Un Georges Bernanos : P U N° 183

Les grands cimetières sous la lune, parus en 1938, sont la Pièce Unique N° 183.
Cet essai, plein de fougue, de morgue de Georges Bernanos ( 1888-1948 ), écrit à partir de ce qu’il voit aux Baléares, est étonnant. Le ton est fort, dur vis-à-vis de ce qui fut son camp, du clergé. Il se fait défenseur des classes populaires, montre son mépris vis-à-vis d’un Franco et de la bourgeoisie espagnole, coupables des exécutions de pauvres à peine républicains. Il étend ce dédain à la classe moyenne française qui ne pense qu’à préserver ses privilèges et penche sans honte du côté des dictateurs alors que vient la guerre.

Quelques « Poèmes Express » venus de ce livre :
– Des siècles portent l’angoisse sous la moisissure, la colère au comptoir.
– Bien moins nombreux qu’on ne l’imagine, les vrais vieux.
– La presque totalité de la population mâle pense à son corps.
– Toutes les erreurs viennent pourrir en pus d’histoire.
– Je ne trouve pas drôle de comprendre. D’ailleurs, on peut toujours jouer les imbéciles.
– Vous attendez le progrès; permettez que je 
rigole.
– Des saints ne doivent rien à personne, n’ont aucun secret, drôles de gens !
– Ce détail n’a aucun intérêt. Mais les poissons tournent en rond.

Ce Bernanos « augmenté » est offert à Eloïse Guénéguès, directrice de la maison Gueffier, lieu dédié à l’écriture et à la littérature qui fait partie du grand R, scène nationale de La Roche-Sur-Yon. Rencontrée plusieurs fois à Ecrivains en bord de mer, elle était, cette année, avec Bernard Martin, et avec ferveur et brio, du côté des intervieweurs.

Algorithme ou…

Oeuvre d’algorithme ou de travailleur pauvre à l’autre bout du monde : ?
en tous cas, R I R E assuré :

FB agit et m’écrit : « Nous avons supprimé votre contenu
Pourquoi cela est arrivé

Il semble que vous ayez partagé un contenu montrant de la nudité ou une activité sexuelle. »

Le contenu en question : un extra-terrestre, peut-être un peu nu, oui, à côté d’une soucoupe volante. Belle image N et B, très 1940. Je le mettais en page d’accueil ; quelques un(e)s l’ avaient remarqué.
Oter des traces, faire comme si ça n’existait pas, n’avait pas existé, n’avait pas le droit d’exister – ça rappelle, toutes proportions gardées évidemment – les photos politiques remaniées années 30 et la pruderie XIXème siècle. Que du bon et de l’intelligent …
( Je n’ai pas retrouvé l’image incriminée ( qui était vraiment bien ). J’en mets une autre … Ciel, il est nu aussi …

ça pique et c’est juste

A l’émission Midi-culture, sur France-Culture, le 6 septembre :

coup de gueule de Fatou Diome :

et sujet de » l’essai flamboyant, drôle et imagé qu’elle publie en cette rentrée chez Albin Michel ».

« Le verbe libre ou le silence : dans cet essai qui prend la forme d’un plaidoyer pour la liberté des écrivains et contre les diktats imposés par certains professionnels de l’édition, Fatou Diome est catégorique. Les éditeurs ne peuvent interférer dans le processus créatif des auteurs puisque celui-ci relève de l’expression d’une intimité et d’une subjectivité qui leur est propre. »
——————————

Je fais un lien avec une émission qui m’avait hérissée il y a quelque temps sur cette même radio – sans pouvoir, désolée, la retrouver – où une écrivaine et son éditrice parlaient. L’éditrice donnait ses conseils / ordres et ,clairement, ça simplifiait un maximum, influait sur le fond comme sur la forme et avait pour but que « le produit » soit simplifié, se vende plus sûrement, pas pour faire progresser la littérature.
Entre ça et Chatgpt, peu de différence …

Au risque de

Au risque d’enfoncer une porte ouverte,

on vous enjoint d’aller voir Anatomie d’une chute de Justine Triet.

C’est du grand cinéma,
du M A G I S T R A L .

Le film, porté par des acteurs et par un montage fabuleux,
pose plein de questions ( et
ne les résout pas toutes ) :
vérité ? Justice ? couple ? reconnaissance ?
Ce n’est pas grave, ça nous fait cogiter.

Mais vous le saviez déjà, la porte était déjà ouverte …

Un Magda Szabo : P U N° 184

Magda Szabo (1917-2007), issue d’une famille de la grande bourgeoisie protestante qui dut supporter la guerre, l’occupation par l’armée rouge puis la prise de pouvoir par les communistes.
 Rue Katalin, sorti en 1969 en Hongrie, en France chez Viviane Hamy en 2006, rend compte de ces différents moments. La construction est un peu déconcertante. L’histoire  est celle de  trois familles en six dates, de la seconde guerre mondiale à 1968. Une de ces familles est juive et disparaît. Leur mort change tout entre les personnages restants. Les morts sont là, toujours, et visibles et non reconnaissables. L’histoire d’un pays à travers une rue.

Quelques « Poèmes Express » qui en sont issus :
Le village s’amusait à faire croire qu’il était toujours le village.
– En se raccrochant aux phrases, ils sortiraient des morts.
– Elle ouvrait son mari, le refermait élégamment en petits cubes.
– Un simple regard et il se jetait par terre et rétrécissait.
– Elle pensait droit : elle était élevée à offrir ; il fallait.
– Soldats empilés méthodiquement dans l’odeur des blouses blanches.
– Le savoir était sans souffle. Tout de même formidable mais malade.
– Elle avait été son désir, elle le vit, cela la gênait.
– Ceux qui savaient avaient disparu et il n’y a plus de monde.

Ce Magda Szabo « augmenté » est offert à Florence T., ancienne collègue de lettres, très branchée livres … et Japon… qui m’ a recontactée récemment. Elle a juste à me donner son adresse !

 

Autour des livres du 3 septembre

Il y est question de La paix des ruches d’Alice Rivaz (1901-1998), paru en 1947 :  court roman de femme, deux ans avant Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, et reparu en 2022 aux éditions suisses Zoé.
Zoé où paraît le nouveau Elisa Shua Dusapin : Le vieil incendie.
Zoé et son beau papier ivoire.

Un Stig Dagerman : P U N° 182

Stig Dagerman (1923-1954), est en Allemagne en 1946 en tant que journaliste. Il raconte ce qu’il voit, comprend et ressent de l’état du pays, des habitants, selon les zones d’occupation. Il montre l’hypocrisie des Spruchkammern, les tribunaux censément de dénazification qui s’attaquent plus aux petits qu’aux gros. Il s’indigne et dit le risque de la punition infligée à une population entière quand les plus coupables s’en sortent. C’est Automne allemand paru en livre en Suède en 1967, chez Actes Sud en 1980, traduit par Philippe Bouquet (1937-2023, qu’on pouvait rencontrer aux Boréales de Normandie) et trouvable collection Babel.

Des « Poèmes Express » en sont sortis. En voilà quelques uns :
– Un avocat coquin, dans l’obscurité, frôle des dos, pleine peau.
– Le Russe, l’Américain le fait empailler et l’envoie chez lui, en souvenir.
– Les rangées de fauteuils doivent apprendre à attendre.
– En uniforme, lunettes en train de glisser et voix nasillarde.
– Chercher le moyen de tuer ceux qui s’entassent dans la tête.
– La faim fume des cigarettes et boit un thé gris.
– Lorsque les nazis asexués prennent l’air, ils sont d’une beauté de bière.

Cette Pièce Unique est offerte à Stéphanie Van P. rencontrée depuis plusieurs étés dans plein de bons moments festifs à Pirouésie et que l’idée des Pièces Uniques a amusée.

à ne pas rater

A mon avis,
enfin, moi, j’dis ça…
vous faîtes c’ que vous voulez …

non, sérieusement, allez voir.
C’est une B D.
Plutôt un roman graphique :
Le grand Je de Rachel Deville,
à paraître chez Atrabile en septembre.
Les B D, habituellement, ne me font rien.
Là, je trouve fabuleux ce dessin, ces idées de personnages sans corps ou à trois têtes – avec tout ce que cela entraîne – . Séance de psy à l’appui… Allez voir.

Un Bertrand Schefer : P U N° 181

L’âge d’or de Bertrand Schefer, 2008, éditions Allia. Toujours ce papier ivoire, ce format et cette typo distingués. Allia où B. Schefer avait déjà traduit Zibaldone de Leopardi, Allia que B. Schefer quitte en 2012 pour P O L, une autre distinction.
Bertrand Schefer était, cette année à Ecrivains en bord de mer pour son texte Francesca Woodman et pour les 40 ans de P O L. J’avais mission de lui passer le bonjour d’une libraire, Caroline, qui l’avait interviewé dernièrement. Mission accomplie. Abord très agréable.
Depuis, lecture de L’âge d’or et de Série noire, plus récent, plus aisé. D’ailleurs, ce serait un vrai plaisir de voir l’auteur accueilli par les Ancres Noires pour ce roman « blanc » qui parle du « noir » et qui reçut le prix Wepler en 2018.
L’âge d’or : des moments de vie, des personnages jeunes qui s’essaient à l’âge adulte avec des corps durs, des actions dont ils ne semblent pas mesurer l’impact, de fausses rencontres, des essais non transformés, des défaites.

Voilà quelques « Poèmes Express » nés dans L’âge d’or :
– Coule vert-de-gris dans la tête un mélange de fonds de bouteille.
– Le blanc de son corps était au lit.
– A deux ans il lance une pluie de confettis, vieille idée.
– Il pense au mot « mot » : fin morceau de conversation.
– Le linoléum imitation faux bois gondole dans le silence de la pièce.
– C’est peut-être à cause du blanc sur le boulevard qu’on n’a pas grand chose à voir.
– Dissout dans l’acide ou paisible dans la cuisine, le corps.

L’âge d’or  » augmenté  » de  » Poèmes Express  » et d’actualités  » ricocheuses  » est offert… à Bertrand Schefer… qui n’a évidemment rien demandé …

Dans la famille des

Dans la famille des « purs », je voudrais la « mère » : Jane Sautière
Les « purs », encore cette formulation grandiloquente !
Ouais…
Sans doute n’est-il pas vital qu’un écrivain soit bon humainement. On peut apprécier son écriture sans cela, et Céline en est une preuve. Mais, quand même, j’aurais tendance et la faiblesse de penser que la concordance des deux est un plus.

De Jane Sautière, j’ai d’abord lu Corps flottants, paru cette année – on en a parlé au Chat Bleu – . et viens de finir Fragmentation d’un lieu commun, chez le même éditeur, Verticales, son premier livre, de 2003
– parce que vous vous souvenez ? : la durée d’un livre n’est pas, ne peut pas être, de trois mois – .

Au même moment, un article de Libé nous rappelle que 74 000 personnes sont incarcérées en France (chiffres du 1er juillet 2023) et pointe un problème supplémentaire pour la réinsertion de ces gens : la dette qui court toujours à l’extérieur, les impayés qui s’accumulent.
Fragmentation d’un lieu commun, ce sont cent fragments adressés, cent « vous » ou « tu » à cent personnes croisées en prison, ou à l’extérieur, en tant qu’éducatrice. Cent personnes reconnues pour autre chose que leur dangerosité, leur délinquance, leur maladie mentale, ou leur inadaptation. Cent courts chapitres de visibilisation d’existences des deux côtés de la justice. Parce que quelques fragments évoquent aussi des collègues ou des surveillants. Cent mini-textes sans sensiblerie mais pleins de sensibilité. Cent approches de femme…
Je sais, c’est une autre délimitation risquée : écriture masculine ou féminine. Ce n’est d’ailleurs pas ce que je veux pointer. Il s’agit, non de l’écriture d’une femme, mais d’un écrit, d’empathie lisible, évidente. Et d’accord, tous les textes de femmes ne sont pas bourrés d’empathie. Et encore d’accord, empathie ne signifie pas qualité.

Mais voilà, pour finir, un tout petit extrait :  P. 100-101 :  » Votre fils va venir vous voir. Il ne travaille plus à l’école depuis que vous êtes détenu, ça vous soucie beaucoup. » (…) « Je sens qu’il faut que votre fils sache que c’est viril d’apprendre. C’est un combat, une lutte, aussi grasse et épaisse que la lutte à main nue. »