La route bleue

La route bleue de Kenneth White (voir aussi le post précédent : Délocalisés) est la Pièce Unique n° 50.
White ouvre son livre par une citation de Shôbôgenzô : «  La voie s’accomplit. La neige tombe en mille flocons. Plusieurs rouleaux de montagne bleue viennent d’être peints ».
Japon encore : « on entre dans le monde du givre….pays du haïku. » (p. 36)
Melville et Thoreau sont là aussi.
L’ambiance est donnée. Ambiance de « géopoétique ».
Il serait bon de « sortir de l’histoire  pour entrer dans la géographie.«  (p. 64) : géographie humaine et politique, vie des Indiens au Labrador. « Je me demande quand nous allons nous débarrasser de toute cette toponymie évangélique. Je ne connais pas le nom indien de ce lac mais je suis prêt à parier qu’il était beau et précis (…) nommé par des gens qui le connaissaient vraiment, qui étaient en contact avec sa réalité physique. » (p.45)

Voilà quelques Poèmes Express issus de ce livre :
– Un oeuf. J’en entends la rumeur. Tout au fond, sérieux.
– Molasses, les gros cargos me sautillent dans la tête.
-J’ai failli dénicher le paradis mais je suis anarchiste.
– Je me demande quand nous allons nous débarrasser de l’arrière de la tête.
– Il neigeait des petites filles et des gloussements.
– La brume. Je peux lui mettre des skis, la saison finie.

La Pièce Unique n° 50 – 3* livres en 1 – a été offerte à F.B., lectrice enthousiaste et ouverte. Notre première rencontre, par hasard, a duré deux heures. Deux heures de conversation autour du livre. Depuis, nous nous sommes pas mal revues, toujours ou presque autour du livre.

* = texte originel + Poèmes Express surlignés, un par jour + Information du jour.

Délocalisés

Pour raison de Goût des autres, un Chat Bleu, le jeudi 18 janvier, n’était pas forcément une bonne idée. Proposition d’une lectrice : un autre jour, une rencontre délocalisée, privée, chez elle… Vous savez, les salons… comme aux XVIII è – XIX è siècles …ouah !…

Donc, voilà, délocalisés pour cette fois, les livres dont il a été question :
– Nos richesses de Kaouther Adimi, Seuil, 2017 : le troisième livre d’une auteure née en 1986 à Alger, vivant à Paris, un hommage à l’éditeur-libraire Edmond Charlot, son parcours porté par l’amour du livre, des auteurs. D’Alger à Paris… et retour. Un fabuleux passionné, c’est sûr. Un mauvais gestionnaire peut-être, victime en tous cas des événements entre la France et l’Algérie. Une bio-fiction, basée sur un (vrai/faux : ?) journal intime.
La daronne d’Hannelore Cayre, Métailié 2017 : – allez, on vous le dit… avant la présentation officielle, le 4 février, à la médiathèque Niemeyer au Havre : Hannelore Cayre  a répondu OUI à l’invitation du Polar à la plage. Elle vient au festival, mi – juin. –
Son roman est plein d’humour, pas toujours politiquement correct. Elle rejoint par exemple Didier Fassin (L’ombre du monde, Points Essais) sur les prisons improductivement pleines de porteurs de quelques grammes de drogue – et elle s’y connaît puisqu’elle est d’abord avocate pénaliste. Mais elle peut aussi cibler les EHPAD… Réjouissant, vraiment !
– La route bleue de Kenneth White, 1983 Grasset (prix Médicis), réédité en 2013 et en 2017 par les éditions Le mot et le reste. Ecrivain voyageur né en Ecosse, vivant en France, il parle là du Labrador, un de ses rêves d’enfance, du point de vue de sa nature, de ses habitants, de tout ce que cela crée en lui : sensations, réflexions, poèmes. Kenneth White a inventé la géopoétique.

Ont aussi été évoqués :
– La jeune épouse d’Alessandro Baricco, 2016 Gallimard, trouvable en Folio.
– Les étoiles de Sidi Moumen de l’écrivain et plasticien marocain Mahi Binebine, 2010, Flammarion. Sur les mécanismes de radicalisation, l’embrigadement des jeunes.
– Lucie ou la vocation de Maëlle Guillaud, chez Heloïse d’Ormesson, 2016, écrit pour comprendre la foi, l’enfermement accepté.
– trois romans à propos de l’Algérie, de la guerre : Un loup pour l’homme de Brigitte Giraud,  L’art de perdre d’Alice Zenither, tous les deux chez Flammarion, 2017. B. Giraud parle d’un jeune Français qui ve veut pas tuer et vit cela du côté des soignants. A. Zenither évoque trois générations entre Algérie et France, des harkis. Dans l’épaisseur de la chair de Jean-Marie Blas de Roblès, 2017, Zulma est un « roman vrai » autour de son père.
Par amour de Valérie Tong Cuong, livre de poche 2018 : deux familles havraises entre 1939 et 45.
– Blonde de Joyce Carol Oates, livre de poche 2002 : « roman biographique ou biographie inventive » de Norma Jeane alias Marilyn Monroe. Plutôt contemporain si on pense à H. Weinstein, ce Hollywoodien qui a su …si bien… parler à l’oreille des femmes…
Donc, des romans principalement, mais aussi :
– Le miracle Spinoza de Frédéric Lenoir, 2017, Fayard. Le philosophe du XVIIè, nous et la joie.
– tout Gilles Kepel et son travail sur l’islamisme.

Nous revenons au CHAT BLEU le 1er février, 18H15.

N° 49 : Un vivant qui…

Un tout petit livre pour une énorme horreur :
Un vivant qui passe, Auschwitz 1943-Theresienstadt 1944,
entretien entre Claude Lanzmann et Maurice Rossel en 1979, (Folio).

Maurice Rossel travaillait pour la Croix Rouge pendant la seconde guerre mondiale. Il était en poste à Berlin et a pu visiter le « ghetto modèle » de Theresienstadt* et Auschwitz. Il a ensuite écrit des rapports lénifiants sur ces lieux, ce qu’il y avait vu, ce qu’on avait voulu lui montrer. Le pire n’est peut-être pas là mais dans ce qu’il dit durant l’interview, plus de trente ans après : p.54 : « J’ai cru, et puis je le crois encore, qu’on m’a montré un camp pour des notables juifs privilégiés*. (…) Le comportement des gens était d’ailleurs tel que c’était fort antipathique. »…
(Claude Lanzmann) p.75 :
« – Vous regrettez ce rapport aujourd’hui ?
– Je ne vois pas comment j’en aurais fait un autre. Je le signerais encore. »……………………

Voici quelques « poèmes express » nés de ce texte :
1)- Il faut être rien et dire les squelettes.
2)- Ce dieu, assez riche pour posséder un quart de Budapest, a des griffes.
3)- Là, au bout d’un certain temps, des machins croyaient en l’horreur.
4)- Ils avaient tout. Ils l’avaient comme des fous.
5)- On attend encore un peu la preuve de la terreur.

Parallèlement à ces poèmes, les informations du jour trouvées dans le journal Le Monde : quelques unes glaçantes :
3)- Autriche : l’extrême droite FPÖ obtient trois ministères régaliens : la défense, l’intérieur, les affaires étrangères.
4)- Canada : des synagogues cibles de messages antisémites lors de la fête d’Hanoucca.

Cette Pièce Unique a été envoyée à Dominique Baillon qui a toujours travaillé pour le livre, en tant que Drac en Picardie puis par des articles dans une revue en ligne Encres vagabondes. Nous nous sommes rencontrées au festival du Polar à la plage au Havre où elle venait pour retrouver des auteurs amis tels que le grand et regretté Pascal Garnier.

Chat bleu de décembre

En dégustant ou un Bordeaux rouge, montagne Saint Emilion 2013 ou un Gewurtztraminer vendanges tardives d’un petit producteur récompensé comme le meilleur de France – moelleux, ample en bouche, à goût de fruit confit, parfait pour les petites tapas spécial Noël qui l’accompagnaient – nous avons évoqué :
– la plaquette d’Eric Bonnargent : Lettre ouverte à ma bibliothèque, chez Réalgar : une déclaration d’amour aux livres, un petit inventaire vivant de ceux qui comptent pour le personnage nonagénaire /auteur trentenaire, professeur de philosophie.
Manuel d’exil de Vélibor Colic, chez Folio depuis peu : roman vrai de celui qui vient en France avec son bac + 5, sa culture, son (court) passé d’écrivain et se retrouve dans un foyer avec d’autres migrants, son envie d’écrire, de s’en sortir. Humour : (p. 11) « J’ai 28 ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre. » Désespoir : (p. 21) «  Le nouveau monde autour de moi est anguleux et dangereux. Je le vois comme un gigantesque flipper. Je me cogne tout le temps, partout où je passe » (…) Je suis mal adapté »… Soulagement :  … » invité et sauvé par le Parlement des Ecrivains ». Humour encore :quand  il mange de plus en plus, grossit de plus en plus, se sent (p. 179) « un vrai Yougo dur à cuire » qui, avec les mêmes désirs,… ne séduit plus… ou alors….
– Bondrée de Andrée A. Michaud, Rivages poche : un polar du Québec qui se passe au bord d’un lac, à la frontière entre USA et Canada, pendant des vacances dans les années 60. Des québécismes, des américanismes. Le besoin d’un traducteur pour l’inspecteur francophone. Une belle langue aussi au moment de la mort des jeunes filles.

Et aussi, en romans  :
– Ecoutez nos défaites de Laurent Gaudé, Actes Sud qui se passe sur trois époques, auprès de trois chefs de guerre. Mélancolique.
– Ma reine de Jean-Baptiste Andréa, éditions l’Iconoclaste : « belle naïveté » ou « fausse fraîcheur » ? Un premier livre qui a reçu des prix.
– Trouvé dans une jolie librairie à Florac : Le reste est silence de Carla Guelfenbein, Babel. Au Chili, la découverte de secrets de famille.
– Chanson douce de Leïla Slimani ( Gallimard 2017) : une écriture directe et concise.
– Cette chose étrange en moi d’Orhan Pamuk, ( Gallimard 2017) qui s’écoule sur des décennies, dans des quartiers d’Istanbul.
– Les fantômes du vieux pays de l’ Américain Nathan Hill, énorme premier roman ( Gallimard 2017).
– Article 353 du code pénal de Tanguy Viel, Minuit, 2017
En polars :
– les livres de Franck Bouysse à la Manufacture de livres, d’ Edouard Abbey chez Gallmeister, du Finlandais Anti Tuomainen, trois traduits aux éditions Fleuve.
En essais ou documents :
– Gabriële, biographie de la première femme de Picabia, par ses arrière-petites-filles Claire et Anne Berest, ed. Stock, 2017
– Cherubini de Marc Vignal, éditions Bleu nuit 2017
Des hommes qui lisent d’Edouard Philippe, chez J.C.Lattès, 2017.
– Lire Lolita à Téhéran d’Azar Nafisi, en 10-18, (toujours intéressant quand, aux informations, on vient d’entendre que plus de 200 jeunes viennent d’être arrêtés pour avoir fait une fête ensemble, hommes et femmes mélangés).

Décidément, les femmes lisent beaucoup !
Des livres récents ! de maisons d’éditions « dominantes »… !

drôle de cadeau !

A un jeune, Arthur, qui veut – peut-être – faire des études d’histoire…
une Pièce Unique à partir de Les derniers jours du Fort de Vaux du capitaine Henri Bordeaux, paru en 1934 aux éditions Nelson. Une ode à la guerre, au sang versé pour quelques mètres pris, repris, re-repris. Un « que la mort est jolie » pour sa patrie…

A mettre en parallèle avec des livres édités en l’honneur du centenaire comme  L’enfer de Verdun de Félicien Champsaur, (2015, éditions Le Vampire Actif, installées à Saint-Etienne) qui montre l’horreur de ces combats et ne remet pas non plus en cause la justesse du carnage.

Voilà quelques « poèmes express » nés du H. Bordeaux :
La cadence dépouille un mort, le soulève, le débouche et l’écrase.
– Un fracas rouge s’allonge tandis que la vallée s’emplit d’une vapeur opaque.
– Le coeur battant, les camarades écoutent : silence, un caillou a roulé.
– Recommencer la journée, choisir et poser la main sur une poitrine.
– Les hommes remontent la pente et se jettent dans du vin.
– Quelques heures plus tard, lavé, nourri, apparaît un cas grave,un fils unique.

Chat Bleu : les prochains

Bon, promis, on vous raconte vite ce qu’on a dit le 7 décembre…

Mais déjà, voilà les prochaines dates de Chat Bleu :

les jeudis, à partir de 18 h15 :
– 1er février (ben oui, on s’est dit qu’entre la rentrée tardive et le Goût des Autres, il fallait vous laisser tranquilles en janvier)
– 22 mars
– 12 avril
– 17 mai
– 7 juin.
(Là, on vous étonne hein, pour une fois, on voit loin…! )

N° 47 à Allia

La Pièce Unique n° 47 a été faîte à partir de Contre Télérama d’Eric Chauvier, publié aux éditions Allia en 2011. Eric Chauvier, né en 1971, a principalement publié chez cet éditeur. De lui, nous avions aimé :
Anthropologie en 2006 : entre « récit » et « étude sociologique » sur une jeune Rom ,
Que du bonheur en 2009 sur cette expression sans pensée.

Contre Télérama part, lui, du mépris de cet hebdo pour la « vie périurbaine » et fonctionne par mots clefs – le premier étant «  clefs » justement – qui entraînent une petite histoire ou une réflexion.

Les livres d’Allia sont très divers : textes anciens méconnus, récits, documents, essais ; très beaux, papier crème, , couverture douce à la main et avec rabat, petit format, plutôt plaquettes souvent. Etonnants aussi : ils n’aident pas vraiment le lecteur par leur quatrième de couverture (celle de Contre Télérama… :  » Y’en a vraiment qui sont jamais contents. »…). Contre-exemple, notre dernier achat : de Bill Cardoso : KO à la 8e reprise : sa quatrième reprend une page entière du livre.
Chez Allia, nous avons beaucoup aimé par exemple ce Bégout sur Las Vegas, Le bateau usine de Takiji Kobayashi ou Interrogatoires de Dashiell Hammet.
C’est à eux qu’on va (r)envoyer le Chauvier.

Exemples de Poèmes express venus de Contre Télérama :
– Entendu une histoire, en plein hypermarché, une nuit.
– Un tramway sortant d’un bois, marronniers extasiés.
– Bars d’échanges de souffle.
– Les pavillons sont poussière d’intimité.
– Notre fatigue n’arrête rien. Nous avons accès au gris et ne connaissons pas de fiction.
– Au milieu du 
patatoïde, quelqu’un apparaît : contours et métaphysique.

N° 46 : à l’œil ébloui

La Pièce Unique n° 46, 3 livres en 1, a été composée à partir de B17-G de Pierre Bergounioux, paru une première fois en 2001 et réédité par les éditions Argol avec une postface de Pierre Michon.
Pierre Bergounioux, né en 1949, écrivain et sculpteur, a enseigné dans une école d’art.

B17-G est un récit de combat aérien pendant la guerre de 39-45, récit né d’une terrible prouesse technique : en même temps que le mitrailleur allemand tire, il filme.  Une trace reste de ces corps et carlingue déchiquetés. Assassinat / hommage. Très belle prose pour dire la mort cueillie en plein ciel de jeunes Américains, trop jeunes pour avoir une histoire. Un petit livre par son nombre de pages, immense par son intensité.

Voilà quelques uns des Poèmes express nés de B17-G :
Les mots ont une réalité. Un chasseur, c’est pour abattre.
– La mer brûlait d’en découdre avant de boiter un peu.
– Goût acidulé de maisons en bois peint, de tapis aux teintes douces.
– Le soir du drame, la robe de flammes cherche la forme ultime.
– Le dossier du personnel voit le monde par à coups ; ses souffrances ne le concernent plus.
– Sa voix, la voix de qui en haut appelle, crie le réel.

On envoie ce « 3 en 1 » à Thierry Bodin-Hullin, créateur en 2013, à Nantes, des éditions de L’Oeil ébloui : notre voisin à L’Autre Livre, ce week-end. Il publie un ou deux livres par an, courts romans ou poésie. Ses dernières publications sont Les questions innocentes  de Gilles Baudry, moine-poète :
«  Qu’est le temps
s’il n’efface rien
et recouvre tout ? »

Et Lumière brûlée  de Franck Cottet. Illustrations de Lara Cottet

 

Retour de salon

Ce week-end, c’était L’Autre Livre aux Blancs Manteaux. Rendez-vous de novembre incontournable quand on aime les livres, tous les livres, pas seulement ceux mis en avant par les journaux, les prix, les libraires et la publicité. Rencontre avec de nombreuses maisons d’éditions de moyenne ou petite tailles, pleines d’idées, d’envies et de talents. Retrouvailles avec des lecteurs, compliments pour la qualité de la maquette, pour les textes. Echanges. Liens. Parallèles :
L’écrivain Georges Perros ayant subi une laryngectomie, a utilisé une « ardoise magique » pour continuer à communiquer et les éditions L’Oeil ébloui ont réédité ce texte paru en 1978 chez Gallimard. Le Gio de Françoise Truffaut a, lui, continué à « gueuler » avec des petits papiers…et Rue du Départ a voulu en parler. Est-ce un hasard? Evidemment non ! Quoi de pire quand on est un homme de mots que de ne plus pouvoir s’en servir ? Quoi de plus juste, quand on est écrivain – ou éditeur -, que de vouloir parler de cette hantise ?

Nouveauté quoi !

Envie de voyager et pas les moyens : Temps de pause

Vous n’avez rien suivi de cet été ? Temps de pause