Le musée des redditions sans condition – Dubravka Ugresic

Dubravka Ugresic (1949-2023),
écrivaine croate a passé
30 ans de sa vie en exil : de 1993 à sa mort.
Elle l’évoque dans Le musée des redditions sans condition, un livre de 1997 : P 192 : « l’exil, ou du moins la forme que j’en ai connue, le vivant jusqu’à l’épuisement, »
P. 233 : « j’avais moi-même miné ma demeure. Il m’avait échappé que la guerre et la dictature sont soeurs, ce que le vieux Remarque savait. Oui, j’avais écrit quelque chose qu’il ne fallait pas (…) davantage parce que j’étais incapable de m’adapter au mensonge ambiant que parce que j’avais envie de devenir un héros. »

Ce livre est constitué d’un ensemble de textes : sur la photo et l’autobiographie, sur des artistes reconnus (comme Ilia Kabakov) ou pas du tout, comme le traducteur fou de Shakespeare Ivan Dorogatsev, sur des résidences partagées avec plus ou moins de bonheur, sur des gens rencontrés, sur sa mère, sur la première fois à New York : P 58 : « …Je ne ressentais rien en arpentant ses rues. (…) Puis je suis montée dans un taxi (où la radio jouait très fort) et le pare-brise m’est apparu comme une sorte d’écran. Je suis restée sans souffle (…) magie de cette espèce de séance de cinéma que m’offrait le taxi (…) j’ai reconnu la ville. ».
Sur l’écriture de qualité…, P. 63 : avec beaucoup d’humour, à partir de l’exercice scolaire de la « rédaction libre » qui « pour des raisons inconnues, commençait très souvent par l’évocation de la pluie (…) et se terminait par un vrai déluge. (…) Ces rédactions détrempées ont marqué de leur sceau aqueux la perception esthétique de la plupart des lecteurs. Ce sceau a été apposé au début de leur scolarité par quelque institutrice romantique et les élèves ont ensuite quitté l’école avec un goût littéraire élaboré, en sachant indéniablement ce qui est beau, puisque les bonnes notes l’avaient confirmé. Certains d’entre eux sont eux-mêmes devenus instituteurs, et ils ont à leur tour apposé le sceau aqueux sur leurs élèves, dont certains sont devenus instituteurs »… 

Un Jakuta Alikavazovic : P U N° 195

Dans la collection « Nuit au musée » des éditions Stock : Comme un ciel en nous de Jakuta Alikavazovic : sa nuit au Louvre, près de la Vénus de Milo où, un jour, enfant, son père l’avait oubliée.
Joli livre, prix Médicis essai 2021 :
sur l’art (elle aime le Land Art, Walter de Maria et son champ de paratonnerres)
mais surtout sur son père,
et sur le fait d’être étranger : P 59 : du « juré de prix littéraire qui m’a chuchoté un soir J’ai beaucoup beaucoup aimé votre livre, mais je n’ai pas voté pour lui. J’aurais eu trop peur d’avoir à prononcer votre nom. » à, P. 95 : « En raison de mon nom, quand je disais enfant, que mon père aimait peindre, il est arrivé qu’on le prenne, tout naturellement, pour un peintre en bâtiment ; et moi j’étais la fille du peintre en bâtiment, une petite d’une vivacité et d’une intelligence incroyables étant donné les circonstances »...en passant par,  P 105 : « on ne me fera pas croire qu’en arrivant sans un sou en poche, sans relations, sans même parler la langue du pays, on ne se cogne pas. Je pense qu’au contraire, on se cogne sans cesse. Aux mots qui résistent, aux institutions qui résistent, aux regards des autres, ceux qui se savent chez eux et n’ont même pas à y penser. »

Quelques Poèmes Express qui en sont issus :
– Il me faudra des années pour apprendre à être étranger.
– Attirer l’oeil du pharaon : faire une pyramide.
– Je cours, je sème un lion : qui peut en dire autant ?
– Je me suis retranchée dans les amours et les alcools compliqués.
– La raison pour laquelle je suis dans une salle d’attente ? Y chercher la trace d’une   phrase.
– Sortis de l’obscurité des crânes : des souvenirs : ce qui reste : la poussière.

Offert à V R qui me parlait de mes Pièces Uniques et se demandait comment cela se faisait .

Un Alfred Döblin : Pièce Unique n° 194

L’empoisonnement (1922)
d’Alfred Döblin ( 1878-1957 )
m’a permis de savoir que Döblin, en plus d’être écrivain, était psychiatre.
Actes Sud l’avait publié en 1988, traduit par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize. Très court texte d’un auteur connu principalement pour Berlin Alexanderplatz paru en Allemagne en 1929.

L’empoisonnement  est inspiré d’un véritable procès qui fit sensation. Alfred Döblin est peut-être un des premiers écrivains à la Emmanuel Carrère : écrivain qui rend compte de faits divers qui deviennent des faits de société.
En l’occurence, une femme violentée par son mari l’a tué. Elle avait tenté de le quitter, avait été ramenée par son père au domicile conjugal, avait encore voulu divorcer mais était revenue en arrière.
Donc, cas de violence faite aux femmes mais,
et c’est là le vrai sujet,
accompagné d’amours homosexuelles.
Culpabilité double. Scandale.
Elli Link est attirée par une autre femme avec qui elle échange de nombreuses lettres et qu’on considère comme également coupable.
Le moment du procès est particulièrement « intéressant » : les « experts » et leur langage ampoulé se succèdent. Porteurs de morale ou de « savoir » : P 86 : « L’expert H., le médecin et spécialiste le plus compétent dans le domaine de l’amour homosexuel » (…) « Selon lui, l’inversion sexuelle des pulsions ne résultait pas d’une volonté criminelle, mais d’un malencontreux mélange de chromosomes »…

Quelques Poèmes Express qui viennent de L’empoisonnement :
– Il faudrait s’empêcher. Il y a un attrait singulier à se retenir.
– Aucune des deux femmes n’était en état de tuer.
– Il m’arrache la tête : avec un peu de gentillesse tu obtiendrais de meilleurs résultats.
– A la fin d’une époque effroyable, un homme droit tend à des excès.
– On vivait de faibles passions, on pouvait en se mariant.

L’empoisonnement revisité est offert à Fanette Arnaud, modératrice de rencontres littéraires (Grenoble, Manosque…) !

Arrière toutes !

Total renversement de la vapeur.
Voilà un post où il n’est plus du tout question de féminisme, de la place des femmes problématique dans notre monde.
Mais……………………………………. de restes de romantisme, de rêve « girly », d’image toute rose de la vie amoureuse, de la relation idéale Homme/Femme ……………………………………………..

Je m’explique et rougis – si si ! – :
quand j’étais jeune,  » I was in love with him »,
alors… qu’il était déjà mort depuis un bon bout de temps.  :
Gary Cooper : beau, racé, calme, protecteur, intègre … Le contraire d’un bourrin, d’un masculiniste.

Sur lui, aux éditions Capricci, sort un livre, trouvable en librairie le 19 janvier

Rabat-joie – 4)

« Au Maroc, des masculinistes se mêlent du code de la famille

Analyse

Le roi Mohammed VI a donné six mois au gouvernement moderniste pour réformer le code de la famille, encore calqué sur la jurisprudence islamique. Le chantier suscite d’importants espoirs parmi les associations de femmes pour aligner le droit avec la Constitution de 2011, mais doit compter avec l’apparition d’un lobbying d’associations d’hommes, qui s’oppose aux avancées féministes. »…

  • Jean-Baptiste François,
  •  

Rabat-joie – rappel

MALAGA, SPAIN – 2023/11/25: A group of women are seen behind placards with names of women killed for their partners during the performance ‘Walk of silence’ against gender violence. In commemoration of the International Day for the Elimination of Violence against Women, dozens of women took part in a Caminata Del Silencio (Walk of silence) against gender-based sexual violence. They march every year along the streets in Malaga holding candles and placards with the names of all women who were killed by their partners in Spain. (Photo by Jesus Merida/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Et
Céline Mas, présidente de l’association ONU Femmes : extrait d’un article paru dans La Tribune le 26 novembre 2023 :

« Nous vivons une époque de crises : sanitaires, géopolitiques, économiques, sociales, climatiques. A chacune d’entre elles, les droits des femmes reculent ; leur intégrité physique et morale est menacée durablement. Partout, elles sont les victimes collatérales des prédations, obscurantismes et conflits dans un monde qui se vante orgueilleusement des exploits sophistiqués de l’IA. Le 7 octobre dernier, le Hamas a semé la terreur et massacré des Israéliens, dont des nombreuses femmes et des filles dans des conditions particulièrement insoutenables. Nous avons condamné sans réserve ces actes barbares tout en demandant la libération inconditionnelle des otages ET dans le même temps, nous pensons aux femmes et aux filles de Gaza qui ont perdu leur vie tragiquement dans des souffrances indescriptibles et avons appelé urgemment au cessez-le-feu humanitaire pour porter secours aux civils. Le ET est ici fondamental car l’humanité ne choisit pas. Nous condamnons et continuerons à condamner sans équivoque tout acte de violence contre les femmes et les filles, incluant la violence sexuelle, considéré comme une violation inacceptable des droits humains, où que ce soit dans le monde. Nous sommes aux côtés de tous les civils, et particulièrement de toutes les femmes du monde. En 2023, je l’écris avec gravité, vivre une vie sereine et libre en tant que petite fille autant que jouir pleinement de ses droits en tant que femme reste un privilège.

Sénégalaises, congolaises, iraniennes, afghanes, ukrainiennes, yéménites, soudanaises, états-uniennes, haïtiennes, chinoises, japonaises, indiennes, brésiliennes, argentines, mexicaines, chiliennes, polonaises, françaises et dans tant d’autres pays, le constat est le même : les violences sous des formes diverses persistent, les mentalités évoluent trop lentement et les droits sont fragiles et souvent réversibles. » (…)

Un Olivier Cadiot : P U N° 192

Retour définitif et durable de l’être aimé, de 2002, chez P O L  est la Pièce Unique N° 192.
Un texte un peu à la manière de certains Calvino ( Si par une nuit d’hiver un voyageur ) : plein de possibilités de fictions ( bizarres ) en utilisant plein d’images, d’idées, de situations qu’on connaît par des films, des séries, des photos, des articles, en les concaténant, en les juxtaposant, en les tordant. Ambiances de chasse, de richesse, de guerre, de gîte rural, de cabinet médical, etc. Humour de ces glissements.
Des « je », des « vous ».
Des jeux avec les mots.
( p 56 ) :  » Ouin’mor’taï-m’
Il faudrait que ça 
s’arrête maintenant, ok kids relax, pause, une heure de déjeuner et on reprend, super, dis donc toi, oui toi, reste deux secondes, où c’est qu’t’as appris à chanter ? chez les bonnes soeurs ? faut y aller mon petit lapin, hein, tape sur la fesse, allez file.
Si on est dans une comédie musicale. »

Quelques Poèmes Express qui en viennent :
– Il y a un bruit bizarre là où on devait installer le présent.
– Personne ne va attaquer : avec la chenille ambiance communion.
– Mort sous verre.
– La mousse noire, le sang, substance quand l’histoire vrille la chair.
– Ecurie, piscine, hélicoptère, on s’en sort, hein ?
– Ça doit être l’âge de fer avec vrai sanglier de 200 kg.
– La laisser parler les yeux au ciel alors que c’est fini.
– Le saint cherche un assistant.

Rabat-joie – 2)

Une nouvelle rubrique est née, je la sens bien !
et Slate m’y aide une fois encore :

Une candidate qui participe au concours Miss France sera considérée moins belle si elle est intelligente…

L’image est une photo de Milena Maric Einstein – qui n’a jamais, il est vrai – concouru pour être miss France…

chat bleu – décembre 2023 – 3) et en cadeau, une pincée de Vialatte

La pincée de Vialatte  :

« Chronique de l’arbre de Noël
L’esprit de Noël est un esprit joyeux qui devient plus riant par temps de neige. Il porte un capuchon pointu (doublé de lapin) et se juche sur les abiétinées. C’est pourquoi le vrai père de famille va cueillir un sapin la veille de Noël. A Paris il l’achète au mètre. A Düsseldorf il le vole dans un square. (C’est ce qui a amené les jardiniers municipaux, en Rhénanie, à enduire tous leurs résineux d’une drogue qui devient lacrymogène à la température moyenne d’une salle à manger germanique. Ce qui est gênant au moment des joyeuses plaisanteries.) Une fois que le sapin est planté, l’homme y pend des polichinelles. En satin rose. Des boules brillantes. Des bougies bleues. Des cadeaux pour les invités. Ficelés avec des ficelles d’or. Des dragées, des boîtes de sardines, tout ce qu’il y a de plus luisant et de plus avantageux, souvent même de plus comestible : les gros créanciers de la famille, des harengs saurs, de grandes bouteilles de vin mousseux, et des perroquets portugais, en laine tricotée, rouges et mauves, pour mettre sur la théière et garder le thé bien chaud. Des champignons vénéneux à tête rouge, des amanites vireuses, des amanites panthère, des amanites tue-mouches ; en bois ; avec une pince pour tenir au rameau. Des pères Noël qui ont une barbe en coton, moitié moujiks, moitié poivrots. Des paillassons pour cage à poules (c’est une invention toute récente : la poule s’essuie les pieds avant d’aller au lit). Les enfants sont ravis, les invités s’exclament. Quelquefois un grand-père se dévoue pour faire des grimaces difficiles. On distribue des marrons glacés.
La Montagne, 25 décembre 1962″
on finit l’année avec plus d’essais ou de non-fictions que de romans :
– Et Zeus créa la fêta éditions La Martinière, 2023 : 54 (vraies) recettes de Grèce
– Ripostes – archives de luttes et d’actions 1970-1974, sous la direction de Philippe Artières, éditions du CNRS, 2023
– Méfiez-vous des femmes qui marchent d’Annabel Abbs, 2021, traduit par Beatrice Vierne, éditions Arthaud. Des peintres, des écrivaines
Art de marcher de Rebecca Solnit, traduit par Cristelle Bonis, 2022, éditions de l’Olivier.
– L’heure des femmes d’Adèle Bréau, éditions Jean-Claude Lattès, 2023 : sur Ménie Grégoire qui a osé parler, dès 1967, des femmes sans tabou à la radio
– Proust, roman familial  de Laure Murat, éditions Robert Laffont, 2023. Prix Médicis essai. Elle y parle de son milieu d’origine, milieu de formes et d’apparences, sans vrai savoir. Elle reconnaît sa famille dans La recherche… Proust l’a aidée à comprendre comment fonctionne ce monde.
– Sia , éditions L’Harmattan : témoignage : un homme et une femme, Ces Guinéens de deux ethnies et religions différentes ont fui leur pays pour vivre ensemble en Normandie.
– Promenade en hiver de Henry-David Thoreau, éditions Le mot et le reste, 2018. Traduction de Nicole Mallet : un texte de 1888, une journée d’errance dans la neige. Enormément de précisions dans les descriptions.
– Correspondance Matisse – Marquet 1898-1947, La Bibliothèque des Arts, 2008.
Quand même quelques fictions :
– Les ciels furieux d’Angélique Villeneuve, 2023, éditions Le Passage. La vie d’une famille juive en Europe de l’Est au début du XX ème siècle vue à travers une petite fille.
– Sarah, Suzanne et l’écrivain d’Eric Reinhardt, 2023, Gallimard : deux histoires de femmes de deux milieux différents. « Bluffant, vraiment brillant ! » dit F.B.
– Rendez-vous à Parme de Michèle Lesbre, une balade pleine de références théâtrales et littéraires : Chéreau, Duras, Handke. Trouvable en Folio.
– Les enfants sont rois de Delphine de Vigan, 2021, Gallimard : une influenceuse met en scène ses enfants. Ce qui s’en suit.
Et rappelez-vous :
nous continuerons de lire et de parler de livres mais plus au Chat Bleu.
Le nouveau lieu de réunions sera Les vivants.
Au 18 janvier, 18heures !