Un Jean Birnbaum : P U N° 179

Mis en avant

 Le courage de la nuance de Jean Birnbaum paru au Seuil et trouvable en collection Points, prix François Mauriac en 2021.
Jean Birnbaum est journaliste, essayiste, directeur du supplément Le Monde des Livres. Dans ce texte, né d’un « sentiment d’étouffement », il évoque les écrivains qui ont voulu voir et dire le monde en gris (coloré), qui ont refusé la simplification de l’extrême, au risque de n’avoir que des adversaires, d’être vus comme « tièdes », « lâches ». Camus, Barthes, Bernanos, Arendt, Aron ont fait preuve de l' »héroïsme du doute », chose très mal vue actuellement, entre autres ou surtout sur les réseaux sociaux.

Des « Poèmes Express » sont nés dans Le courage de la nuance :
– Peler un silence.
– Des hommes libres que nous avons 
regroupés ont le sentiment que nous avons un   monde à refaire.
– Tranquille sincérité du démon : informe, toxique et véritable.
– Il a appris à vomir dans la dentelle.
– Le destin a produit des banalités : les enterrements.

Trois livres en un donc :1) le Jean Birnbaum = l’essentiel
et, accessoires mais là…,
2) les  » Poèmes Express » qui ricochent avec 3) des infos (inter)nationales.
Exemple : Bras tendu, un fils de bonne famille affiche un engagement assez banal ricoche avec « Procès du projet d’attentat néo-nazi » trouvé ultérieurement dans la presse,
ou encore : Le carnage, effet de cisaille, engage l’irréparable va avec Violence et police : un problème d’encadrement juridique, pris dans The Conversation France
Cette Pièce Unique est offerte à un homme politique qui écrit,
pas B. L M., pas F. H., ni N. S.

Un Oliver Rohe : P U N° 178

Mis en avant

Défaut d’origine d’Oliver Rohe : Pièce Unique N°178.

Oliver Rohe était à Ecrivains en bord de mer
– où je lui ai donné cette P. U., trois livres (dont le sien) en un … Le pauvre … –
et où il est intervenu deux fois : la première, avec Mathias Enard, un des amis cofondateurs de la revue Inculte, la deuxième, pour évoquer Chant balnéaire sorti chez Allia en 2023, un retour sur le Liban / au Liban. Chant balnéaire est la deuxième partie du presse-livres, la première étant Défaut d’origine, paru en 2003.

Tout Défaut d’origine se passe à bord d’un avion et surtout dans le for intérieur d’un passager-narrateur qui évoque un pays en guerre jamais nommé, la place de la langue, l’ami Roman : un autre lui-même, le rapport aux autres : le mimétisme, à la mère : une mère / araignée qui retient. Un monologue, un flux de conscience.

Quelques « Poèmes express » nés dans Défaut d’origine :
– Dans ce siège il est convenu de penser à penser.
– Les habitants au cimetière imaginent sous leurs 
pieds des os d’habitants.
– Ils déboulent un jour en bas de leurs délires.
– Il nous faut du clinquant, de la mode, ne pas rester à l’écart des Mercedes.
– Elle accumulait secrets et mensonge en couches bien épaisses de fiches.
– Depuis sa tombe, il croyait naïvement être débarrassé de ses frustrations.
– Dès que je me trouvais seul je courais me fondre tout entier dans ma tête. Mon corps était de trop.

Un Bernard Clavel : P U N° 177

Un des buts des Pièces Uniques est de s’attaquer à des textes jamais croisés. Une fois encore, il s’agit d’une première lecture : mon premier Bernard Clavel.
Clavel (1923- 2010) est un autodidacte qui, comme de nombreux auteurs américains, mais peu de Français, fit beaucoup de petits métiers. Il écrivit plus de cent livres, obtint le Goncourt en 1968.

Le seigneur du fleuve, paru en 1972, chez Robert Laffont est la Pièce Unique N° 177. Un livre d’hommes, sans aucun personnage féminin. Un hymne au Rhône, à sa force, à son invincibilité. Et une histoire de progrès qui tue le travail de certains. On est au milieu du XIXè, la marine de halage disparaît devant les bateaux à vapeur. Des hommes tentent de s’y opposer.

Quelques « Poèmes Express » nés de ce texte :
–  Sur toutes les terres, l’été craquait. Des milliers crevaient.
– Serrés dans cette colère, les hommes avaient manqué la fête.
– Elle s’était levée dans l’ombre, lourde à remuer, lente à aller.
– Il avait les fesses pointues et un foulard de soie rouge.
– Mains fines, genoux maigres. Mais les deux réunis, c’est autre 
chose.
– La folie qui fait parler les uns et agir les autres. Question d’orgueil et de pression.
– Des gens avaient inventé des mots qu’ils criaient. On les comprenait rarement.
– Sa poitrine transmettait le cri, comme un animal l’odeur. Une odeur qui touchait.
– On prend un grand coup de ciel quand on grimpe.
– 14 étaient chargés des jurons et 2 de la prière.
– Visage vidé de sang, visage remonté en surface de folie.
– Faut être honnête. Ce qui nous en fout un coup, c’est qu’elle va vivre de travers, sans rien demander.

La Pièce Unique N° 177 est offerte à Fabienne L. rencontrée au Japon. Et le livre est son métier.

Un Yannis D. Yerakis : P U N° 176

Pêcheurs d’éponges  de Yannis D. Yerakis, éditions Cambourakis, est la Pièce Unique n° 176. Traduit du grec par Spiro Ampelas, il donne à lire l’unique texte de cet homme. Un document, doublé d’un poème. Une entrée dans deux mondes inconnus : au début du XXème siècle, ce travail de pêcheur d’éponges et, par ailleurs, la présence d’enfants grecs – esclaves en Russie. Y. Yerakis a vécu les deux. Une leçon d’histoire aussi : à qui appartient alors le Dodécanèse, les premières guerres balkaniques, les colons ottomans italiens puis l’indépendance.
Et :
Extrait de l’article de Ulysse Baratin dans En attendant Nadeau du 26 août 2020 : « Pêcheurs d’éponges atteste surtout d’une société plus ouverte aux textes provenant de non-professionnels de la littérature. La Grèce a eu Yànnis Makriyànnis, éleveur illettré et personnage important de la révolution de 1821, aux antipodes du monde des lettres et dont les Mémoires constituent un jalon des lettres néo-helléniques. Le poète Níkos Kavvadìas travailla toute sa vie sur un cargo et la poésie « rébétiko » fut le fait de garçons bouchers (écoutez l’immense Màrkos Vamvakàris). Encore aujourd’hui, on peut trouver en Grèce des poètes et des conteurs chez des gens éloignés de tout « milieu » littéraire. Ce continuum entre civilisation orale, travail manuel et écriture s’incarne chez Yànnis D. Yérakis.  »

Quelques « Poèmes Express » issus de Pêcheurs d’éponges :

– Rêves partagés. Fragilité des siens. Lumière des leurs.
– On manquait de pétrole. Ne vous fâchez pas si j’écris que de gros en avaient.
– Les requins devaient se cultiver mais le plus grand nombre se traînait.
– Ils étaient nombreux ; la rue et la place étaient pleines de mauvais.
– Des petites vieilles se regroupaient, les plus jeunes les laissaient flotter.
– Poisson dans la barque, temps calme et requin rond au fond.
– Aucune terre au petit matin et pas un seul qui sache.
– Ils sont tous entrés. Je leur ai raconté ce qu’ils avaient vécu. Ils ont répondu : « Nom de Dieu ! »

Cette Pièce Unique est destinée à Arnaud de La Cotte, auteur d’un Journal filmé.

( ci-contre : Cinématon n° 3030
– Fondation Gerard Courant )

 

Un Kafka : P U N° 175

Kafka (1883-1924) écrit la Lettre au père en 1919. Et jamais le père ne la lira. Il semble d’ailleurs qu’il n’ait lu aucun des textes de son écrivain de fils.
Cette lettre dit une souffrance mais surtout l’acceptation jusqu’à l’intériorisation de l’image négative qu’on a de lui  » …plus je grandissais, plus le matériel que tu pouvais exhiber pour preuve de mon insuffisance était important ; à certains égards, je me suis mis à coïncider avec ce que tu prétendais. », l’incroyable capacité à trouver des excuses au tyran domestique, l’effrayante impossibilité, adulte, de se défaire de son autorité.

« Poèmes express » qui en sont issus :
– Tu mangeais vite, chaud, à bouchées doubles, l’enfant.
– Assez viril, gentiment, il te parle tranquillement de tes troubles de coeur et te saute et te saute.
– Dents serrées de l’enfer, plainte enfantine des durs.
– Au début, c’était vraiment pareil, ce n’était pas vraiment autre.
– On n’avait aucune intention, on n’a pas souffert, on n’a été qu’inconscient.
– A la maturité, je n’étais occupé que de moi, et je 
montrais là d’étonnantes capacités.
– Il renonce au meurtre. Dans la mesure du possible.

Cette Pièce Unique n°175 sera envoyée à Christine Marcandier, critique littéraire, enseignante, aimant beaucoup l’oeuvre de Kafka (c’est un risque… évidemment), créatrice de Diacritik.

Un Iris Brey : P U N° 174

Iris Brey, journaliste, collabore aux Inrocks, à Mediapart, France Culture, Canal +. Elle est spécialiste de la question du genre au cinéma et dans les séries.
Le regard féminin – Une révolution à l’écran est paru à l’Olivier en 2020 puis en collection Points et a obtenu le Prix de l’essai féministe du magazine Causette.
L’auteure  différencie « male » et « female gaze », les façons différentes de raconter le monde à travers scénario mais aussi mise en scène, et dit bien que tous les hommes ne sont pas porteurs de ce « male gaze » ni toutes les femmes du « female gaze ».
Au début, un peu gênée par l’écriture inclusive, puis plus. Au début, un peu une impression de caricatural, puis plus.

Des « Poèmes Express » nés de :  Le regard féminin – une révolution à l’écran :
– En premier lieu le miroir appréhende les images, considère un corps comme réfléchi.
– Le « impossible », je l’entends, je le ressens. Il existe, part du corps.
– Le regard n’est pas l’analyse. Nous vivons dans le regard.
Des cinéastes se focalisent sur les Cahiers du cinéma mais juste pour rire.
– Au bout d’une heure de mariage, elle semblait avoir été mise dans un cercueil.
– Si on reprend la définition d’héroïne, on l’imagine en marbre.
– Montage de premier film : une femme masturbe une lionne qui coule d’une casserole.
– Visage au creux du cou, bouche entrouverte par l’émotion, comme velours.
– Une femme s’arrête devant des hommes qui regardent un homme qui ferme les yeux   devant des femmes.
– Les textures fondent. Les désirants demeurent.
– La voiture démarre en trombe, deux visages côte à côte oscillent de droite à gauche.

La Pièce Unique N°174, trois livres en un,
est offerte à Carine Chichereau, traductrice ( d’une centaine de textes, dont de Joseph O’Connor, Lauren Groff…). Elle travaille par ailleurs à un inventaire de femmes peintres oubliées.

Un Pierre Mac Orlan : P U N° 173

Le mystère de la malle n°1 – et autres reportages
en 10-18 dans la série « Grands Reporters » dirigée par Francis Lacassin, 1984 .
Pièce Unique N° 173.
Mélange de reportages policiers et politiques, le recueil rassemble faits divers et problèmes bientôt mondiaux. On passe d’un crime crapuleux contre des femmes en Angleterre (1934) aux manifestations et vote dans l’Allemagne de 1932 en passant par l’Italie mussolinienne (1925) et une histoire de piraterie qui impacte une entreprise de Fécamp lors de la prohibition américaine (1924). La petite et la grande histoires vues à hauteur d’homme. Le journaliste – romancier Mac Orlan, ami de Georg Grosz et admirateur d’Alfred Döblin, rend les décors et les atmosphères de ces endroits et de ces époques.

Quelques « Poèmes Express » issus de ces textes :
– Les galets sur 3 km, des inscriptions publicitaires. On vend des sorbets.
– Suivant un camarade, il eut l’idée de visiter Melun ; il parut déprimé.
– L’inquiétude se transformait en époque. Il ne reste aucune trace de force.
– Au milieu de la rue, un brouillard. Chacun regagne ses quartiers.
– Un ver sait qu’un Bouddha gonflé fait des couchers de soleil pour salle à manger.
– Un écrivain français recrée un homme en tenant peu compte de sa femme, de la     quantité de littérature qu’elle contient.
– Les filles mal nourries aboutissent à des hommes gros.
– Un petit bonheur, ce n’est pas mentir à l’émotion.

Ce  » Mac-Orlan-augmenté »,  3-en-1,  est offert à V. G., femme de droit qui tint la librairie Polis à Rouen et aime toujours autant les livres.

Un Pierre Pachet : P U N° 172

Autobiographie de mon père est la Pièce Unique N° 172. Ce texte est paru en 1987 et a été réédité chez Autrement en 2021, avec une postface de J.B. Pontalis : extraits :  » Une lettre à un père ou une lettre à un fils ? » (…) « Ce livre aurait-il deux auteurs ou, ce que je crois plutôt, est-il un livre sans auteur ?  » ( et citant Pierre Pachet : ) « La parole de mon père mort demandait à parler par moi comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. ».
Ce livre conte la vie du père, sa formation, l’exil, la judéité, la guerre, le (non) lien à la famille puis la maladie : p 195 : « Je suis pleinement présent à moi-même, mais chacune de ces présences tend à s’isoler radicalement de la précédente ; et la suivante l’effacera. Pourquoi faut-il que je ne connaisse personne qui tolère la discontinuité que j’habite ? » L’homme n’est pas aimable, porteur des préjugés de son temps et de son sexe : autorité du mari et du père, dépréciation de la femme et incommunicabilité avec les siens, bien avant d’être atteint par cette pathologie.
Pierre Pachet écrit ce défaut d’amour, répare cette non-communication après la mort du père.

De ce livre, sont sortis des « Poèmes Express » : exemples :
Privé de la fiction un univers était évidemment hostile.
– Ce double : je l’avais fui et ne désirais pas retrouver le moi.
– Attendre d’avoir, avoir peu, avoir eu.
– Renversées, elles avaient perdu la main. Je ne sais si j’ai déjà mentionné la main.
– Entre des terrasses de café, un bain d’odeurs.
– Puisqu’il faut passer d’un système à un autre, on se fait double.
– N’avancer qu’en sourdine, par la bouche, par des phrases.
– La violence de la charcuterie sort de ma bouche, dégorge, tiède.
– J’ai peur, il est tard, on a juste la possibilité 
d’apercevoir des indifférents.

Autobiographie de mon père, « complété » par ces « Poèmes Express » et des informations quotidiennes ricocheuses  est offert à Alain Amirault qui, dans les années 2010, membre  de l’association Détournements, a co-créé le festival Poésie dans la rue à Rouen.

Un Karen Blixen : P U N° 171

Une lecture au long cours : La ferme africaine de la baronne Karen Blixen, 497 pages en Folio, a été lue du 3 juin 2022 au 22 février 2023, à raison d’une double page par jour.

Le livre paru au Danemark en 1937 et en France en 1942 chez Gallimard, dans une traduction de Yvonne Manceron, conte les 17 ans (1914-1931) de vie de l’auteure (1885-1962) en Afrique. Continent qu’elle a adoré et a dû quitter, sa plantation de café au Kenya n’ayant jamais été rentable. L’histoire est connue – et « romantisée » – par le film de Sydney Pollack, Out of Africa, sorti en salle en 1985. Le texte, un presque journal, dit son existence auprès des « nègres », Kikuyus et Masaïs, des Somalis, de ses chiens, de ses chevaux, évoque ses parties de chasse, sa vie mondaine, la manière dont le colon traite les populations, venant par exemple jusqu’à la ferme pour interdire leurs danses lors de son départ.

Quelques uns des « Poèmes Express » qui en sont sortis :
Un sourd insistait pour trouver un écho.
– Les choses s’offrent une valeur historique.
– J’avais obtenu un mot que rien ne pouvait dépasser : « ardeur ».
– J’imagine un archevêque en safari quand la bête l’observe.
– Presque vierge, sans chagrin, vierge vieille, on pénètre, on n’enlace pas.
– Dieu n°3, reviens.
– Bête à recevoir le nom d’une bête, il sera aperçu un jour, au zoo.
– Un mot se remet entre les mains de son récit.
– Nous avons un personnel-poupées russes. On les installait en plein air. C’était magnifique.
– Les femmes douces et gaies étaient le soir des noces sans protection.
– Crachat, pantoufles, canne et mort.
– Il était mort en sortant de son auto, de l’histoire ensuite.
– Quelques minutes ne tardèrent pas à atteindre le bout d’un moment.
– Un jour j’ai dit 500 fois « boeuf » et « boeufs ».
– Des marins ont leur double au fond de la mer et de temps en temps habitent au fond de nos yeux.

Cette Pièce Unique est offerte à Claire D., maintenant photographe et voyageuse.

Un Lovecraft : P. U . N° 170

Epouvante et surnaturel en littérature de H. P Lovecraft (1890-1937) est un essai, écrit entre 1925 et 1927, paru pour la première fois dans une revue qui n’eut qu’un numéro, The Recluse.
De son vivant, Lovecraft n’a publié ses nouvelles que dans un « Pulp »: Weird Tales. Et ce n’est que deux ans après sa mort qu’est créée la maison d’édition Arkham House, pour faire reconnaître son oeuvre.
Cet essai est une histoire du « conte fantastique » « aussi vieux que la pensée humaine ». Le panthéon personnel de Lovecraft est constitué de Lord Dunsany, Arthur Machen, Montague Rhodes James, plus intéressants encore selon lui que les justement reconnus Ambrose Bierce, Nathaniel Hawthorne et, évidemment, Edgar Allan Poe.

Quelques « Poèmes Express » tirés de ce texte :
– Renforcer une frayeur grâce à des images de fin de paysages.
– La mode captiva les plus sophistiqués des squelettes.
– Les allusions allusives ne présentent rien au lecteur inattentif.
– Eclate un rire immense surgi d’un très ancien cimetière.
– Peupler le pays avec une multitude de petits Dracula semble original.

Cette Pièce Unique, 3 livres en 1, est offerte à Emma Doude, en master de création littéraire à l’ESADHarR, master sous la direction de Frederic Forte.