Studio / Mocky / série noire / 2/3) par Patrick Grée

Sans doute la palme de la variété et de l’originalité des choix au sein du corpus policier revient-elle à Michel Deville, même si Claude Chabrol témoigne d’un bel éclectisme, oscillant de Charlotte Armstrong (Merci pour le chocolat), tenante du suspense psychologique qu’il aida à redécouvrir, au père du néo-polar, Jean-Patrick Manchette, behavioriste convaincu (Nada), en passant par Richard Neely (Les Innocents aux mains sales) pur orthodoxe de la « Série noire », avec une halte méritoire mais pour le moins oubliée du coté d’Ed McBain (Les Liens du sang) que les thuriféraires du romancier comme ceux du réalisateur préfèrent passer sous silence… et bien sûr Simenon, nommément (Les Fantômes du chapelier) ou par l’ombre portée sur certains des derniers films. S’il se collète volontiers à des besognes alimentaires aux résonances viriles avec ses Tigre (il ira même jusqu’à s’en vanter), il revient régulièrement aux maîtres du suspense psychologique comme Ellery Queen (La Décade prodigieuse), figure emblématique de cette veine poussée à ses confins quasi métaphysiques ; tout près, les univers feutrés et étouffants, innervés de sourde perversité, des reines du crime Patricia Highsmith et son épigone Ruth Rendell (Le Cri du hibou, La Cérémonie), relèvent donc chez lui d’une dilection particulière. Le petit écran n’oublia pas (à moins que ce fût l’inverse) ce boulimique de la pellicule : il y transcrivit le nuancier blême et déliquescent du génial William Irish qui eut aussi deux fois la faveur de François Truffaut.
Chez les deux fans le suspense psychologique côtoie naturellement le noir pur qui sont deux écoles souvent antagonistes aux lectorats distincts : sachons leur gré de cet œcuménisme et de la façon dont chacun à sa manière malaxe l’épaisse pâte noire. La désinvolture souvent décriée de Chabrol nous vaut tout de même ces pépites, baroque ou simplement déconcertante, que sont La Décade prodigieuse et Les Liens du sang.
Si l’on peut considérer les inspirations polardeuses du trublion Godard comme de purs prétextes, n’oublions pas que nous lui devons une adaptation, approximative certes, du très décrié James Hadley Chase pour la belle et audacieuse (à l’époque) collection Série noire de TF1 dans les années 80, Grandeur et Décadence d’un petit commerce de cinéma, avec Jean-Pierre Mocky (!) en producteur douteux, et qui dut surprendre plus d’un téléspectateur mais qui témoigne de l’intérêt constant du cinéaste pour les différents médias filmiques et d’une belle fidélité (proportionnellement) à la  » Série noire » de Marcel Duhamel (c’est au moins la quatrième fois qu’il fraye avec un auteur de l’écurie Gallimard). A bien y réfléchir ceci n’est peut-être pas un hasard : le cinéaste “subversif ” se retrouvait sans doute dans le promoteur historique d’une littérature populaire revendicatrice.

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