Chat Bleu – novembre 2018

Forcément, ce jeudi de novembre, nous buvions du beaujolais nouveau, un vin de deux ou trois mois, non vieilli en fût, presque un jus légèrement fermenté : du « Bio jaulais », d’un regroupement de producteurs, venu d’une parcelle de Bully. Le jeu de mots nous a séduits, forcément !

Le Bio jaulais a accompagné
– un livre sur les saveurs : Nagori de Ryoko Sekiguchi, chez POL, 2018. Entre document et poésie, ce livre est sorti en octobre, justement octobre, dit  » mois de nagori » : « Nagori évoque à la fois une nostalgie de notre part, pour une chose qui nous quitte ou que nous quittons, » (p.30). Produits de saison, disparition d’une saison, raffinement japonais dans cette attention au temps. Raffinement de Kyoto (p.38) :… » la coutume de contempler la beauté de la neige » (…) Il existe même des fenêtres conçues à cet effet : les yukimi-mado. Dans un shôji (cloison de papier coulissante), une partie est aménagée en verre, qui permet de contempler la neige. » Raffinement de l’auteure qui, à la fin de son année, en 2014, à la Villa Médicis, compose un  » dîner de 100 ingrédients » (p. 123).
– Frère d’âme de David Diop, Le Seuil, 2018, prix Goncourt des lycéens. Alfa, le narrateur,  est un tirailleur sénégalais venu se battre en France, volontairement, avec son ami qui meurt éventré. Mademba lui a demandé de l’achever mais Alfa n’a pas pu. Il s’en veut maintenant, tue par huit fois l’  » ennemi aux yeux bleus » (p.39) et rapporte chaque fois sa main. On : « Les Toubabs et les chocolats, comme dit le capitaine » (p. 42) l’admire puis on le craint et l’envoie se reposer. Je ne vous raconterai pas le twist final. Ce livre évoque ces troupes coloniales dont on a peu entendu parler jusque là. Il aura fallu le centenaire de l’armistice pour les mettre en avant dans les discours commémoratifs et reconstruire le monument de Reims, détruit par les nazis en 1942.
– Le sillon, deuxième livre de Valérie Manteau, Le Tripode , 2018, prix Renaudot. Entre autobiographie et histoire contemporaine de la Turquie, il est question des procès de journalistes, d’avocats,  : « La plaidoirie d’Asli, quatorze pages manuscrites lues dans un silence religieux, circule dans la salle. Elle commence par ce voeu, « je vais me défendre comme si le droit existait encore ». (p.214-215) « Necmiye Alpay prend aussi la parole (…) Ça fait vingt-cinq ans que je suis avocate dans ce pays et j’ai honte pour nous. » La même Asli (Erdogan) relâchée entre deux temps de son procès, marche la nuit dans la ville avec l’auteure. L’écriture est vive, nous transmet les ambiances parallèles d’Istanbul : ses quartiers boboïsés, artistes, de migrants, radicalisés.
Le sillon, c’est aussi le nom du journal de l’intellectuel arménien Hrant Dink, tué par balles en 2007.
Une belle découverte !

Nous avons aussi reparlé de :
– Absolute darling  de Gabriel Tallent, traduit par Laura Derajinski, chez Gallmeister. Dur mais qu’on ne peut quitter.  
– Le lambeau de Philippe Lançon, Gallimard, décidément très beau. A signaler, dans le nouveau numéro de la revue NRF un texte de lui, dédié à son père.
– D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan : perturbant.
– Evasion de Benjamin Whitmer, traduit par Jacques Mailhos, Gallmeister, 2018 : terrible.

et encore de :
– Un monde à portée de main de Maylis de Kerangal, Verticales, 2018 : un roman d’apprentissage. Très érudit, plein de beaux mots.
– Me voici de Jonathan Safran Sfoer, traduit par Stéphane Roques, Points : un père mort dans les attentats de Manhattan. Points de vue multiples. Art du dialogue.
– L’amour après de Marceline Loridan-Ivens et Judith Pérignon, Grasset, 2018. Après les camps.
Le monde sans hommes de Pramoedya Ananta Toer, (1925-2006) traduit de l’indonésien par Michèle Albaret- Maatsch (2001, Rivages) puis Dominique Vitalyos chez Zulma.. Quatre tomes . Le premier vient de paraître en poche. On est à Java ; un garçon indigène, son éducation à l’européenne, ses difficultés entre les deux identités.
– La première année de Jean-Michel Espitallier, Inculte, 2018. La mort de sa femme. Nous y reviendrons, c’est sûr.

Le prochain Chat Bleu est le Jeudi 20 décembre !

 

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