Bérénice Pichat x Petite Librairie x moi…

Première master-class proposée par la Petite Librairie : 3 séances de deux heures, animées par Bérénice Pichat , auteure de Le petite bonne.

Résultat, en ce qui me concerne :

Elle en rêve, en a toujours rêvé. Sortir d’ici. Aller là-bas. Pas forcément longtemps, mais y aller. Se défaire des habitudes, vivre autrement quelques semaines, même quelques jours. Elle en a assez de ce boulot, de ce bureau, de ces gens. Les collègues, le matin, autour de la machine à café qui parlent fort, beaucoup, rient fort, beaucoup, voudraient qu’elle parle et rie fort, beaucoup. Qu’elle soit comme eux. Elle a essayé. Pas longtemps. Elle a vite cessé d’essayer. Elle ne correspondrait jamais de toute façon.
Alors que, là-bas, ce serait différent. On ne lui demanderait pas de ressembler, d’adhérer. On la laisserait ËTRE ELLE.
C’est à dire ?
Elle ne sait pas vraiment mais en tous cas, elle sait que ce n’est pas se forcer à être pareille aux autres, pas être comme on l’a cataloguée : un peu moche, un peu rigide, sans imagination. Là-bas, elle serait comme elle se désire, comme elle se voit de l’intérieur. Une Sarah Connor. Belle, forte, invincible. Là-bas, ce serait possible…

Je ne suis pas là depuis longtemps mais j’observe beaucoup. J’ai souvent plusieurs personnes devant moi, certaines qui viennent souvent, très souvent même. D’autres plus rarement. J’avoue, c’est celles que je préfère. Elles sont plus précautionneuses, n’appuient  pas comme des tarés sur mes touches, soulèvent doucement la trappe, prennent délicatement le gobelet, ne renversent pratiquement jamais une goutte de leur boisson.
Parmi elles, j’ai remarqué Luce. Plus que discrète, presque effacée, mais toute douce. Elle a dû une ou deux fois être là quand il y avait foule, mais pas plus.
Le matin, 10h, c’est l’affluence. Gérard, le genre Jugnot, arrive toujours le premier et repart le dernier, après moult plaisanteries, assez lourdes, voire nulles. Les femmes rient docilement, rougissent quand c’est leste.
Pas Luce. Elle, elle a compris en un seul matin. Elle n’est jamais revenue à cette heure-là. Je la vois plutôt vers 11h30. Elle ne reste pas longtemps. Je lui trouve l’air triste, mais j’ai peut-être tort ; je ne suis pas très calée en humains. Quand même, j’imagine qu’elle vit seule ou avec sa vieille mère. Oui, je la vois bien aidante, célibataire. Quelqu’un qui se dévoue, qui pense moins à elle qu’aux autres.
Elle prend toujours la même chose, un thé avec un nuage de lait en poudre. Tout ce qu’il y a de plus synthétique. J’aurais bien voulu la prévenir la première fois mais, à part me mettre en panne, je peux difficilement entrer en interaction avec les gens. Et j’ai horreur qu’on me tape dessus pour récupérer sa pièce, comme l’a fait, devinez qui ?, Gérard, bien sûr ! J’aimerais bien, comme Luce, fuir ce type.
Il lui a fait des avances le seul matin où ils se sont croisés devant moi. Pas de réactions de Luce, pas de sourire encourageant, pas d’yeux qui pétillent. C’était ambiance banquise. Il a peut-être compris, mais je crois qu’il a réessayé à d’autres moments dans le bureau. J’en ai entendu parler par les rougissantes glousseuses qui trouvaient Luce bien difficile : « c’est vrai, ça, elle est pas terrible cette fille. Pas marante non plus, alors que Gérard est un tel boute-en-train ! »…
Oui, ben moi, je trouve que Luce a du goût. Je la sens cultivée, du genre à aller en librairie, au concert, pas en boîte ou au stade.

16 fois, 16, vous entendez bien, la machine à café a eu un problème d’approvisionnement. L’entreprise, les premières fois, a réagi vite. Au bout de 7 ou 8 fois, elle n’a plus envoyé d’appariteur, ou alors avec tellement de retard que plus aucun employé ne pensait à aller s’y abreuver.
Un matin, elle n’a plus été là. A sa place, de la poussière, une traînée noire au sol et une tache de café que la femme de service a eu un mal fou à faire disparaître.
Les débrouillardes se sont apporté des thermos de déca. Les coquettes en ont proposé à Gérard qui n’a jamais dit non.
Bizarrement, Luce s’est retrouvée encore plus isolée au fond de son bureau. Bizarrement puisqu’elle n’allait à la machine à café que quand personne n’y stagnait.
Mais le chemin entre son ordi et la machine lui permettait due voir ses collègues. De loin et c’était suffisant. Maintenant, plus de raison de traverser le couloir. Plus de vision des autres comme elle les aimait, c’est à dire occupés et ne s’occupant pas d’elle.

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