Un Diego Marani : P U N° 125

Diego Marani :  Nouvelle grammaire finnoise. Paru en 2000 à Milan, ce livre a été traduit en 2003 chez Payot et Rivages. On ne trouve, semble-t-il, qu’un autre roman de cet écrivain en français.

 

On est en 1943, entre Trieste et Helsinki. Un homme, gravement blessé, a perdu la mémoire. Un médecin l’envoie en Finlande sur la foi d’indices qui se révèleront erronés. Il apprend le finnois, cherche son identité.

 

 

Voilà quelques Poèmes Express qui en sont issus :
– Rencontrer un fonctionnaire, le prendre sur la jetée. Deviner son embarras.
– Des phrases toutes faites, il ne restait que l’air. Rien.
Moi aussi je suis allé jouer tout près des harengs en cuir
brillant. 
– Quelques soldats commençaient à se 
décomposer sans s’occuper des infirmières.
– Quand leur fils meurt, ils restent assis sur le mort.
– Des odeurs séchées sur le bord de la tasse et une envie de vomir.
– Un jour pour faire la guerre, sa vie pour en parler.

 

Cette Nouvelle grammaire … est envoyée à Pierre Mabille, peintre, auteur d’un Antidictionnaire .
( Antidictionnaire des couleurs
, éditions Unes, 2020 : beau et drôle )

Un Milan Kundera : P U N° 124

La lenteur de Milan Kundera est la Pièce Unique N° 124. Paru en 1995, c’est son premier livre écrit directement en français.
Et mon deuxième Kundera.
Il y a très longtemps, avant que ça ne devienne un sport (inter)national, dans je ne sais plus quel texte, je l’avais trouvé sexiste.
Ce livre ne me fait pas changer d’avis.
Sans doute peut-on le voir autrement : la postface parle d’humour. Véra, vraie épouse de l’écrivain, et personnage du livre, dit à l’auteur-narrateur : P 110 : « Tu m’as souvent dit vouloir écrire un roman où aucun mot ne serait sérieux. Une Grande Bêtise Pour Ton Plaisir. ». Oui, c’est sûr, c’est une farce. Oui, il parle très bien, sur ce mode, de l’ego des intellectuels. Mais, sur les rapports homme/femme, c’est du lourd : la femme est juste orifices à pénétrer, vite fait, sans préliminaires. Oui, c’est une farce, l’homme n’y arrive pas… mdr

 

Poèmes Express qui en sont issus :
Le manque d’inspiration n’est pas une barrière. Le con nomme tout.
– C’est là le temps : un lendemain entre dans le souvenir.
– La certitude d’être sa propre parodie.
– Un danseur étudiant son art sait faire un geste, parie qu’il en a d’autres.
– Les sans visages pourraient plaire à un invisible.

– La scène finale préfère faire semblant de comprendre le sens de la suite.
– Etre puis déposer sa vie dans un vieux.

La Pièce Unique N° 124 sera envoyée à Anouk Langaney,
auteure de polars (mais pas que)
qui manie l’humour
et qui, en tant que femme,
me dira si j’en manque vis-à-vis de Kundera …

 

Faux Chat Bleu 1 / 3

On ne peut pas bouger, alors on lit !
Et on part avec
 – Andrzej StasiukMon bourricot , juste paru aux éditions Actes Sud, traduit par Charles Zaremba. Stasiuk est un voyageur, surtout pas un touriste. S’ii  s’arrête à la Mer d’Aral, ce n’est que pour prendre de l’argent à un distributeur.
Il part mais ne croit pas plus que ça au voyage (p. 34) : « … l’endroit où est née l’utopie de la steppe. Ça marche comme ça : on s’imagine diverses choses et on a l’impression qu’on va en trouver ne seraient-ce que des traces. (…), c’est dans sa tête qu’on roule de toute façon. On pourrait tout aussi bien rester à la maison. »
Il retourne à l’est, là où il n’y a presque rien à voir mais où il peut ressentir quelque chose. (P. 145) : «  J’aimais regarder l’Europe se transformer en Asie. J’éprouvais une sorte de satisfaction mauvaise en constatant qu’elle se terminait quelque part. Qu’il y avait tous ces chameaux errants, les mouches, la crasse. (…) Mais dans le désert au moins, j’éprouvais une sorte d’angoisse, alors qu’en Italie, je n’avais rien senti. » L’Europe, en plus de l’ennuyer, le débecte : (P. 75) : « Là-bas, les gens meurent. Le Donbass est en feu, l’Ukraine est en sang, et l’Europe « exprime son inquiétude ». De manquer d’eau chaude. »
Stasiuk est à lire, tout Stasiuk, ses récits comme ses « romans ».

– Anthony PoiraudeauProjet El Pocero – dans une ville-fantôme de la crise espagnole, reparu tout récemment dans la collection Barnum des éditions Inculte. Ce voyage est aussi anti-touristique que celui de Stasiuk. Avec A. Poiraudeau également, le voyage est déceptif, on le sait ( lire le magnifique Churchill Manitoba) et c’est ce qui est drôle. Et politique . Ici, nous nous retrouvons dans une ville-champignon, édifiée entre 2003 et 2008, presque mort-née. C’est une rando dans un lieu moche, un scandale immobilier ( P 17) : « La folie édificatrice de cette époque a fait naître des agglomérations entières à l’écart de toute ville préexistante ou de tout site attractif, sans aucune considération territoriale et environnementale. ».  Il fait chaud. C’est vide, ridicule et  symptômatique de la malhonnêteté de ce promoteur et de l’économie.

– Joanes Nielsen : le roman Les collectionneurs d’images aux éditions La Peuplade (2021) traduit par Ines Jorgensen nous emmène à Torshavn, la capitale des îles Féroé, des années 1950 à 2000. Et c’est dépaysant.  On comprend toute une société à travers la vie de 5 jeunes :  la place du religieux – on se sent au tout début dans un film de Dreyer : un moment très beau et fort -, du politique, du social. Les îles dépendent du Danemark et certains souhaitent l’indépendance. Les enfants sont de différents milieux : des pêcheurs aux entrepreneurs. L’inceste existe et pose peut-être moins problème que l’homosexualité. C’est le premier livre traduit en français de Joanes Nielsen qui devrait… si tout va bien… venir au festival Les Boréales en novembre 2021. On croise les doigts.

Sonia Anton et la P U N° 122 :

« J’aime beaucoup beaucoup mon cadeau, je l’appelle ainsi. J’adore Danube et j’aime les Folio. En général, j’adore les paperolles, les bouts de papier collés, les coupures de journaux. Le papier, les ciseaux, la colle. J’aime beaucoup les dispositifs (une date, une citation, le stabilo). J’adore voir se mélanger des écritures manuscrites, dactylo, couleurs. Il y a là un autre livre à lire, que vous avez construit à partir du premier.. C’est le principe du livre ouvert aux possibles dont parle Eco. C’est faire du beau avec le livre, j’aime beaucoup le livre comme objet.
C’est un livre unique, comme les livres pauvres. J’adore l’idée du livre pauvre. Enfin, c’est un objet que vous m’avez donné, pour moi. En art, en général, j’aime beaucoup la notion (rare) de don. Le Je te donne. »

 

Hélène Gaudy et la P U N° 65

Mis en avant

Hélène Gaudy, l’auteure de ce magnifique livre, entre autres :
Il y a deux ou trois ans, sans doute un peu avant le festival Lettres d’automne de Montauban dont Christian Garcin assurait la programmation, j’ai reçu par la poste ce livre qu’il a écrit avec Éric Faye. Il était couvert du papier qu’on voit sur la photo, abondamment annoté, émaillé de collages, et surtout, sur plusieurs pages, de mots surlignés en jaune qui venaient y tracer des poèmes. Je n’ai aucune idée de l’identité de la personne qui en a fait un objet unique et me l’a envoyé. En rangeant mon bureau, je suis retombée dessus et me suis demandé si ce mystérieux expéditeur ne serait pas tout simplement sur Facebook… MP dans ce cas pour lever le mystère ? Sinon, il restera entier et ce sera bien aussi…
  • Le mystère est donc levé ! Merci à C H B pour ce geste poétique. Je découvre, du coup, le site des éditions Rue du Départ et cette pratique qui me ravit : envoyer des livres choisis, de manière anonyme, après en avoir fait, ainsi, des P U, des pièces uniques. Très heureuse d’avoir l’une d’entre elles dans ma bibliothèque !

    C H B : tu as le n° 65, on en est au 123. L’idée est aussi de réussir, si possible, à envoyer le livre qui correspond bien au récepteur.

     

Charles Recoursé à propos de la P U N° 121

Charles, date d’envoi : Aujourd’hui, à 13:34
Chère Catherine, Pardon de ne pas vous avoir répondu plus tôt. J’ai enfin pris le temps de me plonger dans votre Pièce Unique, au lieu de simplement la feuilleter, et plus que de m’intéresser, l’exercice m’a réellement touché. Le dispositif s’efface vite au profit de trouvailles touchantes, amusantes ou arrêtantes. Si au début votre démarche m’a un peu fait penser à l’expérience Tree of Codes de Jonathan Safran Foer, elle s’en est bientôt émancipée pour trouver son existence propre, contextuelle, fragile mais très réelle.

Un Nicolas Bokov : P U N° 123

La Pièce Unique N° 123 est le court roman La tête de Lénine de l’auteur russe Nicolas Bokov (1945-2019). C’est un texte irrévérencieux, très drôle, paru d’abord en samizdat en URSS, publié une première fois en français en supplément de La quinzaine littéraire, et trouvable maintenant chez Libretto, traduit par Claude Ligny.
Un récit déjanté, de l’humour en pleine période communiste. On assiste entre autres à « un forum de Lénines » d’ « un millier de personnes » où le personnage principal porte le n° 666…
On peut écouter Nicolas Bokov interviewé par Jean Lebrun sur France Inter en 2017. On entend son français parfait et sa vie plus qu’étonnante : dissident, émigré, pèlerin, s d f, « homme de caverne » (celle où il a vécu puis celle qu’il a créée : sa maison d’édition)

Quelques Poèmes Express qui en viennent :
Au plus vite, coucher le saint au lit et s’y tortiller.
– Se moquer de l’existentialisme français qui avait tenté d’aborder un garde-pêche.
– J’avais le coeur public ; il en va tout autrement aujourd’hui.
– Bouleverser un regard, s’ouvrir à un gros d’âge mûr.
– Les quatre coins dormaient chez toi, confortablement derrière la tenture.

– Vérification d’un champ enneigé. Excitation à l’hôpital.
– Les autres, là, on en a autant qu’on en veut.

 

Ce N° 123 est envoyé à l’auteur Pierre Barrault qui, dans ses écrits, comme dans ses dessins, manie l’absurde le plus réjouissant ! De lui, chez Quidam, on peut trouver Catastrophes, sa 4ème publication.

 

 

 

Claudio Magris : Danube 2)

Autres Poèmes Express venus de Danube de Claudio Magris :

Plus loin coule un petit soleil couchant, se taille un grand général.
– Courbes des moines, rotondité du curé.
– Au moment de sa mort, elle était tombée d’un livre.
– Eternellement pharaon, l’opiniâtre enraciné dans son musée.
– L’histoire décide, se nourrit de mites et de destins.
– Un opéra a de tragique la couleur de la poussière.
– La révolution fait le vide dans nos enfants.
– Il y a quelques années l’éternité a eu tort de s’en aller.
– Les éléphants s’envoient des torgnoles et moi, je me demande où je suis.
– Les enfants boivent les femmes. C’est l’abandon total à l’écoulement sans fin.

Cette Pièce Unique est destinée à une spécialiste de « géographie littéraire » qui travaille sur un autre fleuve, la Seine : Sonia Anton, maître de conférence à l’Université du Havre, membre du GRIC (Groupe de Recherche Identité et Culture).
Elle est l’auteure, entre autres, d’une cartographie littéraire du Havre et de Promenade littéraire au fil de la Seine.

Un Claudio Magris : P U N° 122

Danube de Claudio Magris, paru en Italie en 1986 et en France deux ans plus tard est la Pièce Unique N° 122. En 1990, prix du meilleur livre étranger, cet essai nous emmène de la source (ou plutôt des sources) de ce fleuve au delta. Magris se fait géographe, historien des territoires parcourus et de la littérature. Il y a alors encore deux parties d’ Europe, pas encore de guerre en Yougoslavie. Et le livre montre bien, à travers les différents peuples venus et installés là, combien toute paix est précaire, voire impossible.

Poèmes Express qui en sont issus :
Quelque chose dans les livres d’enfance était du temps pur, refermé sur soi.
– Les flâneurs se plaisent, toutefois ne parviennent à rien.
– La vie enseigne l’art militaire de la séduction, et l’amour quelquefois.
– Portraits de famille dessinés par les siècles, clapotis absolus.
– Dans le nez, l’air. Dans les pantalons, architecte, savant, imprimeur et restaurateur.
– Les ruines racontent, la barbarie regarde, la frontière domine.

Le livre est si épais – la Pièce Unique  a été commencée mi-juin 2020 – que beaucoup de Poèmes Express paraissent « possibles / sympathiques ». De ce fait, on y reviendra dans un prochain post.

Un Orwell : P U N° 121

La ferme des animaux, de George Orwell (1945), dans la traduction de Jean Quéval, est la Pièce Unique N° 121. Depuis, sont sorties deux autres traductions, dont la toute nouvelle de Charles Recoursé.
Dans cette oeuvre bourrée d’humour – et qui rend triste en même temps -, Orwell transcrit, en fabuliste du XXème siècle, l’histoire politique humaine dans la vie animale. Les cochons remplacent les hommes, et on assiste à toutes les étapes du socialisme soviétique : rejet d’un des chefs,  manifestations orchestrées, famine, mauvaise rétribution des masses, richesse des élites, mensonge institutionnel, passé revisité, alliance avec le « méchant ».

Voilà quelques Poèmes Express :
– Les paroles se perdent et l’homme se pend.
La boule de neige future ne venait à l’esprit de personne.
– A bout d’instants, il n’y avait plus de vestiges.
– Le soir lui faisait mal les premiers temps.
– Remettre les mains des hommes, s’occuper de la conversation.
– Dossiers jetés au feu et flou des souvenirs, tout allait mieux désormais.
– Monde émoussé : les vieux avaient l’air perdus.

Ce livre – 3 en 1 – sera envoyé à Charles Recoursé qui se demandera sans doute ce qui lui arrive…