Un Robert Walser : Pièce Unique N° 196

Retour dans la neige de Robert Walser (1878-1956), éditions Zoé, traduction de Golnaz Houchidar :
ensemble de 25 textes écrits entre 1899 et 1920,
d’abord publiés en revues, en Allemagne ou en Suisse alémanique : courtes fictions, et proses descriptives de paysages, de villages, le plus souvent.
ex : extrait P 85 de Le Greifensee (1899) : « …; c’est un doux silence bleu et chaud et c’est le matin ; un beau, beau matin. Je ne trouve pas de mots et pourtant il me semble que j’emploie déjà trop de mots. Je ne sais pas de quoi parler, car tout est si beau, se trouve là seulement pour la beauté. Le soleil embrase le ciel jusqu’au lac qui devient à son tour soleil dans lequel les ombres somnolentes de la vie alentour se bercent doucement. Rien ne dérange, tout sourit, si près, mais aussi dans le lointain le plus vague ;… »

Quelques Poèmes Express issus de Retour dans la neige :
– Me faire enfant quelques jours pour interpréter journaux et revues.
– Celui qui comprend toute cette pauvre terre pleure.
– Vous veillez, présence dans un brouillard épais.
– Les dames doivent. Les femmes doivent. On attend d’une femme.
– Il pleut toujours et on a vu quelque chose de triste.
– De bruyantes statues ont un langage de fureur.
– Je traversai des beautés, une sensation de beau à mourir.

Cette Pièce Unique est envoyée à Cécile C,
libraire à Lyon,
qui a accepté d’en recevoir une.

 

Hemley Boum

Hemley Boum : un nom étonnant, amusant, éclatant, un nom que je n’avais jamais entendu avant le 27 décembre 2023. A l’émission Cultures monde sur France Culture, elle parlait de son livre, alors à paraître chez Gallimard : Le rêve du pêcheur, et ça ouvrait des pans entiers d’inconnu pour moi : sur le Cameroun, sur l’indépendance et ses suites.
Hemley Boum a fait des études d’anthropologie et… de commerce international, ce qui lui permet d’évoquer, dans Le rêve du pécheur comme dans d’autres livres, les problèmes liés à l’internationalisation des ressources, à la manière d’en profiter .

Vient de sortir en Folio : Les jours viennent et passent, de 2019, prix Ahmadou Kourouma 2020. Histoire de mères et filles entre Europe et Cameroun, évocation des années 70 et de maintenant, avec la secte Boko-Haram.
Boko-Haram que je ne situais pas dans ce pays mais au Tchad, Niger et Nigéria. Sauf que tout vient des frontières, posées n’importe comment par les colonisateurs. Ces pays sont limitrophes et la secte joue de l’éloignement des zones où elle agit, avec les lieux de pouvoir et de la misère dans laquelle on laisse ces populations.
Plus que déprimante, comme toujours, la vie des femmes dans ces circonstances. Doublement victimes des « souillures » que les hommes leur infligent. Même principe qu’en Ukraine (cf Sofia Oksanen), on s’attaque violemment, sexuellement, aux femmes des combattants
qui les tuent
quand on les relâche …
Les femmes que la secte envoie en avant pendant les attaques, habillées en treillis, ou chargées d’une bombe qu’un homme, de loin, fait exploser…

Je sais, j’y reviens toujours, c’est lassant.
Oui, c’est lassant que les femmes paient toujours les pots cassés par les hommes. Que, par exemple, elles mettent des enfants au monde dans des circonstances atroces en ce moment dans la bande de Gaza, qu’elles soient éternellement victimes de leur mari ou plus généralement de la gent masculine en Afghanistan, en Iran etc… C’est vrai, c’est lassant !

Mais je le défends mal, ne croyez pas que ce livre soit plombant. Si j’en extrais, moi, ce qui me turlupine, il a d’autres aspects.
D’ailleurs, il nous offre une référence : V.Y. Mudimbe, son deuxième roman de 1976 : Le bel immonde que Hemley Boum rapproche de A la courbe du fleuve de V.S. Naipaul (que j’avais beaucoup aimé).

 

Vider les lieux – Olivier Rolin – 2ème :

On trouve de tout chez … Olivier Rolin :
des mots qu’on ne comprend pas : « les livres madréporiques » et qu’on est toujours pas très sûre de comprendre même quand on a trouvé la définition…
des listes de livres, à lire en voyage dans leur pays d’origine, ou pas :
– Vie d’Arseniev de Bounine ((1927)
– Djann de Platonov (1935)
– Heros et tombes de Sabato (1961) (que j’ai dû lire sous le titre d’Alejandra)
– Atlas d’un homme inquiet de Christoph Ransmayr
–  Frêle bruit de Leiris (1976)
– Livres en feu de Lucien X. Polastron
mais aussi des impressions de gémellité :
par tout ce qu’il conserve : P. 64 : « ce travers archiviste c’est une volonté de s’assurer qu’on a bien existé. Il arrive qu’on en doute. »  ou P. 66 : « Il y a tout le reste, empilé dans des placards, symptôme d’une crainte maladive des administrations (…) On a gardé tout ça parce qu’on est si ridiculement inhabile à comprendre ces tracasseries qu’on craint à tout moment d’être pris en faute, sommé sans préavis de fournir des preuves de sa bonne foi. »
par l’importance donnée aux livres : P 120 :  » « manipuler des objets de culture », feuilleter, classer des livres, dit Leiris dans Frêle bruit , répond à l’espoir, d’essence alchimique, que quelque chose du savoir et de l’art qu’ils enferment passera en nous, « par sympathie » « 
par l’idée, P 54,  qu’ « En chaque objet sont enchâssés des lieux, des visages, du temps passé. (…) Un espace aussi clos qu’un appartement enferme une multitude de lieux du monde, de moments de nos vies … »

Bon, mais lui, il aime l’avion et a énormément voyagé.
Voyagé dans des pays qui m’ont attirée mais que je n’ai vu qu’à travers … encore …, des livres… La Russie ou l’ex-URSS : fabuleuse description de chambre d’hôtel ( P 116-117 ) et analyse : « Je crois que cette laideur, ce défaut répandus dans les choses et certains êtres font partie d’une esthétique générale dont le camp du Goulag était le centre obscur. Elles font partie d’un immense travail de domestication du peuple – d’apprentissage de la résignation – dont la terreur était la forme la plus violente, mais l’habitude du moche et de l’insuffisant une autre composante, plus insidieuse et omniprésente. (…) Aucun pays n’a mieux maîtrisé l’art de la destruction de l’âme de ses citoyens que la Russie » : écrit Brodsky. » (c’est moi qui souligne – parce que le beau aide)

Bref, lisez Vider les lieux, c’est plutôt beau, vous l’aurez compris.
Mais vient de sortir Jusqu’à ce que mort s’en suive, du même Rolin et il y a tous ceux d’avant.

Vider les lieux

… quand on a sans doute bientôt à le faire , lire un livre qui dit « Vider les lieux »… d’un auteur aussi « Tsundoku » que vous, ou même « pire » : P 121 : «  une bibliothèque contient beaucoup de livres qu’on n’a pas encore lus, mais dont on pense pourtant qu’ils nous intéresseraient, c’est aussi tout à la fois une matérialisation de l’insaisissable avenir et un mémento mori (…) L’avenir est là devant moi, ouvert, tangible sous ma main. Il ne se compte pas seulement en mois, en années, mais en pages. Et en même temps, je sais que la mort me saisira avant que j’aie épuisé toutes les beautés qui m’attendent, rangées sur ces planches. Si j’avais quelques centaines de livres, passe encore. Mais quelques milliers… L’avenir est là, fermé. »

L’art dans la ville de demain – Le Havre –

Hier avait lieu la deuxième édition de Métamorphoses, au Fitz, présenté par le directeur artistique d’Un été au Havre, Gaël Charbaud.
L’occasion
–   de faire, auparavant, un point sur l’année précédente  (cf 76 Actu du 20 janvier) :
GC :  » On a fait une très bonne année [NDLR : 760 000 visiteurs selon l’estimation d’Orange]. L’œuvre qui reste aujourd’hui et qui est unanimement appréciée est celle d’Isabelle Cornaro à la gare avec les vitraux hommage à Saint-Joseph. J’en entends parler même en dehors du Havre. J’ai eu aussi beaucoup de retours sur l’intervention de Mathieu Mercier sur l’hôtel de ville, à la fois très simple et en même temps qui a suscité beaucoup de prises de parole. J’ai été étonné par le nombre de gens qui ont participé à cette œuvre. Pour récupérer la maquette, il fallait inventer des mots et on a des centaines et des centaines de fiches. »

  • de se poser les bonnes questions sur cette ville moyenne mais port international à travers l’intervention de Max Yvetot, directeur général de l’AURH (Agence d’urbanisme Le Havre Estuaire de la Seine) qui couvre la zone de Cabourg à Dieppe
  • d’annoncer une des pièces de 2024 :
    Marc Vatinel et Dorothée Navarre, membres du collectif Les Gens des Lieux parlent des interventions précédentes de leur asso d’architectes, urbanistes, paysagistes et dévoilent la suite : un jardin éphémère, comme toutes leurs actions, sur le parking silo des Docks Vauban. Leur but est de faire « voir  autrement, de déplacer le regard, donner accès à des sites ».
    La rencontre se poursuivait l’après-midi mais il était impossible d’y retourner, c’était full !

Finlande et Boréales 2024

–  Message du Festival Les Boréales ce 30 janvier :
« Déjà 9 auteurs finlandais confirmés pour la 32e édition du festival Les Boréales en novembre 2024 !
Sofi Oksanen, Petra Rautiainen, Niillas Holmberg, Pirkko Saisio, Maria Turtschaninoff, Jukka Viikilä, Pajtim Statovci, Satu Ramö et Arttu Tuominen !
Merci au Fili et aux autorités finlandaises pour leur soutien.
Merci aux traducteurs et éditeurs français sans lesquels ces textes ne pourraient rencontrer les lecteurs. »
  • Par ailleurs :
    La Finlande doit élire son président pour 6 ans. Premier tour, le 28 janvier, second tour le 11 février.
    Le président sortant, non rééligible après deux mandats, Sauli Niinistö, a supervisé l’adhésion de son pays à l’OTAN en 2023 pour des raisons de « sécurité » du fait des 1340 km de frontières communes avec la Russie, de la tentative de déstabilisation par un afflux massif de migrants. Les postes frontières sont fermés entre les deux pays, depuis le 30 novembre jusqu’au 11 février au moins.
    Au deuxième tour des élections, Alexander Stubb, ancien premier ministre, du même parti (NCP) que S. Niinistö, se retrouve face à Pekka Haavisto, ancien ministre des affaires étrangères, du Parti Vert.

Les Boréales  programmées du 21 au 30 novembre 2024 seront donc complètement littéraires et politiques, s’inscriront dans le vortex mondial – élections en Finlande, en Russie, aux USA, de l’U E,  guerres et « opérations spéciales »…
Avant même les Boréales, ne manquez pas l’essai de Sofi Oksanen : Deux fois dans le même fleuve – La guerre de Poutine contre les femmes, éditions Stock 2023 !

Francis Nachbar à la Maison de l’avocat

Hier soir, un procureur en retraite présentait son livre au Havre :
Un livre sur l’affaire Fourniret.
Francis Nachbar a travaillé il y a vingt ans sur cette affaire.
Il en est encore empli.
Il a, à l’époque, agi un peu à la marge de sa fonction,
et a pu avoir à en subir les conséquences dans sa carrière.
Il dit avoir pu avancer dans cette affaire
grâce à la police de Belgique,
au fonctionnement de la justice en Belgique.
Son principal combat a été de retrouver les corps des victimes,
de les rendre à leurs familles.
Investi et plein d’empathie,
c’est un homme sans langue de bois,
avec une haute idée de ce que doit être et faire la justice,
qui parlait hier soir à la Maison de l’avocat.

Même si vous n’êtes pas branchés faits divers,
mais que le polar vous intéresse,
allez voir !

Les Vivants -2)

Aux Vivants, on a évoqué :
– Ceux qui appartiennent au jour d‘ Emma Doude Van Troostwijk que plusieurs d’entre nous connaissent puisqu’elle a fait le master de création littéraire du Havre et a proposé des ateliers d’écriture d’une part et des scènes ouvertes, chez Lili, d’autre part. Emma a à peine 24 ans et son premier livre vient de paraître aux éditions de Minuit. Nous sommes dans une famille de pasteurs. Les mots importent et Emma Doude les prend dans ses deux langues, le français et le néerlandais. Certaines expressions sont traduites de l’une à l’autre langue, montrant toute la poésie de chacune. D’autres restent dans leur originalité, blocs de sons, beaux en eux-mêmes.
Elle, comme Emmanuelle Tornero, autre ex-étudiante du master, qui voit sortir son premier roman, Une femme entre dans le champ, chez Zoé (janvier 2024), travaillent par petits paragraphes. Chez Emmanuelle Tornero, il est question d’une femme devenue mère.
Toutes deux, invitées au festival Le goût des autres, hier soir, lisaient des extraits de leurs textes à la médiathèque Oscar Niemeyer. Elles ont par ailleurs déjà eu droit à une belle couverture critique : une émission chez Marie Richeux, sur France Culture, un article dans Le Monde, dans Télérama, dans En attendant Nadeau….
Mais il n’y a pas que les livres tout juste sortis :
des rééditions viennent redonner vie à des auteurs injustement oubliés : Bernard Clavel : L’Espagnol. Sorti en 1959, Albin Michel le fait reparaître. Pendant la 2nde guerre mondiale, un Espagnol arrive dans le Jura. « Un très beau personnage, de très belles descriptions de la terre, des paysages » dit V.
Et puis d’autres :
– La comtesse de Ricotta de Milena Agus, éditions Liana Levi, traduit par Françoise Brun. Nous sommes à Cagliari où vivent trois soeurs. Leur famille a été riche, ce n’est plus le cas. Elles vivent bien dans un palazzo, mais délabré. Elles sont très différentes. Le livre est léger, les personnages pleins de fantaisie.
– Les trois lumières de Claire Keegan, traduit en 2011 par Jacqueline Odin pour Sabine Wespieser. M.H l’a lu en anglais Son titre est alors Foster. « De belles descriptions de la nature. Frais, doux. »
– Corps et âmes de Frank Conroy, chez Gallimard puis en Folio, traduction de Nadia Akrouf. Le personnage EST la musique.

En essais, il a été question de trois ouvrages que l’on peut lire comme des dictionnaires, par articles, au gré de ses envies :
–  Courir, méditations physiques du philosophe Guillaume Le Blanc, en collection Champ Flammarion, 2012.
– Sur les routes du jazz d’André Manoukian, Harper Collins poche 2023 : on peut y apprendre par exemple le lien entre le quadrille et le jazz.
– Mères-filles une relation à trois de Catherine Eliatcheff et Nathalie Heinich, en livre de poche ( 2003 ) : un essai sociologique en sept parties qui prend ses exemples dans le cinéma et la littérature.
Enfin, Les ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli, trouvable en Folio. Une analyse de la politique et Internet. Comment elle est fagocitée par les trolls, les réseaux sociaux, comment on se sert des ressentiments.

L’un d’entre nous a, à la suite de cela, parlé de la situation actuelle dans l’Argentine de Milei où les deux ministères, de la culture et de la femme, ont disparu.
Une autre a mis cela en parallèle avec l’essai de Sofi Oksanen, super documenté et effrayant, éditions Stock 2023. Mais on y reviendra sans doute ; ce livre est trop important.

Prochaine réunion à Les Vivants prévue le jeudi 22 février à 18 h

Les Vivants – 1)

Nous étions à Les Vivants, un joli endroit, 64 rue Paul Doumer au Havre, pour la première fois hier, et c’était très très sympathique !

Sébastien nous a présenté la philosophie du lieu :
Les Vivants, c’est une librairie, une cave et un bar à vins, et c’est ouvert depuis mi-septembre 2023.
– Le côté livres est spécialisé dans
des essais sur l’écologie au sens large, la question sociale, le féminisme (NON, ce n’est pas un gros mot). et
en fiction , la littérature européenne, nordique, israélienne avec de très bonnes maisons d’édition indépendante moins médiatisées mais tout aussi intéressantes. Exemple : Le Typhon, installées à Marseille, hyper travaillées autant au niveau de la qualité des textes que de leur esthétique.
– la cave à vins : des vins naturels, des vins en bio-dynamie avec des vignerons qui travaillent souvent aussi d’autres produits que la vigne, avec des méthodes ancestrales, très peu de sulfites ajoutés.

Pour cette première fois d’Un vin, des livres dans son lieu, Sébastien nous a proposé des vins de Gaillac, dans le Tarn. En blanc, un cépage mauzac, très fruité, et léger. En rouge, un vin tout aussi léger (12°) et très travaillé dans le fruit. Ils étaient accompagnés de produits venant de deux magasins de la même rue : l’épicerie italienne et le fromager.

On vous parle des livres évoqués dans un prochain post.

un retour sympathique

Merci à Caroline qui a posté sur les réseaux !

Pour ceux qui ne connaissent pas : les bâtons de Cadéré… Cherchez le lien et vous trouverez !