Un Kafka : P U N° 175

Kafka (1883-1924) écrit la Lettre au père en 1919. Et jamais le père ne la lira. Il semble d’ailleurs qu’il n’ait lu aucun des textes de son écrivain de fils.
Cette lettre dit une souffrance mais surtout l’acceptation jusqu’à l’intériorisation de l’image négative qu’on a de lui  » …plus je grandissais, plus le matériel que tu pouvais exhiber pour preuve de mon insuffisance était important ; à certains égards, je me suis mis à coïncider avec ce que tu prétendais. », l’incroyable capacité à trouver des excuses au tyran domestique, l’effrayante impossibilité, adulte, de se défaire de son autorité.

« Poèmes express » qui en sont issus :
– Tu mangeais vite, chaud, à bouchées doubles, l’enfant.
– Assez viril, gentiment, il te parle tranquillement de tes troubles de coeur et te saute et te saute.
– Dents serrées de l’enfer, plainte enfantine des durs.
– Au début, c’était vraiment pareil, ce n’était pas vraiment autre.
– On n’avait aucune intention, on n’a pas souffert, on n’a été qu’inconscient.
– A la maturité, je n’étais occupé que de moi, et je 
montrais là d’étonnantes capacités.
– Il renonce au meurtre. Dans la mesure du possible.

Cette Pièce Unique n°175 sera envoyée à Christine Marcandier, critique littéraire, enseignante, aimant beaucoup l’oeuvre de Kafka (c’est un risque… évidemment), créatrice de Diacritik.

Un Iris Brey : P U N° 174

Iris Brey, journaliste, collabore aux Inrocks, à Mediapart, France Culture, Canal +. Elle est spécialiste de la question du genre au cinéma et dans les séries.
Le regard féminin – Une révolution à l’écran est paru à l’Olivier en 2020 puis en collection Points et a obtenu le Prix de l’essai féministe du magazine Causette.
L’auteure  différencie « male » et « female gaze », les façons différentes de raconter le monde à travers scénario mais aussi mise en scène, et dit bien que tous les hommes ne sont pas porteurs de ce « male gaze » ni toutes les femmes du « female gaze ».
Au début, un peu gênée par l’écriture inclusive, puis plus. Au début, un peu une impression de caricatural, puis plus.

Des « Poèmes Express » nés de :  Le regard féminin – une révolution à l’écran :
– En premier lieu le miroir appréhende les images, considère un corps comme réfléchi.
– Le « impossible », je l’entends, je le ressens. Il existe, part du corps.
– Le regard n’est pas l’analyse. Nous vivons dans le regard.
Des cinéastes se focalisent sur les Cahiers du cinéma mais juste pour rire.
– Au bout d’une heure de mariage, elle semblait avoir été mise dans un cercueil.
– Si on reprend la définition d’héroïne, on l’imagine en marbre.
– Montage de premier film : une femme masturbe une lionne qui coule d’une casserole.
– Visage au creux du cou, bouche entrouverte par l’émotion, comme velours.
– Une femme s’arrête devant des hommes qui regardent un homme qui ferme les yeux   devant des femmes.
– Les textures fondent. Les désirants demeurent.
– La voiture démarre en trombe, deux visages côte à côte oscillent de droite à gauche.

La Pièce Unique N°174, trois livres en un,
est offerte à Carine Chichereau, traductrice ( d’une centaine de textes, dont de Joseph O’Connor, Lauren Groff…). Elle travaille par ailleurs à un inventaire de femmes peintres oubliées.

Un Pierre Mac Orlan : P U N° 173

Le mystère de la malle n°1 – et autres reportages
en 10-18 dans la série « Grands Reporters » dirigée par Francis Lacassin, 1984 .
Pièce Unique N° 173.
Mélange de reportages policiers et politiques, le recueil rassemble faits divers et problèmes bientôt mondiaux. On passe d’un crime crapuleux contre des femmes en Angleterre (1934) aux manifestations et vote dans l’Allemagne de 1932 en passant par l’Italie mussolinienne (1925) et une histoire de piraterie qui impacte une entreprise de Fécamp lors de la prohibition américaine (1924). La petite et la grande histoires vues à hauteur d’homme. Le journaliste – romancier Mac Orlan, ami de Georg Grosz et admirateur d’Alfred Döblin, rend les décors et les atmosphères de ces endroits et de ces époques.

Quelques « Poèmes Express » issus de ces textes :
– Les galets sur 3 km, des inscriptions publicitaires. On vend des sorbets.
– Suivant un camarade, il eut l’idée de visiter Melun ; il parut déprimé.
– L’inquiétude se transformait en époque. Il ne reste aucune trace de force.
– Au milieu de la rue, un brouillard. Chacun regagne ses quartiers.
– Un ver sait qu’un Bouddha gonflé fait des couchers de soleil pour salle à manger.
– Un écrivain français recrée un homme en tenant peu compte de sa femme, de la     quantité de littérature qu’elle contient.
– Les filles mal nourries aboutissent à des hommes gros.
– Un petit bonheur, ce n’est pas mentir à l’émotion.

Ce  » Mac-Orlan-augmenté »,  3-en-1,  est offert à V. G., femme de droit qui tint la librairie Polis à Rouen et aime toujours autant les livres.

Un Pierre Pachet : P U N° 172

Autobiographie de mon père est la Pièce Unique N° 172. Ce texte est paru en 1987 et a été réédité chez Autrement en 2021, avec une postface de J.B. Pontalis : extraits :  » Une lettre à un père ou une lettre à un fils ? » (…) « Ce livre aurait-il deux auteurs ou, ce que je crois plutôt, est-il un livre sans auteur ?  » ( et citant Pierre Pachet : ) « La parole de mon père mort demandait à parler par moi comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. ».
Ce livre conte la vie du père, sa formation, l’exil, la judéité, la guerre, le (non) lien à la famille puis la maladie : p 195 : « Je suis pleinement présent à moi-même, mais chacune de ces présences tend à s’isoler radicalement de la précédente ; et la suivante l’effacera. Pourquoi faut-il que je ne connaisse personne qui tolère la discontinuité que j’habite ? » L’homme n’est pas aimable, porteur des préjugés de son temps et de son sexe : autorité du mari et du père, dépréciation de la femme et incommunicabilité avec les siens, bien avant d’être atteint par cette pathologie.
Pierre Pachet écrit ce défaut d’amour, répare cette non-communication après la mort du père.

De ce livre, sont sortis des « Poèmes Express » : exemples :
Privé de la fiction un univers était évidemment hostile.
– Ce double : je l’avais fui et ne désirais pas retrouver le moi.
– Attendre d’avoir, avoir peu, avoir eu.
– Renversées, elles avaient perdu la main. Je ne sais si j’ai déjà mentionné la main.
– Entre des terrasses de café, un bain d’odeurs.
– Puisqu’il faut passer d’un système à un autre, on se fait double.
– N’avancer qu’en sourdine, par la bouche, par des phrases.
– La violence de la charcuterie sort de ma bouche, dégorge, tiède.
– J’ai peur, il est tard, on a juste la possibilité 
d’apercevoir des indifférents.

Autobiographie de mon père, « complété » par ces « Poèmes Express » et des informations quotidiennes ricocheuses  est offert à Alain Amirault qui, dans les années 2010, membre  de l’association Détournements, a co-créé le festival Poésie dans la rue à Rouen.

Un Karen Blixen : P U N° 171

Une lecture au long cours : La ferme africaine de la baronne Karen Blixen, 497 pages en Folio, a été lue du 3 juin 2022 au 22 février 2023, à raison d’une double page par jour.

Le livre paru au Danemark en 1937 et en France en 1942 chez Gallimard, dans une traduction de Yvonne Manceron, conte les 17 ans (1914-1931) de vie de l’auteure (1885-1962) en Afrique. Continent qu’elle a adoré et a dû quitter, sa plantation de café au Kenya n’ayant jamais été rentable. L’histoire est connue – et « romantisée » – par le film de Sydney Pollack, Out of Africa, sorti en salle en 1985. Le texte, un presque journal, dit son existence auprès des « nègres », Kikuyus et Masaïs, des Somalis, de ses chiens, de ses chevaux, évoque ses parties de chasse, sa vie mondaine, la manière dont le colon traite les populations, venant par exemple jusqu’à la ferme pour interdire leurs danses lors de son départ.

Quelques uns des « Poèmes Express » qui en sont sortis :
Un sourd insistait pour trouver un écho.
– Les choses s’offrent une valeur historique.
– J’avais obtenu un mot que rien ne pouvait dépasser : « ardeur ».
– J’imagine un archevêque en safari quand la bête l’observe.
– Presque vierge, sans chagrin, vierge vieille, on pénètre, on n’enlace pas.
– Dieu n°3, reviens.
– Bête à recevoir le nom d’une bête, il sera aperçu un jour, au zoo.
– Un mot se remet entre les mains de son récit.
– Nous avons un personnel-poupées russes. On les installait en plein air. C’était magnifique.
– Les femmes douces et gaies étaient le soir des noces sans protection.
– Crachat, pantoufles, canne et mort.
– Il était mort en sortant de son auto, de l’histoire ensuite.
– Quelques minutes ne tardèrent pas à atteindre le bout d’un moment.
– Un jour j’ai dit 500 fois « boeuf » et « boeufs ».
– Des marins ont leur double au fond de la mer et de temps en temps habitent au fond de nos yeux.

Cette Pièce Unique est offerte à Claire D., maintenant photographe et voyageuse.

Un Lovecraft : P. U . N° 170

Epouvante et surnaturel en littérature de H. P Lovecraft (1890-1937) est un essai, écrit entre 1925 et 1927, paru pour la première fois dans une revue qui n’eut qu’un numéro, The Recluse.
De son vivant, Lovecraft n’a publié ses nouvelles que dans un « Pulp »: Weird Tales. Et ce n’est que deux ans après sa mort qu’est créée la maison d’édition Arkham House, pour faire reconnaître son oeuvre.
Cet essai est une histoire du « conte fantastique » « aussi vieux que la pensée humaine ». Le panthéon personnel de Lovecraft est constitué de Lord Dunsany, Arthur Machen, Montague Rhodes James, plus intéressants encore selon lui que les justement reconnus Ambrose Bierce, Nathaniel Hawthorne et, évidemment, Edgar Allan Poe.

Quelques « Poèmes Express » tirés de ce texte :
– Renforcer une frayeur grâce à des images de fin de paysages.
– La mode captiva les plus sophistiqués des squelettes.
– Les allusions allusives ne présentent rien au lecteur inattentif.
– Eclate un rire immense surgi d’un très ancien cimetière.
– Peupler le pays avec une multitude de petits Dracula semble original.

Cette Pièce Unique, 3 livres en 1, est offerte à Emma Doude, en master de création littéraire à l’ESADHarR, master sous la direction de Frederic Forte.

Un Emilienne Malfatto : P U N° 168

– Accoudé dans un troquet pendant de longues semaines pour tenter de comprendre.
– On croit aux trésors enfouis, aux fruits gonflés.
Les hélicoptères ayant remplacé les gallinacés, « ça » s’est produit sans adultes.
– Un village vacances est terrible pendant les années de guerre.
– Elle s’était faite belle ; il doit y avoir quelque chose de terriblement rassurant dans cela.
– Les autorités se contentent de dire la loi, n’ont qu’une vague idée du chemin.
– Maison bleu ciel, bizarrerie géante, derrière le manguier.

Voilà quelques « Poèmes Express » issus de Les serpents viendront pour toi, d’Emilienne Malfatto, paru aux éditions Les Arènes, 2021 puis en poche en J’ai Lu. Ce livre a reçu le prix Albert Londres.
« Notre métier n’est pas de faire plaisir non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » disait Albert Londres (1884-1932). Emilienne Malfatto, née en 1989, est photo-journaliste. Elle prend la suite des Séverine (1855-1929), Andrée Viollis (1870-1950), Nellie Bly (1864-1922) et autres femmes reporters quelques fois appelées « Muckrakers » (= « fouille-merde »). Dans ce livre, elle parle de Maritza, tuée en Colombie, des années après son mari : « Maritza Quiroz Leiva, 61 ans, mère de 6 enfants, assassinée le 5 janvier 2019. Le cinquième assassinat de leader social de l’année, le cinquième en moins d’une semaine. » (p. 17).
Maritza n’est qu’une parmi beaucoup d’autres « dommages collatéraux ».
Si la guerilla des FARC est censée être finie, les « seigneurs de la drogue » sont toujours là, toujours plus riches, et s’en sortent très bien, bien mieux que leurs victimes :
(P. 64 : )« … Maritza et sa famille quittèrent la Sierra Nevada et vinrent grossir les rangs de ceux qu’on appelle pudiquement « déplacés internes », ceux qui ont tout perdu, à qui l’Etat a failli, qui fuient et terminent généralement dans les bas-fonds des grandes villes, dans une misère crasse et une violence endémique, les déplacés donc, qui, en 2004, représentaient officiellement plus de trois millions de Colombiens – plus de 7% de la population de l’époque. »

La Pièce Unique n° 168 est offerte à Veronica P. qui a choisi de vivre en France et y enseigne avec enthousiasme. Elle vient juste de rentrer de Bogota où elle n’était pas retournée depuis longtemps.

Un Delerm : P U N° 169

Un peu de désordre : le n°168 sera envoyé plus tard, la récipiendaire étant partie quelques semaines dans son pays d’origine, le pays dont parle la Pièce Unique N° 168.
Je ne suis pas claire… ? Pas grave ! « Sauts et gambades », les Pièces Uniques…

Je ne pensais pas un jour en produire une à partir de Philippe Delerm. La couverture du livre chez Folio a eu raison de moi : un détail de tableau de Tiepolo, le fils.
Le livre est fin (118 p.), écrit assez gros, avec au moins quatre sujets différents : ce peintre, les restes de la guerre en Italie, les livres qui marchent et surtout, Venise. C’est beaucoup…
Et moi qui en rajoute avec mes « poèmes express » … :
– Ne rien lire. Faire : le trottoir, la tête, du voilier.
– Un peu enfoncé dans la peinture, un rond noir,, brun à la rigueur. Tout rond.
– Jardin sombre, paysages saisis, route bleue.
– La vie, territoire d’aversion, se diluait en mots.
Un rouge écaillé, un bleu presque mauve dans un voyage.

La Pièce Unique N°169 est offerte à Robert de Laroche, éditeur rencontré au Salon du Livre de Paris avec sa collection de textes sur le cinéma, La Tour Verte. Robert vit maintenant à Venise et son dernier livre en tant qu’auteur vient de sortir en Folio policier.

Un Maja Thrane : P U N° 167

Petit traité de taxidermie : une histoire de maison, de gens qui vivent dans cette maison et de ceux qui y ont vécu auparavant, plus ou moins fantômes. Rien de fantastique, une évocation comme normale. Un des habitants a été « l’intendant » , ce qui en Suède est le nom donné à un conservateur de musée. August Wilhelm Malm (1821-1882) a réellement existé. Ce sont des photos d’un de ses travaux qui ont amené ce texte que Maja Thrane dit avoir mis dix ans à écrire. Ces photos, on en trouve deux dans le volume des éditions Agullo et, oui, elles sont étonnantes, voire impossibles croit-on. Pourtant, non, ce ne sont pas des montages, pas des « fake » : on a bien une baleine qui sort de la façade partiellement démontée d’une maison, une baleine tirée de là par un cheval. Malm a effectivement taxidermisé l’animal. La baleine est toujours visible, dans un musée du sud de la Suède.
Petit traité de taxidermie, ce sont de courts chapitres qui nous mènent dans l’histoire de ces gens, Vera et Björn, de leur vie au cours des saisons, de leurs sensations et activités.

Voilà quelques Poèmes Express venus de ce texte :
Sur la neige, dans le noir, un gant rouge.
La corneille a le bourdon, la pie pense à sa vie.
Des heures à tripoter Lena, lourdement. Quelqu’un les observe.
Une grotte et, s’introduisant de plus en plus profond, l’imagination.
Envahi par les boules, le canal.

La P U N° 167 est envoyée à S. Bernet en souvenir  d’Etienne Bernet (1939-2022), architecte dans une première vie puis historien de marine, qui a écrit sur la pêche à Terre-Neuve mais aussi sur la chasse à la baleine. Il était un des responsables de la revue Les annales du patrimoine de Fécamp. Le dernier numéro   vient de sortir et lui rend hommage.

Retour sur la P U N° 155 : youhou !

Mis en avant

tardivement, très, car déplacements multiples et l’objet-livre caché facétieusement glissé entre et entre, mais retrouvé

donc lu maintenant,
picoré
avec appétit
et déjà merci pour la pensée de l’envoi
de ce 155ème
objet multiple en effet
et mystérieux
(sachant que j’ignore qui est robert wyatt)
(et que donc l’étrangeté est absolue, d’un livre sur qui je ne connais pas)
(comme une biographie inventée)
(quelque chose de totalement fictionnel)

(et s’arrêtant sur un album que je ne connais pas non plus)
(mais qu’écoutant ce matin je reconnais bien sûr) (alors c’est donc lui)
(mais pourquoi lui alors, en dehors de la maquette qui vous plaît)
une sorte de folie borgesiennne
qui immédiatement
et ludiquement
m’a rappelé ces découpages qu’enfant on faisait
de silhouettes à habiller
de différentes tenues qu’on clipait, qu’on changeait
(je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans…)
mais aussi les mille milliards de poèmes
ces lectures en tout sens
pulvérisant l’ordre narratif, le recomposant
drôlement aussi
entre art brut et poésie minimale
entre humour et absurde (le verso découpé de certains collages est aussi signifiant dans ses manques)
aussi merci catherine
oui
amicalement
ea&fd = Emmanuel Adely et Frédéric Dumond !!!!!