéra-Bastille douze fois, du 27 septembre au 15 octobre 2019.

Cette production des Indes galantes était l’occasion de nombreuses premières fois :
– première fois qu’une formation baroque était dans la fosse de l’opéra-Bastille : la Cappella Mediterranea avec son si empathique chef d’orchestre, Leonardo Garcia Alcron.
– première fois que Clément Cogitore mettait en scène un opéra. Cet artiste contemporain passé par Le Fresnoy, la Villa Médicis, prix Ricard en 2016, Marcel Duchamp en 2018, est professeur à l’école des Beaux-Arts de Paris.
– première fois qu’une vingtaine de danseurs urbains se produisaient sur cet immense plateau. Que des danseurs de Voguing, Krump, Flexing, Hip-hop, Waacking, Electro, Popping, Break dance, membres de la troupe Rualité de Bintou Dembélé se mouvaient sur une musique du XVIIIème siècle.
– première fois qu’une soliste ( la soprano Sabine Devieilhe ) appelait à saluer avec elle un danseur de danse urbaine ( Calvin Hunt ).
– première fois que, dans ce lieu, chacune des représentations s’est finie sur une standing ovation.

Le film, comme Les rêves dansants – sur les pas de Pina Bausch de Anne Linsel et Rainer Hoffmann, est totalement bouleversant.
Bouleversant parce que des mondes qui ne se connaissaient pas et avaient peu de chances de se réunir s’apprécient : la compagnie Rualité et le choeur de chambre de Namur admirent chacun les prestations de l’autre, deviennent un groupe de travail cohérent.
Bouleversant, ce joli moment où une des danseuses se surprend à fredonner du Rameau toute la journée, même dans ses parcours à trottinette.
Bouleversante et rigolote, cette indignation de danseurs devant l’erreur de la présentatrice – télé parlant de « Jean-Baptiste Rameau » : « Philippe! Jean-Philippe ! »
Bouleversant comme lorsque Pina Bausch reprenait Kontakthof avec des adolescents de 14 à 16 ans jamais montés sur scène. Parce que des portes s’ouvrent, parce que des savoirs se mêlent, parce que des rencontres culturelles supposées impossibles ont lieu.
Bouleversant, vraiment.

Un Albert Londres : P U N° 144

Au Japon d’Albert Londres est un recueil d’articles écrits en 1922.
Parti six mois en Asie pour le journal l’Excelsior, il commence son voyage par là au moment où Paul Claudel arrive en tant qu’ambassadeur.
Il fait un court historique des relations japonaises avec le monde, présente les couches du pouvoir, le décorum, le fonctionnement de l’homme japonais en son pays et à l’extérieur, ( P. 60 : …la femme est reine (…). Ce n’est peut-être pas un être mais c’est une chose sacrée. »).
Il nous fait visiter en quelques pages Tokyo, Osaka et Kyoto. Son ton est léger, plein de charme et de jolies images ( P 27 : il marche sur des petits bancs qu’il appelle « guettas »), pour aider ses contemporains à visualiser un pays si étranger.

Voici quelques Poèmes Express issus de ce court opus, réédité en 2021 par Arléa  :

– Inspecter l’horizon, le supposer sombré.
– Je m’apprête à manquer de tradition. Et à finir.
– Geishas, fées politiques et littéraires.
– Dans le jardin sacré, je m’appelle barbare.
– Le moyen-âge avait mis à même sa peau la mort.
– Mosaïque forcenée : monde juxtaposé.

Au Japon, « augmenté », est offert à Sylvie B, photographe d’architecture et à l’un de ses fils, cinéphile japanisant.

 

Un Maurice Constantin-Weyer : P U N° 143

Quoi ? ! Maurice Constantin-Weyer, vous ne connaissez pas ? !
Allez,… j’avoue. Moi non plus.
Il a pourtant écrit une cinquantaine de livres, reçu le Goncourt en 1928, été beaucoup traduit et adapté au moins trois fois au cinéma. Français né en 1881, mort en 1964, il était, au moment du Goncourt, édité chez Rieder. Il avait déjà failli être primé pour Manitoba, en 1925 mais Léon Daudet, membre du jury et d’action française, avait voté contre, en raison du « cosmopolitisme » de la maison d’édition…
– De l’influence de l’idéologie sur la littérature… vous avez quatre heures…-
(cf :  le super-intéressant texte de Gérard Fabre – EHESS, 2014, Presses Universitaires du Québec)

La Pièce Unique N° 143 est Un homme se penche sur son passé, une histoire qui se déroule au Canada français où l’auteur a vécu de 1904 à 1914. Le narrateur, Jacques Monge, trappeur, vendant des fourrures, « cassant » des chevaux sauvages, s’installe bientôt dans une ferme. Les colons sont arrivés, avec leurs spécificités, de Bretagne, d’Irlande, d’Ecosse, ils labourent les terres vierges, le train arrive, les villes se fondent – on peut penser au beau film First cow de Kelly Reichardt- . Un peu plus qu’un bon roman d’aventures, un texte sur la disparition du monde sauvage.

Quelques Poèmes Express qui en sont issus :
Notre géographie, piquée de barbelés, naît des avides.
– Ce type de géants avait appris la nuque des filles.
– Echarpe de gaze et diamants, la vieille édentée aux seins roulants.
– Ce n’est pas un homme. Juste un rythme.
– Jours de quadrille, sourire fané, pâleur de fiancée…
– C’était un désir en décomposition dans d’autres sentiments sales.
– L’entreprise avait de quoi tenter au fond de tous les brouillards.

La Pièce Unique 143 est offerte à Margot Bonvallet, libraire au tiers-lieu Les Vinzelles, ouvert très récemment. Parce cela semble un bel endroit, une belle idée et une  » lectrice de fond « … jeux de mots sur fond(s) et « coureur de fond »…

 

Un Ahmet Altan : P U N° 142

= Pièce Unique N° 142.
Cet auteur turc contemporain y parle des raisons, des circonstances de son arrestation et de sa vie en prison, comment il réussit à vivre malgré le manque de rêves, de temps comptable, de lumière. Comment il doit cohabiter avec des hyper-croyants. Comment on le traite, menotté pendant les transports et même dans des lieux de soins, Comment se comportent un juge en activité et des juges arrêtés …

voici quelques Poèmes Express issus de ce livre :
Etre confiné dans une boîte, petit pois, rien d’autre. Petit pois perdu.
– Cette phrase coule de son oreille sur son bureau.
– Quand il n’a pas de sentiments, il a un roman qui les fait naître.
– Tout va bien dans un laboratoire. Et la vérité se suspend.
– Impression d’ire d’hiver au bord du parvis.
– Si vous êtes le coup, vous pourrez sourire.
_ Interdiction de faire venir des fées dans notre quartier.

La Pièce Unique n° 142 est offerte à une des deux étudiantes en DUT Métiers du Livre, année spéciale, rencontrées aujourd’hui pour un podcast. Une jolie rencontre. Elles aiment le livre et sont visiblement ouvertes.

Chat Bleu : décembre 2021

Déjà, des dates : si covid, omicron et autres virus nous laissent tranquilles, retrouvons-nous  les 20 janvier, 24 février et 24 mars

En décembre, Nsenga nous recevait avec des « vins du monde », un rouge austral, cépage shiraz, koala sur l’étiquette, et un blanc d’Afrique du Sud, chenin, orné d’une baleine !

livres du monde aussi :
– L’île de Sigridur Hagalin Björnsdottir, traduit par Eric Boury, éditions Gaïa, Paru en 2016 en Islande, en 2018 en France : un événement a eu lieu : l’Islande est coupée du monde, plus d’internet, plus de navires ni d’avions arrivant, pas de nouvelles de ceux qui sont partis. On n’en saura pas plus sur le pourquoi mais on verra ce que cela crée : ceux qui en profitent, ceux qui en souffrent, ce qui manque, les métiers (de la culture) qui n’ont plus d’utilité, la montée de la violence, du nationalisme …
– La fracture de Nina Allan, éditions Tristram, traduit par Bernard Sigaud : cette auteure anglo-saxonne dont nous avons lu aussi et beaucoup aimé La course, place son lecteur dans plusieurs genres en même temps : policier, fantastique. Une jeune fille disparaît. Plusieurs années plus tard, elle est de nouveau là et ce qu’elle raconte pose problème à sa soeur, à sa mère…
– En attendant Eden d’Elliot Ackerman, éditions Gallmeister, traduit par Jacques Mailhos. Dans la veine de Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo, un livre qui remue, anti-militariste, écrit par quelqu’un qui connaît bien la guerre. Ackerman, né en 1980, est un ancien marine, membre des forces spéciales, revenu de missions en Afghanistan et en Irak.
Et encore :
– Le maître et Marguerite de Boulgakov (1890-1940), pas dans la nouvelle traduction d’André Markowicz : » l’histoire de Faust mais sous Staline, avec un diable foutraque, un bazar joyeux », dit A.
– La neige sous la neige d’Arno Saar, traduit de l’italien par Patrick Vighetti, éditions La Fosse aux Ours : un polar qui commence avec le corps d’une jeune femme trouvé sous la neige à Talinn.
– Soleil amer de Lilia Hassaine, 2021, Gallimard. Une femme algérienne rejoint son mari qui travaille en France. Ils ont déjà trois enfants ; des jumeaux s’annoncent et ils n’ont pas les moyens…
– Les greniers de Babel de Jean-Marie Blas de Roblès, éditions Invenit, 2012 : rafraîchissant, pour toutes générations et plein de références.
– Pachinko de Min Jin Lee, traduit par Laura Bourgeois, éditions Charleston : histoire sur plusieurs générations d’une famille coréenne qui s’installe au Japon.
– La saga des 7 soeurs, en 7 tomes, de Lucinda Riley, aussi aux éditions Charleston.
– La passe-miroir, de Christel Dabos, Gallimard jeunesse : roman d’apprentissage 4 tomes.
Ces trois derniers livres nous sont présentés par Eline, qui, devenue influenceuse sur Instagram, nous a rejoints ce soir-là et c’était super. Comme l’a dit Nsenga : « une autre génération, d’autres livres, d’autres raisons de lire et d’autres moyens d’en rendre compte… »

 

Heureuses fêtes !

Mis en avant

à côté de Percival Everett ! de Paul Auster !

cette année, c’est avec  ça va ? ça va… 
le mini-table book plein d’esprit (si si), le petit-cadeau-d’assiette mais bien plus que ça aussi…
Et, pour les gens d’ici, presque 100% d’ici…