Plutôt contente du Autour des livres du 16 avril, dans Viva Culture, sur Ouest Track Radio… Contente du retour positif et d’avoir, peut-être, soyons fous, réussi à donner envie de (re)lire Huysmans. Alors, j’en rajoute,
et pointe des rapprochements avec deux auteurs du noir : Jérôme Leroy et Hugues Pagan.
Vous voulez en savoir plus ?
C’est à 11h, dimanche 30 avril, ou en podcast ensuite sur Ouest Track radio
Cette fois, nous avions le choix entre
un blanc : bio, du pays d’Oc, un Chardonnay -Viognier de chez Mélanie Alexandre B : « L’accord blanc »
et un rouge : un Saumur Champigny : « Le clos des cordeliers » à la belle étiquette dessinée par la graphiste Sarah Boris – venue à une Saison Graphique du Havre. (image ci-contre)
Ils accompagnaient : – Nein Nein Nein – La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, de Jerry Stahl, Rivages-Payot 2023. Traduit par Morgane Saysana
Un livre horriblement drôle par un homme magnifiquement dépressif… Cet Américain, auteur de romans, de scénarios de séries, écrit là un texte auto-fictif : sa venue, en voyage organisé, dans l’Europe des camps. Il est entouré entre autres d’un couple de Texans, d’un couple gay, d’un nonagénaire juif né en Allemagne, jamais revenu jusque là et de guides un peu psychorigides. Il visite les camps de la mort avec des centaines de « touristes », rend compte de conversations sidérantes, d’ambiances de centres commerciaux.
– Vie de Gérard Fulmar de Jean Echenoz, éd. Minuit, 2020 : tout aussi drôle, mais comme l’est, chaque fois, un roman d’Echenoz – sur qui on peut trouver désormais un Cahier de L’Herne -. Un travail sur la langue – ex : « issu d’assez nulle part » ou encore « en provenance de pas loin » – avec, pour prétexte, l’histoire d’un homme sans histoire qui, tout à coup, vit des aventures où on meurt à tour de bras. – L’empreinte d’Alex Marzano-Lesnevich, éd. Sonatine 2019, en poche en 10-18. Traduit de l’anglais (USA) par Héloïse Esquié. Un premier texte littéraire, un grand texte, qui mêle deux histoires, celle de ( la famille de) l’auteure et celle de Ricky Langley jugé par trois fois pour la mort du même petit garçon. Une interrogation sur la justice, la vérité, la responsabilité.
Iris Brey, journaliste, collabore aux Inrocks, à Mediapart, France Culture, Canal +. Elle est spécialiste de la question du genre au cinéma et dans les séries. Le regard féminin – Une révolution à l’écran est paru à l’Olivier en 2020 puis en collection Points et a obtenu le Prix de l’essai féministe du magazine Causette.
L’auteure différencie « male » et « female gaze », les façons différentes de raconter le monde à travers scénario mais aussi mise en scène, et dit bien que tous les hommes ne sont pas porteurs de ce « male gaze » ni toutes les femmes du « female gaze ».
Au début, un peu gênée par l’écriture inclusive, puis plus. Au début, un peu une impression de caricatural, puis plus.
Des « Poèmes Express » nés de : Le regard féminin – une révolution à l’écran :
– En premier lieu le miroir appréhende les images, considère un corps comme réfléchi. – Le « impossible », je l’entends, je le ressens. Il existe, part du corps. – Le regard n’est pas l’analyse. Nous vivons dans le regard. – Des cinéastes se focalisent sur les Cahiers du cinéma mais juste pour rire. – Au bout d’une heure de mariage, elle semblait avoir été mise dans un cercueil. – Si on reprend la définition d’héroïne, on l’imagine en marbre. – Montage de premier film : une femme masturbe une lionne qui coule d’une casserole. – Visage au creux du cou, bouche entrouverte par l’émotion, comme velours. – Une femme s’arrête devant des hommes qui regardent un homme qui ferme les yeux devant des femmes. – Les textures fondent. Les désirants demeurent. – La voiture démarre en trombe, deux visages côte à côte oscillent de droite à gauche.
La Pièce Unique N°174, trois livres en un,
est offerte à Carine Chichereau, traductrice ( d’une centaine de textes, dont de Joseph O’Connor, Lauren Groff…). Elle travaille par ailleurs à un inventaire de femmes peintres oubliées.
Si oui, c’est dans Viva Culture, dimanche 16 avril à 11 h, ou en podcast, sur Ouest Track Radio. La rubrique Autour des livres tourne autour de A rebours, cette fois. C’est court, moins de 10 minutes. On entend du Huysmans, le magnifique, l’incroyable.
Certaines avaient aussi lu
des écrits en lien avec l’art :
– La vie sans histoire de James Castle de Luc Vezin, éditions Arléa, 2023 : La vie romancée de cet Américain né sourd, jamais scolarisé, sans accès au langage qui a, pendant soixante ans, avec des papiers, des cartons, créé des autoportraits et maisons. Son travail fait partie de ce que certains appellent l’art brut ou l’art singulier. Un peu connu vers la fin de sa vie, les livres qu’il imaginait avaient disparu. On les a retrouvés cachés dans les murs après sa mort. – King Kasaï de Christophe Boltanski, éditions Stock, collection La nuit au musée, 2023. Ce livre parle de la colonisation belge, des collections d’objets rapportés du Congo : objets sacrés, sculptures, tissus, masques volés et sortis de leur contexte, de leur fonction.
– Fair-play de Tove Jansen, en livre de poche : 17 petits récits autobiographiques de cette autrice finlandaise suédophone et de sa compagne, à Helsinki et sur leur île. L’une écrit, l’autre peint.
D’autres romans en lien avec la montagne :
– L’île haute de Valentine Goby Actes Sud, 2022 : 1942, un petit garçon est envoyé à l’abri, dans une famille de paysans. Il vit dans un village coupé du monde, du danger, l’hiver, découvre l’été dans ces hauteurs. « très émouvant, très fin au niveau des sensations, de la description de la nature »
– deux romans de C F Ramuz, le « Giono vaudois » : La grande peur dans la montagne (1926) et Derborence (1934) trouvables en poche ou en Pléiade. Basés sur des histoires réelles, sur des superstitions. Un monde archaïque, rural, des peurs ancestrales et « des descriptions absolument magnifiques, une écriture poétique, une connaissance et un amour de la montagne évidents. »
D’autres romans encore, plus exotiques :
– Texaco de Patrick Chamoiseau paru en 1994 chez Gallimard : Un quartier dans les Caraïbes du temps de l’esclavage. Ce qu’ont enduré les populations face aux blancs. Une langue toute nouvelle, saluée dès que le livre est sorti. – Tous tes enfants dispersés de Beata Umubyeyi Mairesse, Franco-Rwandaise, née en 1979. Sur trois générations, des Hutus, des Tutsis, des métis, leurs difficultés à vivre entre les cultures. « Raconté par une femme, un texte fort »
– Crossroads de Jonathan Franzen, 2022, éditions de l’Olivier, traduction d’Olivier Deparis. Plus de 700 pages sur les années 1970, une famille américaine avec un père pasteur. « Une très bonne analyse des ambiguïtés et des faiblesses de chacun. »
Enfin, un essai historique de Claire du Chéné, Les sorcières, 2022, éd Michel Lafon : « tellement terrible, inimaginable : le dernière femme brûlée pour sorcellerie en France l’a été en 1856 ! «
Rappelons-le : le prochain Chat Bleu est programmé le jeudi 20 avril, 18h30
Le mystère de la malle n°1 – et autres reportages
en 10-18 dans la série « Grands Reporters » dirigée par Francis Lacassin, 1984 .
Pièce Unique N° 173.
Mélange de reportages policiers et politiques, le recueil rassemble faits divers et problèmes bientôt mondiaux. On passe d’un crime crapuleux contre des femmes en Angleterre (1934) aux manifestations et vote dans l’Allemagne de 1932 en passant par l’Italie mussolinienne (1925) et une histoire de piraterie qui impacte une entreprise de Fécamp lors de la prohibition américaine (1924). La petite et la grande histoires vues à hauteur d’homme. Le journaliste – romancier Mac Orlan, ami de Georg Grosz et admirateur d’Alfred Döblin, rend les décors et les atmosphères de ces endroits et de ces époques.
Quelques « Poèmes Express » issus de ces textes :
– Les galets sur 3 km, des inscriptions publicitaires. On vend des sorbets.
– Suivant un camarade, il eut l’idée de visiter Melun ; il parut déprimé.
– L’inquiétude se transformait en époque. Il ne reste aucune trace de force.
– Au milieu de la rue, un brouillard. Chacun regagne ses quartiers.
– Un ver sait qu’un Bouddha gonflé fait des couchers de soleil pour salle à manger.
– Un écrivain français recrée un homme en tenant peu compte de sa femme, de la quantité de littérature qu’elle contient.
– Les filles mal nourries aboutissent à des hommes gros.
– Un petit bonheur, ce n’est pas mentir à l’émotion.
Ce » Mac-Orlan-augmenté », 3-en-1, est offert à V. G., femme de droit qui tint la librairie Polis à Rouen et aime toujours autant les livres.
En 1986, à Nanterre, Patrick Declerck ouvrait la première consultation de psychanalyse destinée aux personnes sans abri. En plus d’un repas chaud, d’un comprimé ou d’une couverture, il voulait donner à ces fous de pauvreté, ces fous de solitude et d’alcool, l’écoute d’un psychothérapeute. « Pendant quinze ans de ma vie, je me suis intéressé aux clochards de Paris. Je les ai suivis dans la rue, dans le métro, les centres d’hébergement, à l’hôpital. J’ai aidé à les soigner. Je pense en avoir soulagé certains. Je sais n’en avoir guéri aucun. »
Lorsqu’Emmanuel Meirieu adapte son récit pour la scène, il le fait exister comme celui d’un explorateur des temps modernes, parti découvrir un continent oublié, abandonné… les grands fonds des sociétés humaines aux coins de nos rues.
Il fait entendre la voix des fracassés, des sans parole et sans mémoire, dans un spectacle percutant comme une gifle, mais aussi bouleversant et poétique. Les personnages viennent se raconter sans fard et sans détour : ils se confient aux spectateurs comme s’ils parlaient pour la première et la dernière fois, et érigent peu à peu un monument à la beauté de ces hommes et femmes fragiles, un hommage qui leur ressemble un peu, vaguement de travers, d’un goût parfois douteux, presque une ruine
Voilà :
ce spectacle passe en fin de semaine.
Hier, au Fitz, les deux hommes étaient interviewés par Florence Lafond.
Ils s’entendent super bien, ça saute aux yeux ; ça fait 7 ans que le spectacle existe en « trois vies,trois décors » et Declerck dit avoir été » encore plus impressionné par cette épave » aux Bouffes du Nord que par le voilier dans la halle, la première fois.
Patrick Declerck se présente en atrabiilaire dès les premiers mots, et continue :« Je suis un normal raté. La normalité m’ennuie, m‘angoisse. Ne comptez pas sur moi pour l’optimisme en général. » (…) » L’homo-sapiens est l’être le plus monstrueux , cette espèce est une horreur. Le progrès n’existe pas. Malheureusement je suis homo-sapiens » (…) « Il faut combien de Jean-Sébastien Bach pour compenser Auschwitz ? »
Et derrière cette misanthropie affichée pour la collectivité, il y a un homme qui a travaillé pour des personnes laissées pour compte, auprès des « clodos » : « pour limiter la souffrance. On aide de jour en jour, d’heure en heure, on a prolongé la vie. J’ai une profonde admiration pour eux de parvenir à survivre dans ces conditions. Ils sont une énorme leçon du vivant » (…) » Tout ça est fragilissime, précieux. Plus ça semble dérisoire, plus c’est précieux.
Les cimetières sont pleins de winners…«
Meirieu et Declerck se retrouvent sur la nécessité de » la compassion « .
Presque au moment où la Galerne invite des auteurs de polars : William Boyle, il y a une semaine, et Thomas Mullen le 5 avril, on a beaucoup parlé de lectures de policiers/thrillers/romans noirs, de pays extrêmement différents : – Out de la japonaise Natsuo Kirino. Son premier livre, sur une vingtaine, traduit en français, par Ryöji Nakamura et René de Ceccatty : des femmes travaillent de nuit en usine. L’une d’elles tue son mari, qui profite d’elle et de son salaire depuis des années. Toutes l’aident à se débarrasser du corps. Un thriller certes mais aussi de la sociologie…
– Tout n’est pas perdu de Wendy Walker, le premier roman paru en 2016 chez Sonatine de cette avocate du Connecticut. Traduction Fabrice Pointeau. Le héros-narrateur est un psychothérapeute. Si on croit qu’en supprimant le souvenir du traumatisme, tout ira bien, on fait une grosse erreur !
– La face nord du coeur de Dolorès Redondo, traduit par Anne Plantagenet. Auteure du Pays Basque Espagnol où elle a implanté une trilogie – Trilogie du Baztan, traduite par Marianne Millon – très ancrée sur les croyances, D. Redondo est, avec ce livre, passée à la Nouvelle-Orléans. Le tout est trouvable chez Folio Noir. – L’île des âmes de Piergiorgio Pulixi , traduit par Anatole Pons-Reumaux, éditions Gallmeister, 2022, se passe en Sardaigne et évoque des traditions rituelles sataniques.
– La femme du deuxième étage de Jurica Pavicic, traduction du croate d’Olivier Lannuzel, éditions Agullo, 2022 : une jeune femme tue sa belle-mère.
Que les romans noirs soient des reflets de société, qu’ils nous fassent voyager dans des temps et des lieux lointains, qu’ils nous apprennent des choses sur le monde et ses différences est évident. Pour le prouver, encore quelques noms d’auteurs français : Caryl Ferey, Hervé Le Corre, Sandrine Collette ou encore Jean-Patrick Manchette, Jérôme Leroy, Hugues Pagan…
Le prochain Chat Bleu est prévu le 20 avril, à 18h30
Autobiographie de mon père est la Pièce Unique N° 172. Ce texte est paru en 1987 et a été réédité chez Autrement en 2021, avec une postface de J.B. Pontalis : extraits : » Une lettre à un père ou une lettre à un fils ? » (…) « Ce livre aurait-il deux auteurs ou, ce que je crois plutôt, est-il un livre sans auteur ? » ( et citant Pierre Pachet : ) « La parole de mon père mort demandait à parler par moi comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. ».
Ce livre conte la vie du père, sa formation, l’exil, la judéité, la guerre, le (non) lien à la famille puis la maladie : p 195 : « Je suis pleinement présent à moi-même, mais chacune de ces présences tend à s’isoler radicalement de la précédente ; et la suivante l’effacera. Pourquoi faut-il que je ne connaisse personne qui tolère la discontinuité que j’habite ? » L’homme n’est pas aimable, porteur des préjugés de son temps et de son sexe : autorité du mari et du père, dépréciation de la femme et incommunicabilité avec les siens, bien avant d’être atteint par cette pathologie.
Pierre Pachet écrit ce défaut d’amour, répare cette non-communication après la mort du père.
De ce livre, sont sortis des « Poèmes Express » : exemples :
– Privé de la fiction un univers était évidemment hostile.
– Ce double : je l’avais fui et ne désirais pas retrouver le moi.
– Attendre d’avoir, avoir peu, avoir eu.
– Renversées, elles avaient perdu la main. Je ne sais si j’ai déjà mentionné la main.
– Entre des terrasses de café, un bain d’odeurs.
– Puisqu’il faut passer d’un système à un autre, on se fait double.
– N’avancer qu’en sourdine, par la bouche, par des phrases.
– La violence de la charcuterie sort de ma bouche, dégorge, tiède.
– J’ai peur, il est tard, on a juste la possibilité d’apercevoir des indifférents.
Autobiographie de mon père, « complété » par ces « Poèmes Express » et des informations quotidiennes ricocheuses est offert à Alain Amirault qui, dans les années 2010, membre de l’association Détournements, a co-créé le festival Poésie dans la rue à Rouen.