Le Chat Bleu d’avril – la brasserie Pays

Tout d’abord, si ça vous dit; les prochains rendez-vous sont les jeudis 19 mai, 2 juin et 7 juillet.

Brasserie-Pays

photo Brasserie Pays

En avril, nous nous sommes retrouvés autour de la personne d’un brasseur local et de deux de ses quatre créations : Danton, Sainte Cé, Mare rouge, Porter océane. Jeune, en reconversion, il est installé dans les anciens abattoirs de la ville du Havre. Il commence avec le plus petit volume possible, dix hectolitres par an, travaille originalité et qualité de ses recettes et tente de réduire l’impact carbone de son entreprise. Nous avons pu goûter Mare rouge : ambrée, 5,5° et Porter océane, brune, limite noire, plutôt douce, 4,5°, à goût de chocolat, donné par le « malt biscuit », un peu grillé qui marche très bien avec les desserts.
Avec ces bières havraises, nous avons évoqué des livres de partout :
– J’AI VU UN HOMME d’Owen Sheers (2015, ed. Payot Rivages) : histoire d’un jeune veuf après la mort de sa femme, reporter tuée, en Afghanistan, par un militaire américain, de son bureau près de Las Vegas. Sheers parle de cette nouvelle manière de faire la guerre, de la culpabilité en général.

fukushima– AU CŒUR DE FUKUSHIMA, manga de Kazuto Tatsuta ( ed. Kana, 2016) :  l’auteur est allé travailler à Fukushima après la catastrophe et en a tiré ce tome 1 du « journal d’un travailleur de la centrale nucléaire ». Il y est resté 6 mois. Ayant atteint la dose maximale annuelle de radiations, il a dû rentrer chez lui et s’est mis à raconter. C’est superbement dessiné. Cela ne met en cause ni Tepco ni le pays. C’est, par contre, critique vis à vis du système des sous-traitants.

– LA PLONGEE de Lydia Tchoukovskaïa ( Le Bruit du Temps, 2015) : un roman autobiographique écrit entre 1949 et 1957, publié en Russie en 1988, 8 ans après une première publication en France chez Calmann-Lévy. Un mois de la vie d’une auteure dont le mari a été arrêté en 1937, alors que Staline renvoie des milliers de gens en camp. Une parenthèse dans une maison de repos pour écrivains. La peur, les compromissions, les rumeurs mais aussi la nature, l’hiver, loin de l’appartement communautaire de Moscou.

Victor-Hugo-vient-de-mourirOnt aussi été vus : VICTOR HUGO VIENT DE MOURIR de Julie Pérignon : une fresque sur la semaine de sa mort à ses funérailles, les réactions de sa famille, des hommes d’état, du peuple. 69 TIROIRS de Goran Petrovic, auteur serbe, aux éditions du Serpent à plumes où vie et livres se confondent. UN CHEVAL ENTRE DANS UN BAR de David Grossman, au Seuil, beau mais … »désarçonnant »… LA DOULEUR PORTE UN COSTUME DE PLUMES de Max Porter au Seuil, sur le deuil. JEANNE D’ARC de Michelet, le premier historien, qui a travaillé à partir du procès, à comparer avec le Gerd Krumeich : JEANNE D’ARC EN VERITE surtout si vous visitez l’Historial, à Rouen. MILLE SOLEILS SPLENDIDES de Khaled Hosseini chez 10-18. PAS EXACTEMENT L’AMOUR d’Arnaud Cathrine : des nouvelles, » légères comme une plume d’ange ». La biographie de Levi Strauss par Maurice Godelier.
Et puis on est revenus sur des livres ou des auteurs : la biographie de Limonov par Emmanuel Carrère, AU REVOIR LA-HAUT de Pierre Lemaître, Edouard Louis, Maylis de Kerangal, Boualem Sansal, Julie Otsuka.

Vivre – lire – écrire : Catherine Poulain

Catherine PoulainCatherine Poulain, auteure de LE GRAND MARIN aux éditions de l’Olivier, est venue à la Galerne au Havre, le 26 avril. Une femme menue, à la voix presque enfantine, aux regards directs, cherche à répondre sincèrement aux questions du libraire. Elle a toujours écrit dans des carnets pour « garder des traces de cette vie, mettre de l’ordre » mais LE GRAND MARIN est sa première publication.

On rencontre une « belle personne », pas (encore?) abimée par le battage médiatique, les nombreuses interviews depuis quelques mois. Elle vient en écrivain alors que les critiques ont souvent insisté sur le côté autobiographique, atypique : ces travaux d’hommes, durs physiquement : la pêche, la transhumance, les saisons de vigne.
Aller pêcher en Alaska, c’est se trouver face à « l’extrêmement sauvage, vierge, immense, encore mythique aujourd’hui (…), se battre contre sa propre faiblesse, contre ses limites, aller au bout de soi peut-être (…); on est tout nus et on recommence, on risque tout. () Le besoin  d’affronter la mort pour se sentir vivant ».(…) « la volupté de l’exténuement. »

Elle a d’abord beaucoup lu puis arrêté, de peur de vivre par procuration. Depuis, elle a repris évidemment même si elle se méfie des influences : « C’est très dangereux d’aimer trop un auteur. » Ecrire, c’est du travail : « Parfois, il faut que les phrases soient brèves, on est dans l’immédiat. Parfois, être un peu lyrique, ça me plaît aussi. » Quand l’éditeur a voulu lui faire enlever des adjectifs, elle a tenu bon : «  Non, vous cassez la musique, vous cassez la phrase. »
On est face à une femme authentique qui a eu d’autres occasions de publier mais a préféré retourner pêcher : « c’était pas le moment », qui a un peu peur de ce contrat : « Avant, j’étais libre. On va peut-être me demander des choses, je serai une vendue« . Dans cette manière d’être vraie, elle nous fait penser à un autre romancier, l’Islandais Jon Kalman Stefansson.

le photographe Michael Wolf : exposition à Rouen

 

Michael_Wolf

Industrial #26, 2015 © Michael Wolf, Courtesy Flowers Gallery, Londres

C’est jusqu’au 28 mai 2016 , au Centre Photographique Pôle Image Haute-Normandie , 15 rue de la Chaîne à Rouen, dans le cadre du mois de l’architecture contemporaine.

Michael Wolf est né en Allemagne en 1954 mais il s’intéresse surtout à l’Asie : la Chine,  Hong-Kong où il vit, Tokyo. Tous les photographes sont peut-être des collectionneurs, Michael Wolf l’est, lui, c’est évident. Il travaille par séries : « Architecture of density » (3), « bastard chairs »(4), « the real toy story » (1), « Tokyo compression »(2) etc…
Dans les séries : des chapitres, un rangement qui permet de comprendre une ville ou un fait de société. Un travail de narration qui, en montrant le monde, questionne son fonctionnement, pointe du doigt ses problèmes : (1) le monde occidental et son entassement de jouets / les lieux, les gens qui les produisent, (2) la densité de la capitale japonaise à travers les gros plans de visages éteints ou hagards, compressés contre les vitres de rames de métro.
La densité est aussi le sujet de l’exposition présentée à Rouen, la première dans un lieu institutionnel en France alors que l’oeuvre de Michael Wolf est internationalement reconnue, montrée dans les musées, publiée, primée ( World Press Photo en 2005 et 2010).
Il la représente par les façades d’immeubles gigantesques, les arrière-cours et les pièces de vie :
Les façades (3), juste les façades de béton, « plein pot », sans sol ni ciel, sans paysage ni verdure, un peu comme des Vieira da Silva, des lignes horizontales, verticales, des rythmes donnés par les ouvrants, le même répété des centaines de fois. De vrais clapiers. L’anonymat. Une horreur humainement, une beauté plastiquement.
Et puis, le revers : les ruelles, les détails d’architecture déglinguée, des tuyaux, des murs lépreux, des objets abandonnés ou laissés entre deux utilisations : beaucoup de gants de caoutchouc, de balais, des sièges (4) bricolés, éléments colorés, fantaisie dans un monde de grisaille. Des traces d’hommes. La pauvreté et la débrouille.
Des intérieurs : sur chaque image, une seule pièce exigüe pour tout faire : dormir, manger, ranger et leur occupant de face, posant : c’est la première fois que l’on voit des hommes, des femmes, souvent âgés, seuls, quelques fois en couple.
Tous les photographes sont peut-être des sociologues, Michael Wolf l’est, lui, c’est évident.

Terres de paroles, au Havre : Khemiri, Cie Ktha, Illska

Le 9 avril, au Fitz, au coeur du Volcan, lecture de J’APPELLE MES FRERES de Jonas Hassen Khemiri  par 4 comédiens : une confirmation : cette pièce lue dans les jurys mis en place par le festival (voir post du 8 mars 2016) dit des choses cruciales. Ecrite et créée en 2013, à la suite d’un attentat sans victimes dans Stockholm, elle garde évidemment tout son poids : après un acte terroriste, comment vivent des hommes à l’air étranger, leurs pensées, leurs peurs, leurs réactions, celles des autres vis-à-vis d’eux. Khemiri, né en Suède d’un père tunisien et d’une mère suédoise, fait partie de la première génération d’écrivains de l’immigration. Il touche à tous les genres. Ce texte aussi plein d’humour, avant d’être une pièce, a été un article puis est devenu un roman, trois manières d’évoquer une situation qu’on ne peut contourner en ce moment.
Le 9 avril, dans la rue, JUSTE AVANT QUE TU OUVRES LES YEUX de la compagnie Khta. Cette compagnie basée à Paris depuis 2000 se produit dans des festivals de théâtre de rue (Chalon, Aurillac), dans des dispositifs étonnants. Là, il s’agit de 3 comédiens habillés de jaune fluo. Ils marchent derrière un camion roulant lentement dans lequel sont une quarantaine de spectateurs. Ils les regardent, leur parlent du moment où le réveil sonne, Alarme, drôle de façon de commencer sa journée, Alarme, ils disent le lever remis à un peu plus tard, neuf minutes, puis ce qui se passe, le petit dej, la salle de bain, ce qu’il/elle rêve de faire au lieu d’aller travailler. Des sourires, des saluts de la main, la marche. Les voitures que l’on empêche de rouler, les passants qui s’arrêtent, ceux qui ne voient pas. Un moment de convivialité, de civilité.
Le 9 avril, à la médiathèque Niemeyer, lecture par le comédien Laurent Sauvage d’extraits de ILLSKA de l’Islandais Eirikur Orn Norddahl  suivie d’une rencontre avec l’auteur et son traducteur Eric Boury. Il y avait là plus de temps qu’aux Boréales de Normandie (voir post du 23 novembre 2015) pour les écouter, eux et le texte. Le sujet du livre est l’holocauste, le néo-nazisme, leur place dans le monde actuel, dans la vie de jeunes gens. Cinq ans d’écriture, et même plus, voilà la place que cela a pris dans celle de Norddahl.

Voilà trois moments de Terres de Paroles au Havre : très divers mais tous, à leur manière, très politiques.

Poésie : BIP (Angelina Diaz), master (Lucas Sibiril) et d’autres (Oulipo)

Le 5 avril, aux Enfants Sages, au Havre, soirée poésie :
Le point de départ était Le Havre et la première lecture d’ Angelina Diaz était DANS LE RAPIDE DE 19 H 40 de Blaise Cendrars.
Angelina, comédienne, fait partie des B I P : Brigades d’Intervention Poétique, dans la compagnie Art-scène. Les B I P sont une invention de Christian Schiaretti et Jean-Pierre Siméon, aussi directeur artistique du Printemps des Poètes depuis avril 2001.  Les B I P, en combinaison de travail orange interviennent dans les écoles, les collèges, les lycées pendant une ou deux semaines. Les élèves ne sont pas prévenus. On ne leur explique rien, on entre, lit un poème, laisse la feuille, dit au revoir, sort. L’enseignant reprend son cours sans commentaire. Le dernier jour, il y a échange. A chaque nouvelle venue, la qualité d’écoute est plus grande. Belle idée, non ? Parce que : « L’art est une nécessité absolue pour la société; ce n’est pas une parure, une sorte de pot de fleurs sur la cheminée. » (J.P. Siméon dans la revue Ballast, 11 décembre 2015).
C’est aussi ce que pense Lucas Sibiril, venu de d’Eesab (école d’art de Lorient) étudiant en master 1 de création littéraire contemporaine à l’Esadhar (les cours ont lieu à l’école d’art et à l’université du Havre). Ce master, unique en France, existe depuis 2012. A sa tête, Laure Limongi, écrivain éditée entre autres chez Léo Scheer. Lucas a lu quelques uns de ses textes,  poèmes ou romans, les « parpaings » de son travail en construction. Il a aussi improvisé… sur les fantasmes des…calamars…
La bonne humeur était aussi le point commun de la soirée. Donc évidemment Raymond Queneau, écrivain, mathématicien, né au Havre, lu par Angelina puis évoqué pour ses CENT MILLE MILLIARDS DE POEMES (1961) et sa création avec François Le Lionnais de l’Oulipo http://oulipo.net : poésie combinatoire, humour et démocratisation de la poésie.
L’Oulipo, ses 4O membres, vivants et morts dont  Georges Pérec, Italo Calvino, Jacques Roubaud, Ian Monk, Frederic Forte, Hervé Le Tellier, Olivier Salon, Paul Fournel, Jacques Jouet et Eduardo Berti (ces deux derniers présents à Terres de Paroles 2016 – voir le post précédent -). Ses jeux d’écriture et mathématiques, ses contraintes, ses nouvelles formes ( : trident, S + dé, monastique paysager, etc…). Si l’Oulipo ne met pas en place d’ateliers d’écriture, ses membres y participent volontiers. Ainsi, à Lille, depuis 2002 dans ZAZIE MODE D’EMPLOI http://zazipo.net ou à Pirou, l’été, depuis 2006, dans PIROUESIE. http://pirouesie.net.
Une jolie soirée qui s’est finie avec un exercice de Lucien Suel http://www.academie23.blogspot.fr, auteur venu à Pirou en 2014, un poème express à partir de la p 89 d’un Harlequin, proposé à tous les participants.

Marie-Sophie Ferdane / Eduardo Berti – Jacques Jouet

     Terres de paroles a commencé le 29 mars mais on ne peut pas tout voir. Voilà donc notre petite expérience de la nouvelle mouture de ce festival : à St Nicolas d’Aliermont, le samedi 2, un atelier de lecture à voix haute puis une visite oulipienne du musée de l’horlogerie.
Quand nous nous étions inscrits à cet après-midi, nous ne savions pas tout. Nous ne savions pas qui animerait l’atelier. Et c’était Marie-Sophie Ferdane, sociétaire de la Comédie Française de 2007 à 2013, musicienne, metteur en scène, comédienne qui jouait jusqu’à mi-février dans ARGUMENT, une pièce de Pascal Rambert, une jeune femme brillante, pédagogue, dans l’empathie. Quelqu’un qui désosse les phrases, qui voit que tout est sens dans le texte, qu’il s’agisse d’UN COEUR SIMPLE de Flaubert ou de LA VEGETARIENNE de la Coréenne Han Kang (ed. du Serpent à plumes), qui insiste sur la ponctuation. Quelqu’un qui ne joue pas si elle lit : » le lecteur ne doit pas interférer entre l’auteur et le public, juste être le médiateur le plus respectueux possible de ce texte qu’un auteur a mis des mois à écrire. »… »Pas d’affect inutile, pas de jugement. »… »Juste être jacques_jouettechnique »… « plus on est froid, plus on prend l’auditoire pour intelligent. »… Nous nous souvenons tous de moments où on ne nous a pas pris pour tels …Thierry La Fronde, sors de ce corps !…
Nous savions par contre que l’Oulipo nous guiderait dans la visite du musée de eduardo_bertil’horlogerie : les écrivains Jacques Jouet (une vingtaine de livres publiés chez POL) et Eduardo Berti (Actes sud) avaient séparément passé là quelques jours et nous accompagnaient avec des textes à contrainte, des « récapitul », « poèmes de bandit » et « chronopoèmes » nés d’objets ou de photos de la collection. Le minuteur Terraillon de J.Jouet avait évidemment sa place dans  cette intervention. Une petite heure de sourire ou de rire. Les textes seront trouvables prochainement.

Aux Enfants Sages, mardi 5 avril, 18h30, soirée du mois de la poésie avec Angelina Diaz, de la BIP (Brigade d’Intervention Poétique) et un étudiant en master d’écriture.